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mercredi, 04 janvier 2017

Le futur du travail et la mutation des emplois

Par Yves Caseau, chef de l'Agence numérique du Groupe AXA
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Par Les Experts | le 5 décembre 2016 | 1 Comment

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Futuristic female android at digital background

Le billet de ce jour rassemble un certain nombre de réflexions autour du «futur du travail». Ce sujet est particulièrement d’actualité en ce moment, qu’il s’agisse de la presse ou de la préparation de la campagne présidentielle. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de passer une semaine à la Singularity University dans le cadre du Singularity University Executive Program, ce qui m’a permis d’approfondir mes idées sur le sujet. Ce billet reprend les points principaux que j’ai développé le 12 octobre lors du séminaire de l’Académie des Technologies, lors d’une conférence intitulée «Emploi et travail dans un monde envahi par les robots et les systèmes intelligents». Il s’inscrit dans la continuité d’un premier billet écrit il y a deux ans, mais j’ai affiné mon diagnostic et j’ai donc des convictions plus fortes et plus précises.

La première partie fait le point sur la question de l’automatisation – des robots à l’intelligence artificielle – et de son impact sur les emplois. Depuis la publication du rapport de Frey-Osborne en 2012, il y a eu de nombreuses réactions. La plupart sont conservatrices et prudentes, qu’il s’agisse du rapport de l’OCDE ou du livre récent de Luc Ferry. Je ne partage pas ce revirement comme je vais l’exprimer, particulièrement après avoir passé cette semaine à la Singularity University. Je vais au contraire développer une vision de l’évolution du travail dans laquelle l’homme est complémentaire de ces nouvelles formes automatisées de production et de création de valeur.

La seconde partie est une réflexion sur la société à la quelle conduit cette nouvelle vision du travail. C’est, par construction, une contribution à l’iconomie, c’est-à-dire l’organisation de l’économie dans le cadre d’une exploitation pleine et entière des bénéfices de la technologie de l’information, y compris dans ces capacités d’automatisation (lire la définition de Michel Volle). Je propose une vision «fractale / multi-echelle» de l’ iconomie qui réconcilie la domination des plateformeswinners take all») et le retour de la «localisation» (la priorité donnée à la communauté et au territoire ) face au désarroi (pour rester mesuré) que cette rupture de paradigme va produire. Dans la tradition des «power laws» de la nouvelle économie, les bassins d’opportunité créés par le progrès technologique ont une structure maillée et multi-échelle qui contient une «longue traine» de micro-opportunités pour microentreprises.

La troisième partie porte sur cette rupture, la transition de phase entre le modèle actuel de l’emploi qui est clairement à bout de souffle et un modèle possible, correspondant à la vision développée dans les deux premières parties. C’est la question fondamentale, et la plus difficile : même pour les partisans d’une vision optimiste du progrès technologique dont je fais partie, la transition qui s’annonce est complexe, voire brutale. Même si le titre du livre de Bernard Stiegler « L’emploi est mort, vive le travail ! » contient un message positif, ce changement n’est pas moins qu’une révolution, qui est par ailleurs déjà engagée. Face à un changement qui s’accélère et des vagues d’automatisation nouvelles qui se dessinent, je suis persuadé que le monde politique a un rendez-vous avec l’Histoire, et qu’un certain nombre de mesures sont nécessaires pour éviter des scénarios noirs qui sont fort bien décrits dans des ouvrages de science-fiction. Il est possible de construire une société équilibrée autour de l’iconomie, mais la tendance naturelle du techno-système, sans intervention et régulation, est d’aller vers la polarisation et l’affrontement.

J’ai résisté à la tentation facétieuse et opportuniste de nommer ce billet « comprendre les causes profondes de l’élection de Donald Trump », mais je pense néanmoins qu’une des causes essentielles de cette élection, qui semble défier le sens commun, est qu’une grande partie des électeurs sentent plus ou moins confusément qu’un monde est en train de se construire dans lequel ils n’ont plus de place. Ce n’est pas une « simple » réaction à la désindustrialisation, c’est une peur de se retrouver « assignés à résidence », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, sans utilité pour cette nouvelle société technologique et automatisée. Le défi qui est devant nous est de rendre l’iconomie « inclusive », c’est-à-dire avec une place pour chacun qui lui permette de contribuer au travers de son activité.

Automatisation, Intelligence Artificielle et destruction d’emploi : état des lieux

Une révolution numérique qui détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée

Depuis l’étude « The Future of Employment » de Carl B.Frey et Michael A. Osborne, qui a annoncé que 47% des emplois seraient menacés aux US par l’automatisation, le débat est intense. D’un côté, il existe de nombreuses études similaires, comme par exemple celle sur le marché UK qui arrive à des résultats du même ordre de grandeur (au UK ou aux US). D’un autre côté, on trouve des études plus nuancées et moins pessimistes, comme celle de l’OCDE ou celle de McKinsey. C’est ce qui fait prendre à Luc Ferry une position plus rassurante dans son livre « La révolution transhumanisme ».  Je ne partage pas ce nouvel optimisme. Un des arguments est qu’une partie des tâches, et non pas des emplois, sont touchés. Mon expérience est que les entreprises ont acquis la capacité à redistribuer les tâches pour transformer les gains en efficacité en réduction de coûts salariaux, en dehors d’une hypothèse de croissance.

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Ce qui me range dans le camp de l’étude Frey-Osborne, c’est que les arguments des conservateurs reposent sur une analyse du passé sur ce qu’on peut attendre des progrès de l’Intelligence Artificielle. Il me semble imprudent de s’appuyer sur toutes les promesses non-tenues des décennies précédentes pour en conclure que l’automatisation poursuit une lente progression « as usal ». Je vous renvoie au deuxième livre de Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, « The Second Machine Age », pour vous convaincre qu’une nouvelle vague d’automatisation arrive à grand pas, avec une accélération spectaculaire lors des dernières années de ce qui est possible. Les auteurs reviennent en détail sur des avancées telles que les diagnostics médicaux par une intelligence artificielle, les véhicules autonomes ou les robots qui écrivent des articles pour les journaux. Pour reprendre une de leurs citations : « Computers and robots are acquiring our ordinary skills at an extraordinary rate”. Je viens de passer une semaine à la Singularity Universityet les exemples plus récents présentés pendant cet “executive program” renforcent et amplifient les messages du “Second Machine Age”. Il est assez juste de remarquer, comme le fait Erik Brynjolfson dans un de ses exposés récents, que nous nous ne sommes pas « en crise, mais en transformation », mais cela ne change pas grand-chose au défi qui nous est posé. Dans ce même livre les auteurs nous disent que la transformation produite par la technologie est bénéfique … mais pose des « défis épineux ».

