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lundi, 08 juin 2009

TGV magazine Mai p 96 - LIBRE ARBITRE : DÉBAT SUR UN SUJET QUI DIVISE.

Interview Claude MANDIL et Jean-Marc Jancovici

Industrie lourde

Faut-il taxer davantage les énergies fossiles?

80 % des énergies consommées dans le monde, aujourd’hui, sont d’origine fossile. Or, les prix du pétrole, du charbon et du gaz ne prennent pas en compte les pollutions qu’ils occasionnent: Faut-il alors taxer davantage les énergies fossiles et organiser délibérément leur rareté?

CLAUDE MANDIL
est ancien directeur de l’institut français du pétrole et
de l’Agence internationale de l’énergie.

"Il ne faut pas protéger le consommateur de la hausse des prix".

Il est l’auteur du rapport «Sécurité énergétique et
Union européenne,
».
Sécurité énergétique et Union européenne. Propositions
pour la présidence française,
rapport au Premier ministre
(21avril 2008), par Claude Mandil (La Documentation
française, 2008).

JEAN-MARC JANCOVICI http://www.manicore.com/
est ingénieur-conseil et enseignant.
Le plein s’il vous plaît, de Jean-Marc Jancovici et
Alain Grandjean (Seuil, 2006).
C’est maintenant! Trois ans pour sauver le monde,
de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean (Seuil, 2009).

Nous nous approchons du pic de la production pétrolière qui marquera le début de la baisse de l’offre. Quelle influence ce pic aura-t-il sur le paysage socio-économique mondial?

Claude Mandil :

Si la pénurie est mise sur le compte de ressources géologiques insuffisantes, je ne partage pas le pessimisme des spécialistes dont vous parlez. En revanche, nous assistons à deux évolutions contradictoires. Les investissements d’exploration et de production pétrolière sont en forte baisse du fait de la crise économique et de la raréfaction du crédit. C’est cela qui va diminuer la production dans les prochaines années. Parallèlement, la consommation de produits pétroliers est aussi en baisse, du fait de la crise, bien sûr, mais aussi parce que les comportements commencent à évoluer dans le monde, en particulier pour lutter contre le changement climatique. Voyez aux États-Unis, par exemple. Un scénario optimiste serait que ces deux évolutions soient symétriques. Ce n’est pas exclu.

Jean-Marc Jancovici :

Revenons aux bases. L’énergie est tout simplement l’unité de compte de la transformation du monde. Au siècle dernier, le prix de l’énergie a été divisé par dix. Ce qui signifie que l’unité de transformation du monde coûte aujourd’hui dix fois moins cher qu’hier. Environ 35 % de cette unité de transformation du monde provient du pétrole, dont le prix détermine celui des autres énergies. Jusqu’à maintenant, le pétrole a été disponible en quantité croissante, à coût décroissant. Aujourd’hui, nous nous approchons du pic. Au moment où la taille du gâteau se réduit pour tout le monde, les négociations qui portent sur la répartition des parts de celui-ci risquent d’être difficiles. Les pays fortement dépendants, comme la France, vont voir leur part du gâteau se réduire, et le prix réel de chaque portion de celui-ci augmenter. Ce prix réel peut augmenter à travers un mécanisme de rationnement.

Une intervention publique visant à organiser volontairement la réduction de la consommation de pétrole n’est elle pas souhaitable afin d’éviter de consommer les réserves disponibles et prévenir l’aggravation de la crise climatique?

Claude Mandil :

Le rôle des États est essentiel. Il ne s’agit pas de rationner ou d’interdire, mais de mettre en place les mécanismes qui permettent aux acteurs économiques de faire les bons choix. Cela passe par des mécanismes de marché (les certificats d’émission), des taxes, de la réglementation (codes de construction, par exemple, ou normes de consommation des véhicules et des appareils domestiques), par la suppression des subventions à la consommation (les tarifs réglementés en France) et un vigoureux effort de recherche publique.

Jean-Marc Jancovici :

Nous allons de toute façon réduire, d’ici peu, notre consommation de pétrole sous le coup de la contrainte géologique de l’approvisionnement. Mais la diminution sera d’autant plus dure qu’elle n’aura pas été souhaitée et organisée. Il y a, de toute façon, trop de combustibles fossiles de manière globale (gaz, pétrole, charbon) pour avoir le droit d’attendre le pic pour toutes ces énergies si nous voulons préserver le climat. Si nous voulons réduire volontairement la consommation de pétrole — l’autre terme de l’alternative étant la réduction involontaire — nous aurons alors le choix entre le rationnement, option retenue pour les industriels, et la taxe.

Dans une démocratie, la taxe est néanmoins plus facile à mettre en œuvre pour les particuliers que les tickets de rationnement. Les « permis de polluer » négociables ont-ils contribué à réduire la consommation d’énergie fossile?

Claude Mandil :

Il ne faut pas confondre les objectifs et les moyens. Ce qui limite la consommation d’énergie fossile, c’est la décision politique de limiter les émissions de C02. C’est, par exemple, la décision prise par les signataires du protocole de Kyoto avec des objectifs pour 2012 (moins 8 % par rapport à 1990) ou le projet de l’Union européenne pour 2020 (moins 20 %). Les certificats d’émission — n’appelons pas cela « permis de polluer », c’est inutilement péjoratif— ne sont qu’un mécanisme pour répartir la charge de la façon la moins coûteuse possible. Dans son principe, ce mécanisme est excellent. La mise en œuvre par l’Union européenne, qui a courageusement essuyé les plâtres, a fait apparaître de graves imperfections trop de certificats, pas de mise aux enchères, pas d’institut d’émission pour acheter ou vendre des permis en fonction des cours.

La seconde phase, après 2012, devra tenir compte de l’expérience acquise, et supprimer ces imperfections.

Jean-Marc Jancovici :

Les industriels ont accompli, depuis 1975, des efforts considérables de réduction de leur consommation d’énergie. Aujourd’hui, les mauvais élèves de la classe sont très clairement les particuliers qui n’entendent pas du tout renoncer à leurs déplacements en voiture et en avion, ni au chauffage central l’hiver. Ce système demande cependant à être complété. Les « permis de polluer » ont, aujourd’hui, deux défauts : ils ont été donnés sur des durées trop courtes - trois à cinq ans —, qui ne correspondent pas au temps long d’investissements industriels qui s’étalent sur vingt à cinquante ans; son second défaut tient au fait que les gens n’ont pas de visibilité sur le prix minimal que leur coûtera leur inaction. Il faut améliorer le système en donnant les autorisations, à l’avance, sur des durées beaucoup plus longues. Et encadrer le marché et la spéculation en garantissant une forme de prix plancher et de prix plafond. Ce qui rapproche le système d’une taxe. Si l’on veut que les acteurs acceptent des quantités d’émissions les plus basses qu’il soit possible, il faut alors donner beaucoup de visibilité à ces prix dès le début de la partie.

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC TARIANT

01:01 Publié dans Décroissance, Écologie, Énergie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : décroissance | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |

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