Les usines « sans humains » sont déjà là, les exemples sont multiples, de différentes tailles et dans différents domaines. L’exemple de l’usine de Sharp pour produire des dalles LCD, que j’ai pu visiter personnellement, est spectaculaire : moins de 20 personnes pour plus d’un kilomètre carré d’usine, cette visite, qui date déjà de plusieurs années, m’a profondément marquée. L’exemple de l’usine de fabrication de Tesla est non moins exemplaire, à la fois par le choix de la relocalisation et l’automatisation la plus poussée possible. Le cas de l’usine de Sélestat du groupe SALM est un peu moins spectaculaire, mais tout aussi instructif.  Le fait que le monde change aussi vite sous nos yeux doit d’ailleurs nous conduire à beaucoup de prudence sur les études que je viens de citer. Comme le remarque Neil Jacobstein, que j’ai eu le plaisir d’écouter sur ce sujet à la Singularity University, ces études s’appuient sur une continuité des types de tâches à effectuer (ce qui permet d’appliquer le peigne de l’analyse de la future capacité à automatiser), une sorte de « everything being equal », qui est probablement valide sur une courte échelle (quelques années) mais beaucoup plus discutable sur quelques décennies.

Il va falloir du temps pour remplacer complètement les humains dans les processus

Comme je le remarquais dans mon billet précédent, la route vers l’automatisation n’est pas simple. Les annonces célèbres de Foxcon qui  voulait remplacer ses 300 000 employés par un million de robots n’ont pas été suivies d’effets notables pour l’instant. En revanche, l’automatisation des entrepôts d’Amazon avec des robot KIVA  est une réalité, tout comme celle des usines « sans humains » que nous avons mentionnées. Cette réalité contrastée s’explique par le fait que l’automatisation des tâches non répétitives reste complexe. Plus précisément, les progrès en apprentissage – en particulier le deep learningsont spectaculaires lorsque la question à résoudre est précise et lorsqu’il existe beaucoup de données pour apprendre. En revanche, s’il y a peu de données (s’il faut extrapoler sur peu de faits, le « sens commun » devient fondamental et cela reste un sujet difficile) et surtout si l’objectif est mal défini (et encore plus lorsqu’il s’agit de définir ses propres objectifs), l’être humain conserve pour quelques temps un avantage sur la machine. Ceci conduit à un article récent de McKinsey intitulé  « Where machines could replace humans—and where they can’t (yet) » qui aboutit au même ordre de grandeur sur ce qui est substituable et ce qui ne l’est pas. Pour comprendre ce qui est déjà possible et ce qui ne l’est pas encore, je vous recommande « What Artificial Intelligence Can and Can’t Do Right Now » de Andrew Ng. Mais les limites d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain !

Une des conséquences de l’état de l’art en IA est que l’automatisation des emplois peut commencer par des emplois d’experts et non de généralistes. C’est ce qu’expliquent Brynjolfson et McAffe : «  As the cognitive scientist Steven Pinker puts it, “The main lesson of thirty-five years of AI research is that the hard problems are easy and the easy problems are hard. . . . As the new generation of intelligent devices appears, it will be the stock analysts and petrochemical engineers and parole board members who are in danger of being replaced by machines. The gardeners, receptionists, and cooks are secure in their jobs for decades to come.”  C’est précisément ce qui m’a frappé pendant ma semaine à la Singularity University : les exemples abondent de domaines pour lesquels l’algorithme fait mieux que l’humain, mais ce sont précisément des domaines d’experts avec une question bien définie (quel portefeuille d’investissement construire, quel diagnostic sur une tumeur possiblement cancéreuse, …) et une très grande volumétrie de données disponibles. Grace au groupe de travail de l’Académie des Technologies qui poursuit son enquête sur les avancées “récentes” de l’IA et de l’apprentissage, ma conviction se conforte que, même si la date est incertaine, la tendance à l’automatisation des emplois du rapport Frey-Osborne est la bonne.

Cette notion d’automatisation des emplois est un raccourci qui est probablement trompeur, dans le sens que plutôt d’avoir des robots et des logiciels d’intelligence artificielle qui vont remplacer des humains un par un, c’est l’environnement complet qui devient “intelligent”. La combinaison de robots, d’objets connectés, de senseurs, et de logiciels “intelligents” ubiquitaires (répartis depuis le cloud jusque dans l’ensemble des processeurs invisibles qui nous entourent) crée l’environnement de travail “assisté” dans lequel moins d’humains réalisent plus de choses, mieux et plus vite.  L’article de McKinsey, « Four fundamentals of workplace automation » explique que « Jobs will be redefined before they are eliminated » et insiste sur cette transformation progressive des activités dans ce nouvel environment. Cette transformation par l’automatisation ubiquitaire est plus “douce”, mais elle n’en est pas moins disruptive.

Transformation du paysage de l’emploi

Dans le précédent billet j’ai déjà cité abondamment l’article de Susan Lund, James Manyika et Sree Ramaswamy, intitulé « Preparing for a new era of work » (Kc Kinsey Global Institute), qui me semble profondément pertinent. Pour simplifier voire caricaturer, il propose de séparer les emplois en trois catégories : la production, les transactions et les interactions. Les deux premières catégories sont celles qui vont être massivement touchées par l’automatisation : les emplois de production sont – dans leur grande majorité – remplacé par des robots tandis que les emplois liés aux transactions vont être décimés par l’utilisation de l’intelligence artificielle, même si cela prendra un peu plus de temps – cf.la section précédente. Il reste, pour un temps plus long, le domaine des métiers d’interaction qui peut résister plus longtemps. Ce mot « interaction » serait complexe à définir puisqu’il fait référence aux interactions entre humains et s’oppose à la catégorie précédente par un contenu « non-transactionnel » sur un registre émotionnel (il y a une certaine circularité dans l’argument, et des spécialistes de robotique m’ont fait remarquer que de nombreux robots ont précisément un objectif d’interaction, y compris avec des humains). Je trouve néanmoins cette distinction intéressante, et je suis plutôt d’accord avec la proposition des auteurs. Les emplois de demain seront très probablement caractérisés par les échanges entre humain dans des dimensions émotionnelles, affectives, artistiques qui dépasseront le cadre de l’automatisation tout en profitant de ce nouvel « environnement intelligent ». Par exemple, le jardinier, le masseur ou le plombier de demain seront des métiers technologiques, collaboratifs et sociaux, dans le sens ou l’environnement intelligent déchargera de certaines activités pour se concentrer sur l’essentiel (par exemple, le sens et le plaisir du jardin).

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Dans cet univers qui se dessine, tout ce qui s’automatise devient une commodité, la valeur perçue se trouve dans les émotions et les interactions. C’est précisément une des thèses du best-seller déjà ancien de Daniel Pink, « A Whole New Mind », qui caractérise les métiers de demain par une « prévalence du cerveau droit sur le cerveau gauche » – à ne pas prendre au pied de la lettre mais dans le sens communément admis même si discutable. On retrouve dans son livre les talents de demain comme le « story telling », le « design », la « créativité », l’empathie ou le jeu. Ces métiers d’interaction de demain ne sont pas issus de nouveaux domaines à créer, mais pour leur grande majorité la continuité des métiers d’interaction d’aujourd’hui.  Santé, bien-être, ordre public, éducation et distraction vont continuer à être les principaux fournisseurs de travail pour les décennies à venir.

Le jardinier du futur utilise probablement un ou plusieurs robots, mais il vend une « expérience » – dans le sens où il raconte une histoire. Ce jardinier n’est pas forcément isolé, il peut profiter d’une communauté qui lui fournit du contenu – une éducation permanente – qui lui permet de vous toucher en faisant le lien entre votre jardin et vos vacances. Il peut également profiter d’une plateforme technologique qui lui fournit les robots autonomes qui vont tondre la pelouse ou tailler la haie. Il est probable également que ce jardinier « programme » le système (jardin + robots + environnement) avec la parole. Pour reprendre une citation d’un des membres de Singularity University : « We won’t program computers we’ll train them like dogs”.  Je crois beaucoup plus à cette vision qu’à la théorie selon laquelle nous aurons des ordinateurs tellement intelligents que cela signifierait la fin de la programmation. Ce qui est sûr, c’est que le sens de “programmer” et de qu’est le “code” va évoluer, mais l’activité de programmation d’expérience va au contraire se développer de plus en plus au fur et à mesure que l’environnement devient intelligent. Le robot que le jardiner va utiliser sera connecté et le dialogue avec le jardinier sera plus riche qu’une simple séquence d’opérations contextuelles. Pour rester dans la veine du Clue Train Manisfesto, je propose l’aphorisme suivant pour représenter la programmation de demain : « experiences are grown from conversations ».

Iconomie: Vision cible positive d’une société très fortement automatisée

Un maillage de plateformes et de micro-entreprises

Ma vision du paysage de l’emploi est un réseau multi-échelle maillé de structures de toutes tailles, depuis les grandes entreprises multinationales d’aujourd’hui jusqu’aux autoentrepreneurs, dans lequel le mouvement de polarisation (consolidation des grandes plateformes et multiplication des pico-entreprises) se poursuit et s’amplifie. Le point de départ de mon raisonnement est que nous aurons toujours des entreprises dans 20 ou 30 ans, et que le phénomène d’ubérisation du travail n’aura pas dissout le concept de l’entreprise. Je n’y reviens pas, j’ai traité en détail ce sujet dans mon billet précédent. Pour résumer, la complexité croissante du monde exige le travail synchrone, ce que remarquent tous les auteurs de la Silicon Valley, d’Eric Ries à Eric Schmitt. Ce sujet fait débat, ma position consiste à dire que les coûts de transaction, pour reprendre l’analyse de Coase et Williamson, reste minimisé lorsque les équipes cross-fonctionnelles modernes de développement produit sont co-localisées, synchronisées par des rituels et une vision « incarnée » commune et unifiée par un ensemble de techniques qui font des lieux un espace collaboratif (le « visual management » étant un exemple). L’évolution des technologies de communication (de la téléprésence à Hololens) déplace les frontières de ce qui est possible à distance en « mode plateforme », mais le même progrès technologique renforce le potentiel de l’environnement intelligent comme outil collaboratif.

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La mondialisation et la numérisation conduisent à la concentration. Ceci est très bien expliqué par les penseurs de l’iconomie comme Michel Volle. Les raisons sont multiples et profondes. L’économie numérique est principalement une économie de coûts fixes, ce qui favorise l’économie d’échelle. Bien plus important encore, les effets de réseaux – en particulier dans les marchés biface et dans le développement d’écosystèmes autour de plateformes – et les lois de réseau de type Metcalfe donnent un avantage important au plus gros joueur (souvent le premier mais pas forcément). Je vous renvoie à l’analyse de la valeur des réseaux sociaux pour voir un exemple ou les équations de renforcement de la position dominante sont encore plus forte que la loi de Metcalfe.  Dans le livre de Brynjolfson et McAffee, on lit: “Each time a market becomes more digital, these winner-take-all economics become a little more compelling”. Cette concentration ne produit pas plus d’emplois, d’autant plus qu’elle est nourrie par l’augmentation exponentielle des capacités technologiques et par l’automatisation que nous venons d’évoquer dans la partie précédente.

Heureusement, la concentration des plateformes conduit également à la croissance des écosystèmes qui leur sont associés, ce qui peut créer des opportunités pour une multiplicité d’acteurs locaux, tout comme un arbre qui grandit porte plus de feuilles. Cette croissance de la « frontière » peut poser question – elle peut sembler marquée par un optimisme technophile naïf -, mais elle est nourrie par l’explosion exponentielles des capacités technologiques et sur la tendance de fond (qui est liée à cette explosion) de mieux servir les individus (le mythique « segment of one ») et les communautés. Le second point va être développé dans le reste de cette deuxième partie, revenons donc sur le premier. Prenons justement l’exemple des capacités d’Intelligence Artificielle développées et exposées par Google (cf. TensorFlow). Il est plus que probable que si cette démarche est couronnée de succès, elle va contribuer à la croissance forte de Google. Mais elle va également ouvrir des champs possibles à un rythme supérieur que ce que Google peut produire, ce qui signifie qu’une partie encore plus importante de valeur va apparaitre « à la frontière », lorsque d’autres acteurs vont utiliser ces technologies mise à disposition par Google pour résoudre d’autres problèmes que ceux qui intéressent Google. On voit la même chose avec la croissance d’iOS comme plateforme mobile : au fur et à mesure que les capacités sont ajoutées dans la plateforme de développement de l’iPhone – on pense ici bien sûr à Siri – le domaine fonctionnel rendu possible à la communauté des applications mobiles augmente plus vite que ce qu’Apple en retire pour ses propres fonctions.

Economie Quaternaire et services à la personne

L’économie quaternaire, un concept que nous devons en particulier à Michelle Debonneuil, propose une extension des trois secteurs traditionnels – primaire pour les matières premières, secondaire pour la fabrication et tertiaire pour les services – à un nouveau domaine dont les produits ne sont ni des biens, ni des services, mais « de nouveaux services incorporant des biens, la mise à disposition temporaire de biens, de personnes, ou de combinaisons de biens et de personnes ». L’évolution vers l’économie quaternaire est fort logiquement liée, comme le souligne Michelle Debonneuil, aux progrès des TIC qui permettent d’apporter des services véritablement personnalisés sur le lieu précis où ils sont nécessaires, y compris dans gestions des femmes et des hommes qui rendent ces services de façon courte et ponctuelle. Le développement de l’économie quaternaire est indissociable du domaine des « services à la personne », dont l’essor est l’aboutissement naturel d’une société post-industrielle. Cet essor est fort logiquement accéléré par l’automatisation telle que décrite dans la première partie puisque ces « services à la personne » sont les domaines dans lesquels les humains peuvent exercer une supériorité sur la machine.

Ces domaines sont fort nombreux et peuvent, sous certaines conditions, permettre la pleine occupation, sinon le plein emploi, de la population déplacée par l’automatisation. Listons les plus évidents : l’alimentation (dans sa phase « finale » de service à la personne, de la cuisine au restaurant), l’habillement, l’aménagement des habitations, la médecine, le bien-être, l’éducation et la culture, la distraction, l’art, etc. Pour la plupart de ces domaines, le 20esiècle a été un siècle d’industrialisation et d’orientation vers les produits. L’économie quaternaire remet le client au centre de l’expérience et s’intéresse plus au service reçu et perçu qu’aux produits sous-jacents. C’est cette remise au centre de l’interaction entre l’utilisateur et le fournisseur qui permet de « réinventer » des métiers de services à la personne. Cette analyse est partagée par Erik Brynjolfson et Andrew McAffee qui écrivent:  « Results like these indicate that cooks, gardeners, repairmen, carpenters, dentists, and home health aides are not about to be replaced by machines in the short term ».

On pourrait me faire remarquer que cette vision de l’emploi en 2030, qui recoupe fortement des domaines de « service publics », conduit plutôt à l’augmentation du nombre de « fonctionnaires » qu’à leur diminution. Si le terme de fonctionnaire désigne de façon très large une personne financée par la collectivité, c’est probablement exact. Cela ne signifie pas que le nombre de personne ayant le statut de fonctionnaire doive augmenter, ni que le budget correspondant doive faire de même (ce qui semble clairement impossible de toute façon). Il a de nombreuses façons de contourner ce paradoxe, par exemple en appliquant à l’Etat les principes de l’Entreprise 3.0  pour réduire le poids de l’appareil de contrôle par rapport à l’appareil opérationnel. Ce n’est pas utopique, il existe de multiples exemples d’application des nouvelles structures de management dans les services publics dans d’autres pays. On peut également penser que les nouveaux modes de travail que nous allons continuer à décrire s’appliquent parfaitement à un grand nombre de services publics, à l’exception d’un tout petit nombre de fonctions régaliennes. Je pourrais pousser la malice à faire l’hypothèse que le déséquilibre du budget de l’Etat vient du trop grand nombre de personnes « payées pour leur cerveau gauche » (une autre façon de parler de ceux qui analysent et contrôlent au lieu de faire). Enfin, le grand mouvement de l’automatisation des fonctions transactionnelles évoqué dans la première partie offre une possibilité à l’Etat de redistribuer ces économies de fonctionnement vers des rôles d’interaction et de lien social.


L’artisanat et la personnalisation de masse

Je reviens ici sur une idée profonde d'Avi Reichental – dont j’ai déjà recommandé l’exposé TED – : La production de masse est une parenthèse historique, et nous allons pouvoir revenir au confort du sur-mesure dans de nombreux domaines grâce aux progrès de la technologie, en particulier l’impression 3D. Avi Reichental illustre cette idée sur le principe d’une chaussure qui combine l’impression 3D d’une semelle uniquement adaptée à la bio-morphologie de l’utilisateur avec l’assemblage/fabrication locale. La personnalisation de masse est due à la fois au progrès technologique (numérisation de la conception, impression 3D, automatisation de l’assemblage, …) qui fait émerger des plateformes mise à disposition du plus grand nombre, et le besoin de retrouver une expérience sociale de proximité. Il n’y a donc pas que l’approche technologique : un certain nombre de métiers d’artisanat d’art pourraient redevenir pertinents.

L’idée que nous allons tous vivre de notre créativité tandis que les machines s’occuperont de la production est naïve et probablement fausse. Le tissu de multinationales évoqué dans la première partie a besoin de nouveaux talents, et en particulier de créatifs et de designers, mais dans un petit nombre par rapport aux laissés pour compte de l’automatisation. En revanche, le monde « frontière » des opportunités de services, qu’il s’agisse d’adaptation au besoin d’une communauté ou d’un individu, ou encore d’accompagnement et de mise en scène –  par exemple, l’art de la parole a toujours été associé à la vente de vêtements – a une structure beaucoup plus riche et étendue que l’on pourrait qualifier de « fractale » ou de « multi-échelle ». Dans ce monde de l’interaction, il existe des opportunités à différents niveaux de talents, qui peuvent coexister. Le service d’interaction se déplace difficilement (en tout cas avec un coût) contrairement à une expérience digitale. Un service moyen fourni par un talent médiocre peut coexister avec un service plus élaboré. Les « artisans de la personnalisation » de masse peuvent opérer sur des échelles géographiques différentes selon leur talent, dessinant une « power law »  des bassins de chalandise. Cette coexistence ouvre la voie, surtout avec le support économique de l’état sur lequel nous allons revenir, à un marché abondant de services à la personne de toutes sorte. Cette renaissance de « l’artisan de proximité » risque de se trouver facilité par une pression communautaire – que l’on commence déjà à voir à l’œuvre – et une priorisation de ce qui est local sur ce qui est global, en contre-réaction à la mondialisation.

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Cette personnalisation des services à la personne est donc une double conséquence du progrès technologique : à la fois parce que le monde numérique facilite la personnalisation (dimension technique) mais aussi parce que la transformation due à l’automatisation (première partie) va rendre les services personnalisés d’interaction à la fois nécessaires et accessibles (nous reviendrons sur la dimension économique dans la dernière partie).  Si l’on applique cette idée de la personnalisation de masse à l’ensemble des domaines de services de la section précédente, on voit émerger ce qu’on pourrait qualifier de démocratisation de « privilèges aristocratiques du 19e siècle ». Non seulement l’accès aux vêtements, aux meubles sur mesure pourrait redevenir courant (ce qui était le cas il y a un siècle), mais les services d’un cuisinier, d’un tuteur, d’un coiffeur ou d’un masseur à domicile pourraient se démocratiser. De façon plus spectaculaire, la contribution d’un revenu universel pourrait permettre de rendre les métiers et les œuvres d’art accessible à (presque) tous. Dans un système économique qui permet à chacun de disposer d’un premier niveau de revenu garanti, il est possible à un beaucoup plus grand nombre d’artistes amateurs de vivre de leur art, et donc de permettre de la sorte à des citoyens ordinaires d’avoir le plaisir de posséder un tableau – par exemple – unique.

Les défis de la transition : accompagner le choc d’un changement de civilisation

La menace des robots de compagnie anthropomorphes  

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L’essor de la robotique au Japon montre que l’interaction émotionnelle avec des humains n’est pas un champ exclu aux robots. En fait ce domaine n’est pas particulièrement complexe, il n’est pas très difficile de donner des émotions aux robots et aux programmes – c’est un champ de recherche et d’expérimentation en plein essor – et il est encore moins difficile d’apprendre aux programmes à « lire nos émotions ». Comprendre nos émotions à partir d’un signal sonore (notre voix) ou visuel (la vidéo de notre visage) est un exemple type de problème de reconnaissance que nous avons évoqué dans la première partie, avec des réponses claires et des milliards d’exemple. Ce n’est pas une surprise de constater que le deep learning donne déjà d’excellent résultats, que chacun peut tester grâce à des API ouvertes (ou en téléchargeant « Moodies » sur son smartphone). Pire encore, il est très facile de tromper nos neurones miroirs avec des têtes artificielles qui s’adaptent à nos expressions faciales. J’en ai fait l’expérience surréaliste avec une tête artificielle fort simple il y a déjà 10 ans dans un laboratoire IBM. Pour résumer, il ne faut pas considérer que le domaine « emploi d’interaction » est hors de portée des progrès de l’automatisation.

En revanche, il y a un enjeu majeur de société car l’automatisation de l’interaction n’est pas un progrès en soi. Contrairement à la production et aux transactions, les gains en vitesse et précision qui sont souvent les objectifs de l’automatisation ne sont pas des enjeux majeurs. Il y a donc plus de liberté pour faire de l’automatisation un choix de société. L’enjeu est tout simplement d’accompagner une transformation plus harmonieuse vers l’iconomie en conservant pour de nombreuses décennies la primauté de l’humain dans les métiers de l’interaction. Si la société laisse le domaine de l’interaction être envahi par la robotisation, nous allons au-devant d’une véritable crise. Laissés à la loi du marché et du possible technologique, ces robots vont apparaitre et nous obtiendrons dans le meilleur des cas une société à deux vitesses et une multitude d’exclus. Dans le pire des cas, les tensions sociales seront insupportables et cela nous conduira à la guerre civile. Le Japon est un cas particulier car il y a un fort déficit démographique à cause du vieillissement de la population, mais de façon générale et simplifiée, il faut réserver les métiers d’interaction aux humains déplacés des fonctions de production et de transaction.

De fait, étant plutôt optimiste de nature, je pense que les pays démocratiques se protégeront en réglementant l’utilisation de robots humanoïdes. Cette réglementation n’est pas forcément une simple interdiction, cela peut être une forme de taxation qui permet à l’humain de rester compétitif par rapport à la machine. Il y a probablement un équilibre entre une pression sociale de conserver des humains dans ces emplois – et on peut s’attendre à des réactions violentes face aux robots s’ils sont introduits dans des « customer-facing jobs » dans une société en crise du travail –, une fiscalité du travail qui reconnait l’interaction et la substitution de la machine par l’homme, et la réduction du coût du travail humain au moyen du revenu universel sur lequel je reviens dans la section suivante. Ce scénario de contrôle de l’utilisation de robots humanoïdes n’est ni simple ni tranquille, la protection qui sera réclamée par la population face à l’automatisation des fonctions de production et de transaction peut prendre des formes de protestations régressives, allant jusqu’à des surprises importantes lors d’élections J Au risque de me répéter, vouloir freiner les robots humanoïdes n’est pas un jugement technologique (le développement de ce type de robots est non seulement possible, il est inévitable), ni moral (il n’y a rien de répréhensible en soi à vouloir créer des machines avec lesquelles il est plus facile de communiquer car elles nous ressemblent) mais systémique. Il ne s’agit que d’un réglage de vitesse de flux, au sein d’un écosystème avec des activités qui disparaissent et apparaissent, mais qui me semble essentiel. Il faut se donner le temps sur plusieurs générations pour absorber les transformations que la technologie va rendre possible. Notons également qu’il est quasi-impossible de lutter contre l’automatisation des fonctions de production et de transaction dans une économie mondialisée (il y aura toujours un acteur quelque part pour tirer le meilleur parti économique de la technologie), tandis que l’activité d’interaction n’est pas dé-localisable par définition et reste donc sous la juridiction économique des états.

Un revenu universel pour permettre à chacun d’exister

Le revenu universel – ou revenu de base, en suivant l’expression anglaise « Universal Basic Income » – apparait naturellement comme solution pour faciliter la transition vers l’iconomie. Un des spécialistes mondiaux du sujet, Guy Standing, a introduit le revenu universel pour éviter le « précariat » qui est précisément la condition des homme déclassés dans une société qui n’a plus besoin de leur activité : « [precariat] specifically, is the condition of lack of job security, including intermittent employment or underemployment and the resultant precarious existence ». Le revenu universel consiste à garantir à chacun un niveau minimum de ressources, sans conditions, pour permettre à tous de vivre dignement. Il est souvent présenté, comme par exemple par Gaspard Koenig qui est un des spécialistes français, comme un « nouveau droit de l’homme ». Je vous renvoie au site « Génération libre » pour plus de détails sur LIBER. Le sujet du revenu universel s’est d’ailleurs invité fort logiquement dans la campagne politique, avec des prises de positions de Bruno Hamon et de Nathalie Kosciusko-Morizet, ainsi que de notre premier ministre.  En suivant les pas de Guy Standing, ces femmes et hommes politiques constatent l’éclatement du marché du travail – sur lequel nous reviendrons dans la prochaine section-, la désindustrialisation et la création de laissés pour compte par une vague d’automatisation qui ne fait que s’amplifier. Le revenu universel est donc un premier réflexe de protection par la solidarité, ainsi, dans le cas de la France, une remise à plat d’un système de protection sociale complexe qui contient déjà les germes d’un revenu universel de base.

D’un point de vue systémique, l’objectif du revenu universel n’est pas de permettre l’oisiveté pour tous, mais de déplacer les contraintes de rentabilité des activités humaines. Très logiquement, c’est une façon de redonner au travail humain un peu de compétitivité vis-à-vis de celui de la machine. Il est donc logique de penser au revenu universel pour lutter contre les effets indésirables d’une automatisation trop rapide. De fait, l’objectif du revenu universel est de déplacer « une barrière de potentiel » pour permettre au plus grand nombre d’accéder et de réussir dans un statut d’entrepreneur.

Cette idée de « barrière de potentiel » est une métaphore qui illustre le fait qu’il existe des multiples opportunités de travail – en particulier dans les services à la personne pour tous – mais nous n’avons pas tous le talent d’en faire une activité rentable économiquement. Le revenu universel « déplace la barrière de potentiel » dans le sens où il permet à un plus grand nombre d’autoentrepreneurs de produire un complément de revenu à partir de leurs talents, à la fois en diminuant la prise de risque et le volume d’affaire à générer pour que l’autoentreprise soit viable. Cette position qui voit le revenu universel non pas comme une nouvelle forme d’assistance mais comme un démultiplicateur est l’objet de nombreux débats voire de nombreuses critiques. Je reste cependant convaincu qu’il y a une véritable adéquation avec le concept de la distribution « multi-échelle » (ou de « power law ») des talents et des opportunités, évoqué dans la deuxième partie. Autrement dit, pour que le « gisement des services à la personne » représente un « bassin d’activité suffisamment vaste » pour offrir du travail à la majorité des citoyens, il faut un modèle économique qui permette de vivre dès que le service fonctionne sur une micro-communauté, ce qui est rendu possible par le revenu de base universel. Je conjecture que la structure cible des services à la personne dans une iconomie de pleine activité est une structure de petits mondes au sens de Duncan Watts (ce qui nous renvoie à des billets très anciens de ce blog).

En effet, il ne s’agit pas d’assurer « simplement » à chacun un revenu de base, mais véritablement une opportunité de « Universal Inclusive Contribution » – pour faire le parallèle avec le concept original de « Universal Basic Income » : permettre à chacun de contribuer à la collectivité, de trouver sa « place » par un travail qui contribue à la société, ce que permet le modèle fractal des services d’interaction. Autrement dit, le revenu universel doit être l’opposé de l’assignement à résidence dont parle Emmanuel Macron, sans être non plus un travail « bénévole forcé ». Lors de mon intervention du 12 Octobre, je me suis permis d’utiliser l’image du statut « d’intermittent du spectacle » pour tous J Le débat en France autour de ce statut fait que cet emprunt n’est probablement pas judicieux, mais il y pourtant dans ce statut de nombreux points positifs puisqu’il joue précisément, avec succès, un rôle incitatif en fournissant un complément de revenu. Ce statut permet d’avoir une population active employées dans les métiers du spectacle qui est nettement supérieure à ce que la loi du marché produirait (une autre forme de « déplacement de barrière de potentiel »). Il y a aujourd’hui environ un million d’auto-entrepreneurs, il faut créer les conditions pour une augmentation de presque un ordre de grandeur. Je n’ai pas de « boule de cristal », mais il me semble clair que la répartition des statuts entre employés, « freelance » (cf. la section suivante) et autoentrepreneurs va devenir beaucoup plus équilibrée en 2030 qu’elle ne l’est aujourd’hui.


Fin de l’emploi, vive le travail ! Un nouveau contrat social

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La diminution des emplois salariés a déjà commencé. J’emprunte le titre de cette dernière section au livre deBernard Stiegler.  L’exemple du « cuisinier à domicile » permet de comprendre ce concept un peu théorique de « talent multi-échelle ». Le cuisinier médiocre est condamné à ne faire souffrir que ses proches de son absence de talents, mais celui qui a un petit talent peut l’exercer dans son voisinage proche (par exemple son immeuble) comme un service de proximité – pour dépanner. L’échelle suivante, d’autoentrepreneur non rentable est de procurer ses services dans son quartier. Plus le domaine grandit, plus on se rapproche d’un véritable statut d’artisan-entrepreneur. Un talent reconnu à l’échelle d’une ville permet de créer une entreprise traditionnelle, et on passe ensuite dans le domaine du professionnel reconnu. Compte-tenu du niveau de vie des Français, il y a peu d’emplois de cuisinier à domicile – même si l’on introduit des plateformes d’intermédiation de type Uber – mais si l’on regarde les opportunités créées par les vies complexes des salariés, il y a beaucoup de travail. C’est l’enjeu du modèle « intermittent du service à la personne ».

S’il est possible de fournir un travail pour tous, il semble en revanche probable que le modèle économique que je viens d’esquisser s’accompagne d’une décroissance des emplois, ce qui est la thèse du livre de Stiegler.  Thierry Breton lors de son intervention pendant le même séminaire du 12 Octobre nous a parlé de la « Gig economy ». Le président d’ATOS constate qu’un nombre croissant des jeunes recrutés ne souhaitent plus un emploi salarié et préfère la liberté d’un mode « freelance ». Pendant la semaine à la Singularity University, j’ai entendu le même message : le « freelance » représente déjà 35% de la force de travail en 2015 et les spécialistes prévoient 50% en 2020. Cette transformation illustre la complexité et la richesse des entreprises qui combinent la force des « liens forts » – des noyaux de permanents unis par les valeurs de la marque – et des « liens faibles » – l’appel à la richesse encore plus grande des talents extérieurs à l’entreprise. J’utilise ici bien évidemment l’appellation de liens forts et faible en référence à la sociologie, un emprunt que j’ai fait de nombreuses fois.

Il ne faut pas se crisper sur cette dualité des statuts : elle correspond à des aspirations différentes pour ceux qui travaille et à un besoin des nouvelles formes d’entreprises. Dans le best-seller « Exponential Organizations », les auteurs décrivent l’organisation idéale, celle qui permet de s’adapter aux flux continu du changement exponentiel des technologies, avec des modes de travail qui reflètent une partie des idées exprimées ici. Nathaniel Calhoun a reconnu pendant cette semaine à la Singularity University que ce nouveau mode d’organisation crée une contrainte sur les employés:  «  Exponential Organizations worsens the fate of labor ». Les auteurs de « Exponential Organizations » proposent l’acronyme SCALE qui signifie : "Staff" à la demande, Communautés, Algorithmes, effet de Levier sur les ressources et Engagement. IDEAS reflète les principes fondateurs : Interfaces (pour attirer les contributions externes),  Dashboards (pour décider à partir des mesures), Expérimentation, Autonomie et Social (Enterprise 2.0). Ces nouveaux modes d’organisation sont des leviers d’adaptabilité et de flexibilité, mais je rejoins Luc Ferry lorsqu’il souligne le besoin de régulation à cause de la brutalité du capitalisme à l’œuvre dans la révolution digitale (depuis les conditions Uber/Amazon jusqu’aux politiques d’évasion fiscale des GAFAs).

Pour conclure, il convient de souligner que ce nouveau mode de vie, en dehors du statut « traditionnel » de salarié, peut être aspirationnel.  Le travail de cuisinier à domicile est un travail noble, qui demande un goût de l’interaction avec les personnes en permettant de nourrir sa passion pour l’art culinaire. En revanche, une telle transformation de la société et de la culture représente un défi formidable qu’il faut accompagner. La réalisation de soi à travers une position salariée dans une entreprise, même si elle est récente dans l’histoire de l’humanité, a suffisamment marqué les dernières générations pour que l’adoption d’un modèle différent soit une révolution. Il y a de multiples éléments favorables. Comme l’a souligné Joël de Rosnay, les jeunes portent un regard différent que celui de leurs aînés sur le travail. Ils sont volontiers des « slashers », à la recherche de la passion et des interactions dans leurs activités professionnelles. Ils sont plus à la recherche de projets qui se renouvellent fréquemment (ce qui nourrit la « gig economy ») et vivent plus confortablement que les générations précédentes l’intrication entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Néanmoins, à l’échelle de la société, cette évolution doit être accompagnée par la formation et l’éducation. Je termine en vous renvoyant à Michel Volle que j’avais déjà cité dans mon billet précédent : cette nouvelle économie des microentreprises et des services à la personne nécessite une revalorisation des compétences gestuelles et relationnelles.

  • L’expert

yves-caseau-2016

Yves Caseau est le chef de l'Agence numérique du Groupe AXA . L'Agence numérique, en ligne avec la stratégie numérique d'AXA, développe des produits et services numériques pour les entités du Groupe, avec un accent sur les applications mobiles et les objets connectés, une innovation favorise centrée sur le client suivant les Lean Startup principes.

Lire aussi: Relire et revoir la semaine spéciale emploi dans le numérique

lundi, 12 octobre 2015

Capitalisme numérique (moins de travail) et financier (plus de spéculation) tueront les retraites par capitalisation à moyen terme.

La retraite par capitalisation est aussi compromise à moyen terme que la retraite par capitalisation.

Il y a un point commun incontournable entre retraite par répartition et capitalisation, c'est que ce sont deux formes d’assurance fondées directement ou indirectement sur le travail humain, in fine, seule source possible de rémunération !

- Dans le 1e cas c’est le travail des générations suivantes, qui paye les retraites, et si ces génération ont du travail et que leur démographie n'a pas trop faibli, tout va très bien puisqu’en prime c’est un mécanisme de solidarité entre générations fondamental qui permet de nourrir les liens sociaux et à la vie humaine de prospérer.

- Dans le 2e cas, la retraite par capitalisation, celle-ci est généralement présentée comme un mécanisme financier extrêmement souple et très séducteur sur lequel les promoteurs de ce système ne se privent pas de faire rêver le citoyens. Attention à les écouter, n’oubliez surtout pas monsieur De La Fontaine (et Plaute avant lui),  qui nous a rappelé “Dans le Renard et le Corbeau” que “tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute” ! Ils ne vous mangeront pas, mais il vous prendront une grosse part de votre fromage !

Car, les systèmes financiers gèrent essentiellement de la dette, tandis que les systèmes d’assurance gèrent de la solidarité, sauf quand ils passent par des systèmes financiers classiques de placement et deviennent donc dépendant de la gestion des dettes associées et des méthodes d’évaluation des actifs.

L’élément le plus positif des retraites par capitalisation. est assurément que les effets de la Globalisation permettent au capital d’aller chercher le travail n'importe où dans le monde tant qu'il n'y a pas extinction de population.

    Collatéralement comme disent les économistes modernes, ce Capitalisme Globalisé permet un peu (c’est un euphémisme) d’exploiter - avec beaucoup d’hypocrisie aussi bien de la part des dirigeants que des consommateurs - non seulement la pauvreté, mais aussi la misère. Ce dernier point n’est pas très utile pour ce que je veux vous faire retenir, car de toute façon 80% de la population s’en accommode.

    De même que le fait qu’au passage cette Globalisation permette aussi de se débarrasser de quelques emplois devenus relativement trop couteux, et de scier la branche des solidarités sur lesquelles nous sommes assis, qui touchent aussi bien l’assurance retraite que l’assurance maladie. Là aussi cet aspect des choses doit être considéré comme ponctuel car après tout, il est toujours possible d’imaginer inverser.

En revanche, plus irréversible, les défenseurs de ce Capitalisme là (je pense qu’il peut y avoir des formes moins sauvages de capitalisme), remplace petit à petit toute idée de solidarité, par celle de “chacun pour sa peau” alors que l’individualisme triomphe depuis plus de 50 ans et fait de plus en plus de dégâts, via la consommation et les nuisances qu’elle engendre au niveau Mondial.

Dans tous les cas, le principal ennui c'est le travail humain. Ce dernier régresse sous les coups de l’automatisation  et de la révolution numérique qui n’en finit pas de progresser, avec une efficacité redoutable dans tous les domaines, allant de pair avec les progrès scientifiques et technologiques que permettent le profiling des personnes à l'échelle mondiale, et l'accumulation des gisements de données.

Ce capitalisme numérique contribuera pendant des dizaines d'année, à détruire de plus en plus de travail humain. C'est d'ailleurs le sujet d’un travail de Daniel Cohen dont la thèse est que le problème ce n'est plus la mondialisation mais la numérisation !

La force de traction, la manière qu'avait le progrès technique de tirer le pouvoir d'achat, est donc considérablement affaiblie. Certes, le consommateur bénéficie de ce progrès technique. Même allongé sur la plage, je profite des progrès d'Internet... Et les distributeurs automatiques de billets rendent les clients des banques plus efficaces, mais celui qui distribuait les billets n'en est pas devenu plus productif : il a simplement perdu son emploi. Il retrouvera un job utile, certainement, dans les services à la personne par exemple, mais pas plus productif. Sans rapport de complémentarité. Aujourd'hui, les emplois demandés sont ceux où on se trouve en face à face, où l'ordinateur n'accède pas.”

Dans lointain futur, on pourrait imaginer qu’à défaut de pouvoir tirer des revenus suffisant de son propre travail, on puisse vivre du travail et des services rendus par les machines dont on serait propriétaire. Ce dernier point soulève de nouvelles questions comment acquérir ses 1e machines, comment les renouveler quant elles deviennent obsolètes ? Et laisse envisager de nouveaux problèmes de solidarités, que ce soit en cas de perte accidentelle de son matériel ou que ce soit pour des raison de mise à la retraite du matériel réformé! Il passera beaucoup d’eau sous les ponts avant qu’on arrive à construire une telle économie et à la rendre à peu près équitable !

Si on ajoute les effets de la spéculation à l'échelle mondiale, la généralisation de la retraite par capitalisation est un leurre.

Elle n’a rien d’une assurance fondée sur la solidarité. Elle valorise l’individualisme, le chacun pour soi et des formes de concurrence sauvage. Les mécanismes financiers de gestion de dettes ou les méthodes d’évaluation des actifs, la rendent très dépendante du bon vouloir des grands financiers et des banques centrales à contrôler la forte volatilité des marchés et à ne pas spolier le public au profit des grandes institutions ou entreprises. L’État peut avoir à tout moment la fâcheuse tentation d’orienter les investissements sur des voies uniformes et pas suffisamment variées pour limiter les risques de défaillance des entreprises.

Bref si actuellement rien n’exclue de recourir à des systèmes de capitalisation en complément du système de retraite par répartition plus ou moins défaillant du fait d’un mauvais rapport actifs/retraités, je souhaite pour mes enfants les plus jeunes qu’on éviter d’en faire la panacée universelle. Car à  terme la numérisation massive de la société le menacera autant que le système par répartition.

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-numerique-s-...

http://www.telerama.fr/idees/david-graeber-anthropologue-...

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jeudi, 01 mai 2014

L’optimisation fiscale

http://www.journaldeleconomie.fr/tags/optimisation+fiscale/

13:19 Publié dans Capital et Travail, Économie | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |

vendredi, 17 janvier 2014

Le coût du capital est aussi trop cher

Depuis longtemps on a droit à la rengaine du coût du travail en France qui est trop élevé.

On oublie malheureusement bien souvent que le coût du capital au niveau mondial et en France est aussi excessivement cher.

En France, le bipartisme fait qu’on ne peut abaisser que l’un à l’exclusion de l’autre. Et dans les 2 camps on n’est guère à la pointe de l’innovation qu’avec des mots, pour faire du Marketing. Avec des dirigeants loin d’avoir la capacité d’anticiper les tendances du marché, et au contraire, plutôt en train de leur courir après.

Que l’on abaisse l’un ou l’autre, les capacités d’innovation à rythme élevé et ciblé sur des débouchés à haute rentabilité, des élites françaises, restent trop faibles pour espérer un retour de situation spectaculaire et des résultats tangibles avant longtemps.

Méditons avec Rob Enderle, sur les choix et objectifs d’investissement de Michael DELL qui vient de racheter un nombre conséquent d’actions de son entreprise pour en redevenir l’entrepreneur dirigeant, et échapper à la dictature des actionnaires mais aussi  dégraisser son Marketing et ses équipes de vente aux Etats-Unis et en Europe !

Les trois défis de Dell en 2014

Le Monde Informatique du 30/12/2013

http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-les-tro...

Les trois défis de Dell en 2014

Notre confrère d'IDG, Rob Enderle, a eu une grande discussion avec Michael Dell lors de la conférence DellWorld 2013 à Austin.

Les deux hommes se sont notamment entretenus sur les changements qu'allait apporter la privatisation du constructeur texan.

[…]

« Depuis qu'il n'est plus redevable aux actionnaires et aux résultats trimestriels, le constructeur semble se focaliser sur l'innovation et sur le renouvellement de son engagement auprès de ses clients et de ses partenaires. À longs termes, cela devrait faire de Michael Dell un meilleur CEO et de Dell une meilleure entreprise », estime Rob Enderle qui voit le renouveau du constructeur s'axer autour de trois points.

1 - L'innovation : les robots, les scanners et Watson
« J'ai partagé avec Michael Dell ma conviction que les robots, les scanners 3D, les systèmes intelligents et les supraconducteurs sont en concurrence pour devenir les prochaines grandes innovations de l'IT. Google travaille avec acharnement sur les robots, HP sur les imprimantes et les scanners 3D et IBM sur l'intelligence artificielle avec son programme Watson. J'ai demandé à Michael Dell quels étaient ses plans pour faire partie de cette course.
Alors qu'il n'a ni confirmé ni infirmé travailler sur une de ces choses, il a souligné qu'avec la privatisation, Dell allait gagner 1 milliard de dollars supplémentaire chaque année. Cet argent sera consacré au rachat de la dette et à de gros paris sur l'avenir, incluant ou non les technologies mentionnées plus haut. Depuis que Dell fait office de référence sur la manière de racheter des sociétés, l'acquisition d'entreprises déjà avancées dans certains secteurs est une possibilité clairement envisagée.
Dell est maintenant libre de créer une nouvelle vague et le dirigeant semble heureux de pouvoir anticiper les tendances du marché plutôt que de courir après
».

2 - Garder des clients heureux est plus facile sans actionnaires
« Les gens ne se rendent pas compte que le CEO d'une société cotée est là pour équilibrer ses intérêts au sein d'un certain nombre de clients importants. Cela inclut principalement de répondre aux demandes des actionnaires qui exigent toujours des dividendes plus élevés. Le CEO ne se préoccupe pas franchement de la satisfaction du client, des employés ou de la pérennité de l'entreprise. C'est ainsi que Mark Hurd obtenait de très bons résultats en tant que CEO d'HP même si l'entreprise était paralysée. De plus, la rémunération des CEO est souvent liée au cours de l'action, cela les pousse à faire des choses stupides pour assurer la rentabilité de l'entreprise. En privatisant sa société éponyme, Michael Dell n'a plus qu'à se soucier de la satisfaction des clients et de ses partenaires. Et même s'il existe une légère tension entre ces deux groupes, elle est moindre que celles créée par les investisseurs. En conséquences, je reçois beaucoup moins de plaintes sur Dell, ses clients ont l'air beaucoup plus heureux.
Certes, cette sympathie est en partie due au désamour des anciens clients de Sun chez Oracle qui fait bonne presse aux  concurrents mais le focus de Dell sur les clients n'est pas passé inaperçu. De plus, cela arrive avant que les grands changements apportés par la privatisation soient mis en place. Le constructeur veut ainsi transformer ses partenariats en avantages concurrentiels.
Alors que la plupart de ses concurrents s'attaquent à chaque opportunité du marché, aussi petite soit-elle, Dell compte prendre certaines précautions dans ce combat. Cela est principalement vrai au niveau des services web. Sur ce secteur, l'entreprise texane compte adopter une stratégie qui la différencie des autres firmes.
Plutôt que de les considérer comme des concurrents potentiels et d'entrer en guerre avec elles, Dell traite les sociétés de services web comme des clients lambdas, ce qui semble porter ses fruits : elles favorisent Dell pour leurs serveurs. Il est vrai que les sociétés n'aiment pas acheter du matériel à leurs concurrents. Cela donne à Dell un net avantage concurrentiel, du moins en ce qui concerne les entreprises qui comme lui font à la fois des serveurs et des services web.
Certaines sociétés de services web étaient d'ailleurs prêtes à développer leurs propres solutions matérielles. Suite à son changement de politique, Dell peut leur offrir une meilleure alternative en leur apportant des services et de l'expérience. Elles obtiennent ainsi un résultat plus fiable avec un coût de possession moindre
».

3 - Être CEO d'une entreprise non cotée est beaucoup plus facile
« J'ai remarqué que les CEO des entreprises cotées, ont tendance à faire trois choses : se surmener (Steve Jobs), se concentrer uniquement sur le cours de l'action et nuire à l'entreprise (Mark Hurd), ou prendre le poste pour acquis et seulement en collecter les avantages (Carly Fiorina chez HP).
Ces exemples sont extrêmes mais souvent vous trouverez un mélange de ces trois défauts chez la plupart des chefs d'entreprises cotées. En tant que fondateur, Michael Dell ne devrait pas être tenté par les deux derniers problèmes énoncés. De plus, le surmenage et l'obsession du cours de l'action sont souvent propres aux entreprises cotées.
Le plus grand avantage d'une entreprise non cotée est qu'elle permet à son CEO de réfléchir aux moyens de faire progresser l'entreprise et d'être un meilleur gestionnaire. L'amélioration des relations avec les clients et les partenaires ou des produits plus innovants ne sont pas les seules promesses de la privatisation de Dell. Le résultat final est surtout une direction beaucoup plus forte et donc un constructeur, lui aussi renforcé
. »

À propos de Rob Enderle

Rob Enderle est président et analyste principal du groupe Enderle. Il était auparavant, directeur de recherche pour Giga Information Group et Forrester Research. Il a également travaillé pour IBM aussi bien dans l'audit interne, l'analyse concurrentielle, le marketing, la finance et la sécurité. Actuellement, Rob Enderle écrit sur les nouvelles technologies, la sécurité et Linux pour différentes publications et apparaît dans des émissions de télévision américaines sur CNBC, FOX, Bloomberg et NPR.

14:37 Publié dans Capital et Travail, Gouvernance, Innovation | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |

mercredi, 29 février 2012

Quand le CAC40 prépare l’alternance

François Hollande et le monde des affaires. Par Geoffrey Geuen

January 30, 2012 http://www.jolimai.org/?p=193

Enquête sur les véritables lieux du pouvoir. Par Geoffrey Geuen

january 25, 2012 http://www.jolimai.org/?p=294

Après s’être penché sur les interactions entre le pouvoir et les médias (dans Tous pouvoirs confondus, éd. EPO), Geoffrey Geuens poursuit ses recherches et dissèque les liaisons dangereuses entre big pouvoir et big business dans son dernier ouvrage (La finance imaginaire)

13:08 Publié dans Blog, Capital et Travail | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |