mercredi, 04 janvier 2017
Le futur du travail et la mutation des emplois
Par Yves Caseau, chef de l'Agence numérique du Groupe AXA
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Par Les Experts | le 5 décembre 2016 | 1 Comment
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Le billet de ce jour rassemble un certain nombre de réflexions autour du «futur du travail». Ce sujet est particulièrement d’actualité en ce moment, qu’il s’agisse de la presse ou de la préparation de la campagne présidentielle. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de passer une semaine à la Singularity University dans le cadre du Singularity University Executive Program, ce qui m’a permis d’approfondir mes idées sur le sujet. Ce billet reprend les points principaux que j’ai développé le 12 octobre lors du séminaire de l’Académie des Technologies, lors d’une conférence intitulée «Emploi et travail dans un monde envahi par les robots et les systèmes intelligents». Il s’inscrit dans la continuité d’un premier billet écrit il y a deux ans, mais j’ai affiné mon diagnostic et j’ai donc des convictions plus fortes et plus précises.
La première partie fait le point sur la question de l’automatisation – des robots à l’intelligence artificielle – et de son impact sur les emplois. Depuis la publication du rapport de Frey-Osborne en 2012, il y a eu de nombreuses réactions. La plupart sont conservatrices et prudentes, qu’il s’agisse du rapport de l’OCDE ou du livre récent de Luc Ferry. Je ne partage pas ce revirement comme je vais l’exprimer, particulièrement après avoir passé cette semaine à la Singularity University. Je vais au contraire développer une vision de l’évolution du travail dans laquelle l’homme est complémentaire de ces nouvelles formes automatisées de production et de création de valeur.
La seconde partie est une réflexion sur la société à la quelle conduit cette nouvelle vision du travail. C’est, par construction, une contribution à l’iconomie, c’est-à-dire l’organisation de l’économie dans le cadre d’une exploitation pleine et entière des bénéfices de la technologie de l’information, y compris dans ces capacités d’automatisation (lire la définition de Michel Volle). Je propose une vision «fractale / multi-echelle» de l’ iconomie qui réconcilie la domination des plateformes («winners take all») et le retour de la «localisation» (la priorité donnée à la communauté et au territoire ) face au désarroi (pour rester mesuré) que cette rupture de paradigme va produire. Dans la tradition des «power laws» de la nouvelle économie, les bassins d’opportunité créés par le progrès technologique ont une structure maillée et multi-échelle qui contient une «longue traine» de micro-opportunités pour microentreprises.
La troisième partie porte sur cette rupture, la transition de phase entre le modèle actuel de l’emploi qui est clairement à bout de souffle et un modèle possible, correspondant à la vision développée dans les deux premières parties. C’est la question fondamentale, et la plus difficile : même pour les partisans d’une vision optimiste du progrès technologique dont je fais partie, la transition qui s’annonce est complexe, voire brutale. Même si le titre du livre de Bernard Stiegler « L’emploi est mort, vive le travail ! » contient un message positif, ce changement n’est pas moins qu’une révolution, qui est par ailleurs déjà engagée. Face à un changement qui s’accélère et des vagues d’automatisation nouvelles qui se dessinent, je suis persuadé que le monde politique a un rendez-vous avec l’Histoire, et qu’un certain nombre de mesures sont nécessaires pour éviter des scénarios noirs qui sont fort bien décrits dans des ouvrages de science-fiction. Il est possible de construire une société équilibrée autour de l’iconomie, mais la tendance naturelle du techno-système, sans intervention et régulation, est d’aller vers la polarisation et l’affrontement.
J’ai résisté à la tentation facétieuse et opportuniste de nommer ce billet « comprendre les causes profondes de l’élection de Donald Trump », mais je pense néanmoins qu’une des causes essentielles de cette élection, qui semble défier le sens commun, est qu’une grande partie des électeurs sentent plus ou moins confusément qu’un monde est en train de se construire dans lequel ils n’ont plus de place. Ce n’est pas une « simple » réaction à la désindustrialisation, c’est une peur de se retrouver « assignés à résidence », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, sans utilité pour cette nouvelle société technologique et automatisée. Le défi qui est devant nous est de rendre l’iconomie « inclusive », c’est-à-dire avec une place pour chacun qui lui permette de contribuer au travers de son activité.
Automatisation, Intelligence Artificielle et destruction d’emploi : état des lieux
Une révolution numérique qui détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée
Depuis l’étude « The Future of Employment » de Carl B.Frey et Michael A. Osborne, qui a annoncé que 47% des emplois seraient menacés aux US par l’automatisation, le débat est intense. D’un côté, il existe de nombreuses études similaires, comme par exemple celle sur le marché UK qui arrive à des résultats du même ordre de grandeur (au UK ou aux US). D’un autre côté, on trouve des études plus nuancées et moins pessimistes, comme celle de l’OCDE ou celle de McKinsey. C’est ce qui fait prendre à Luc Ferry une position plus rassurante dans son livre « La révolution transhumanisme ». Je ne partage pas ce nouvel optimisme. Un des arguments est qu’une partie des tâches, et non pas des emplois, sont touchés. Mon expérience est que les entreprises ont acquis la capacité à redistribuer les tâches pour transformer les gains en efficacité en réduction de coûts salariaux, en dehors d’une hypothèse de croissance.
Ce qui me range dans le camp de l’étude Frey-Osborne, c’est que les arguments des conservateurs reposent sur une analyse du passé sur ce qu’on peut attendre des progrès de l’Intelligence Artificielle. Il me semble imprudent de s’appuyer sur toutes les promesses non-tenues des décennies précédentes pour en conclure que l’automatisation poursuit une lente progression « as usal ». Je vous renvoie au deuxième livre de Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, « The Second Machine Age », pour vous convaincre qu’une nouvelle vague d’automatisation arrive à grand pas, avec une accélération spectaculaire lors des dernières années de ce qui est possible. Les auteurs reviennent en détail sur des avancées telles que les diagnostics médicaux par une intelligence artificielle, les véhicules autonomes ou les robots qui écrivent des articles pour les journaux. Pour reprendre une de leurs citations : « Computers and robots are acquiring our ordinary skills at an extraordinary rate”. Je viens de passer une semaine à la Singularity Universityet les exemples plus récents présentés pendant cet “executive program” renforcent et amplifient les messages du “Second Machine Age”. Il est assez juste de remarquer, comme le fait Erik Brynjolfson dans un de ses exposés récents, que nous nous ne sommes pas « en crise, mais en transformation », mais cela ne change pas grand-chose au défi qui nous est posé. Dans ce même livre les auteurs nous disent que la transformation produite par la technologie est bénéfique … mais pose des « défis épineux ».
Les usines « sans humains » sont déjà là, les exemples sont multiples, de différentes tailles et dans différents domaines. L’exemple de l’usine de Sharp pour produire des dalles LCD, que j’ai pu visiter personnellement, est spectaculaire : moins de 20 personnes pour plus d’un kilomètre carré d’usine, cette visite, qui date déjà de plusieurs années, m’a profondément marquée. L’exemple de l’usine de fabrication de Tesla est non moins exemplaire, à la fois par le choix de la relocalisation et l’automatisation la plus poussée possible. Le cas de l’usine de Sélestat du groupe SALM est un peu moins spectaculaire, mais tout aussi instructif. Le fait que le monde change aussi vite sous nos yeux doit d’ailleurs nous conduire à beaucoup de prudence sur les études que je viens de citer. Comme le remarque Neil Jacobstein, que j’ai eu le plaisir d’écouter sur ce sujet à la Singularity University, ces études s’appuient sur une continuité des types de tâches à effectuer (ce qui permet d’appliquer le peigne de l’analyse de la future capacité à automatiser), une sorte de « everything being equal », qui est probablement valide sur une courte échelle (quelques années) mais beaucoup plus discutable sur quelques décennies.
Il va falloir du temps pour remplacer complètement les humains dans les processus
Comme je le remarquais dans mon billet précédent, la route vers l’automatisation n’est pas simple. Les annonces célèbres de Foxcon qui voulait remplacer ses 300 000 employés par un million de robots n’ont pas été suivies d’effets notables pour l’instant. En revanche, l’automatisation des entrepôts d’Amazon avec des robot KIVA est une réalité, tout comme celle des usines « sans humains » que nous avons mentionnées. Cette réalité contrastée s’explique par le fait que l’automatisation des tâches non répétitives reste complexe. Plus précisément, les progrès en apprentissage – en particulier le deep learning – sont spectaculaires lorsque la question à résoudre est précise et lorsqu’il existe beaucoup de données pour apprendre. En revanche, s’il y a peu de données (s’il faut extrapoler sur peu de faits, le « sens commun » devient fondamental et cela reste un sujet difficile) et surtout si l’objectif est mal défini (et encore plus lorsqu’il s’agit de définir ses propres objectifs), l’être humain conserve pour quelques temps un avantage sur la machine. Ceci conduit à un article récent de McKinsey intitulé « Where machines could replace humans—and where they can’t (yet) » qui aboutit au même ordre de grandeur sur ce qui est substituable et ce qui ne l’est pas. Pour comprendre ce qui est déjà possible et ce qui ne l’est pas encore, je vous recommande « What Artificial Intelligence Can and Can’t Do Right Now » de Andrew Ng. Mais les limites d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain !
Une des conséquences de l’état de l’art en IA est que l’automatisation des emplois peut commencer par des emplois d’experts et non de généralistes. C’est ce qu’expliquent Brynjolfson et McAffe : « As the cognitive scientist Steven Pinker puts it, “The main lesson of thirty-five years of AI research is that the hard problems are easy and the easy problems are hard. . . . As the new generation of intelligent devices appears, it will be the stock analysts and petrochemical engineers and parole board members who are in danger of being replaced by machines. The gardeners, receptionists, and cooks are secure in their jobs for decades to come.” C’est précisément ce qui m’a frappé pendant ma semaine à la Singularity University : les exemples abondent de domaines pour lesquels l’algorithme fait mieux que l’humain, mais ce sont précisément des domaines d’experts avec une question bien définie (quel portefeuille d’investissement construire, quel diagnostic sur une tumeur possiblement cancéreuse, …) et une très grande volumétrie de données disponibles. Grace au groupe de travail de l’Académie des Technologies qui poursuit son enquête sur les avancées “récentes” de l’IA et de l’apprentissage, ma conviction se conforte que, même si la date est incertaine, la tendance à l’automatisation des emplois du rapport Frey-Osborne est la bonne.
Cette notion d’automatisation des emplois est un raccourci qui est probablement trompeur, dans le sens que plutôt d’avoir des robots et des logiciels d’intelligence artificielle qui vont remplacer des humains un par un, c’est l’environnement complet qui devient “intelligent”. La combinaison de robots, d’objets connectés, de senseurs, et de logiciels “intelligents” ubiquitaires (répartis depuis le cloud jusque dans l’ensemble des processeurs invisibles qui nous entourent) crée l’environnement de travail “assisté” dans lequel moins d’humains réalisent plus de choses, mieux et plus vite. L’article de McKinsey, « Four fundamentals of workplace automation » explique que « Jobs will be redefined before they are eliminated » et insiste sur cette transformation progressive des activités dans ce nouvel environment. Cette transformation par l’automatisation ubiquitaire est plus “douce”, mais elle n’en est pas moins disruptive.
Transformation du paysage de l’emploi
Dans le précédent billet j’ai déjà cité abondamment l’article de Susan Lund, James Manyika et Sree Ramaswamy, intitulé « Preparing for a new era of work » (Kc Kinsey Global Institute), qui me semble profondément pertinent. Pour simplifier voire caricaturer, il propose de séparer les emplois en trois catégories : la production, les transactions et les interactions. Les deux premières catégories sont celles qui vont être massivement touchées par l’automatisation : les emplois de production sont – dans leur grande majorité – remplacé par des robots tandis que les emplois liés aux transactions vont être décimés par l’utilisation de l’intelligence artificielle, même si cela prendra un peu plus de temps – cf.la section précédente. Il reste, pour un temps plus long, le domaine des métiers d’interaction qui peut résister plus longtemps. Ce mot « interaction » serait complexe à définir puisqu’il fait référence aux interactions entre humains et s’oppose à la catégorie précédente par un contenu « non-transactionnel » sur un registre émotionnel (il y a une certaine circularité dans l’argument, et des spécialistes de robotique m’ont fait remarquer que de nombreux robots ont précisément un objectif d’interaction, y compris avec des humains). Je trouve néanmoins cette distinction intéressante, et je suis plutôt d’accord avec la proposition des auteurs. Les emplois de demain seront très probablement caractérisés par les échanges entre humain dans des dimensions émotionnelles, affectives, artistiques qui dépasseront le cadre de l’automatisation tout en profitant de ce nouvel « environnement intelligent ». Par exemple, le jardinier, le masseur ou le plombier de demain seront des métiers technologiques, collaboratifs et sociaux, dans le sens ou l’environnement intelligent déchargera de certaines activités pour se concentrer sur l’essentiel (par exemple, le sens et le plaisir du jardin).
Dans cet univers qui se dessine, tout ce qui s’automatise devient une commodité, la valeur perçue se trouve dans les émotions et les interactions. C’est précisément une des thèses du best-seller déjà ancien de Daniel Pink, « A Whole New Mind », qui caractérise les métiers de demain par une « prévalence du cerveau droit sur le cerveau gauche » – à ne pas prendre au pied de la lettre mais dans le sens communément admis même si discutable. On retrouve dans son livre les talents de demain comme le « story telling », le « design », la « créativité », l’empathie ou le jeu. Ces métiers d’interaction de demain ne sont pas issus de nouveaux domaines à créer, mais pour leur grande majorité la continuité des métiers d’interaction d’aujourd’hui. Santé, bien-être, ordre public, éducation et distraction vont continuer à être les principaux fournisseurs de travail pour les décennies à venir.
Le jardinier du futur utilise probablement un ou plusieurs robots, mais il vend une « expérience » – dans le sens où il raconte une histoire. Ce jardinier n’est pas forcément isolé, il peut profiter d’une communauté qui lui fournit du contenu – une éducation permanente – qui lui permet de vous toucher en faisant le lien entre votre jardin et vos vacances. Il peut également profiter d’une plateforme technologique qui lui fournit les robots autonomes qui vont tondre la pelouse ou tailler la haie. Il est probable également que ce jardinier « programme » le système (jardin + robots + environnement) avec la parole. Pour reprendre une citation d’un des membres de Singularity University : « We won’t program computers we’ll train them like dogs”. Je crois beaucoup plus à cette vision qu’à la théorie selon laquelle nous aurons des ordinateurs tellement intelligents que cela signifierait la fin de la programmation. Ce qui est sûr, c’est que le sens de “programmer” et de qu’est le “code” va évoluer, mais l’activité de programmation d’expérience va au contraire se développer de plus en plus au fur et à mesure que l’environnement devient intelligent. Le robot que le jardiner va utiliser sera connecté et le dialogue avec le jardinier sera plus riche qu’une simple séquence d’opérations contextuelles. Pour rester dans la veine du Clue Train Manisfesto, je propose l’aphorisme suivant pour représenter la programmation de demain : « experiences are grown from conversations ».
Iconomie: Vision cible positive d’une société très fortement automatisée
Un maillage de plateformes et de micro-entreprises
Ma vision du paysage de l’emploi est un réseau multi-échelle maillé de structures de toutes tailles, depuis les grandes entreprises multinationales d’aujourd’hui jusqu’aux autoentrepreneurs, dans lequel le mouvement de polarisation (consolidation des grandes plateformes et multiplication des pico-entreprises) se poursuit et s’amplifie. Le point de départ de mon raisonnement est que nous aurons toujours des entreprises dans 20 ou 30 ans, et que le phénomène d’ubérisation du travail n’aura pas dissout le concept de l’entreprise. Je n’y reviens pas, j’ai traité en détail ce sujet dans mon billet précédent. Pour résumer, la complexité croissante du monde exige le travail synchrone, ce que remarquent tous les auteurs de la Silicon Valley, d’Eric Ries à Eric Schmitt. Ce sujet fait débat, ma position consiste à dire que les coûts de transaction, pour reprendre l’analyse de Coase et Williamson, reste minimisé lorsque les équipes cross-fonctionnelles modernes de développement produit sont co-localisées, synchronisées par des rituels et une vision « incarnée » commune et unifiée par un ensemble de techniques qui font des lieux un espace collaboratif (le « visual management » étant un exemple). L’évolution des technologies de communication (de la téléprésence à Hololens) déplace les frontières de ce qui est possible à distance en « mode plateforme », mais le même progrès technologique renforce le potentiel de l’environnement intelligent comme outil collaboratif.
La mondialisation et la numérisation conduisent à la concentration. Ceci est très bien expliqué par les penseurs de l’iconomie comme Michel Volle. Les raisons sont multiples et profondes. L’économie numérique est principalement une économie de coûts fixes, ce qui favorise l’économie d’échelle. Bien plus important encore, les effets de réseaux – en particulier dans les marchés biface et dans le développement d’écosystèmes autour de plateformes – et les lois de réseau de type Metcalfe donnent un avantage important au plus gros joueur (souvent le premier mais pas forcément). Je vous renvoie à l’analyse de la valeur des réseaux sociaux pour voir un exemple ou les équations de renforcement de la position dominante sont encore plus forte que la loi de Metcalfe. Dans le livre de Brynjolfson et McAffee, on lit: “Each time a market becomes more digital, these winner-take-all economics become a little more compelling”. Cette concentration ne produit pas plus d’emplois, d’autant plus qu’elle est nourrie par l’augmentation exponentielle des capacités technologiques et par l’automatisation que nous venons d’évoquer dans la partie précédente.
Heureusement, la concentration des plateformes conduit également à la croissance des écosystèmes qui leur sont associés, ce qui peut créer des opportunités pour une multiplicité d’acteurs locaux, tout comme un arbre qui grandit porte plus de feuilles. Cette croissance de la « frontière » peut poser question – elle peut sembler marquée par un optimisme technophile naïf -, mais elle est nourrie par l’explosion exponentielles des capacités technologiques et sur la tendance de fond (qui est liée à cette explosion) de mieux servir les individus (le mythique « segment of one ») et les communautés. Le second point va être développé dans le reste de cette deuxième partie, revenons donc sur le premier. Prenons justement l’exemple des capacités d’Intelligence Artificielle développées et exposées par Google (cf. TensorFlow). Il est plus que probable que si cette démarche est couronnée de succès, elle va contribuer à la croissance forte de Google. Mais elle va également ouvrir des champs possibles à un rythme supérieur que ce que Google peut produire, ce qui signifie qu’une partie encore plus importante de valeur va apparaitre « à la frontière », lorsque d’autres acteurs vont utiliser ces technologies mise à disposition par Google pour résoudre d’autres problèmes que ceux qui intéressent Google. On voit la même chose avec la croissance d’iOS comme plateforme mobile : au fur et à mesure que les capacités sont ajoutées dans la plateforme de développement de l’iPhone – on pense ici bien sûr à Siri – le domaine fonctionnel rendu possible à la communauté des applications mobiles augmente plus vite que ce qu’Apple en retire pour ses propres fonctions.
Economie Quaternaire et services à la personne
L’économie quaternaire, un concept que nous devons en particulier à Michelle Debonneuil, propose une extension des trois secteurs traditionnels – primaire pour les matières premières, secondaire pour la fabrication et tertiaire pour les services – à un nouveau domaine dont les produits ne sont ni des biens, ni des services, mais « de nouveaux services incorporant des biens, la mise à disposition temporaire de biens, de personnes, ou de combinaisons de biens et de personnes ». L’évolution vers l’économie quaternaire est fort logiquement liée, comme le souligne Michelle Debonneuil, aux progrès des TIC qui permettent d’apporter des services véritablement personnalisés sur le lieu précis où ils sont nécessaires, y compris dans gestions des femmes et des hommes qui rendent ces services de façon courte et ponctuelle. Le développement de l’économie quaternaire est indissociable du domaine des « services à la personne », dont l’essor est l’aboutissement naturel d’une société post-industrielle. Cet essor est fort logiquement accéléré par l’automatisation telle que décrite dans la première partie puisque ces « services à la personne » sont les domaines dans lesquels les humains peuvent exercer une supériorité sur la machine.
Ces domaines sont fort nombreux et peuvent, sous certaines conditions, permettre la pleine occupation, sinon le plein emploi, de la population déplacée par l’automatisation. Listons les plus évidents : l’alimentation (dans sa phase « finale » de service à la personne, de la cuisine au restaurant), l’habillement, l’aménagement des habitations, la médecine, le bien-être, l’éducation et la culture, la distraction, l’art, etc. Pour la plupart de ces domaines, le 20esiècle a été un siècle d’industrialisation et d’orientation vers les produits. L’économie quaternaire remet le client au centre de l’expérience et s’intéresse plus au service reçu et perçu qu’aux produits sous-jacents. C’est cette remise au centre de l’interaction entre l’utilisateur et le fournisseur qui permet de « réinventer » des métiers de services à la personne. Cette analyse est partagée par Erik Brynjolfson et Andrew McAffee qui écrivent: « Results like these indicate that cooks, gardeners, repairmen, carpenters, dentists, and home health aides are not about to be replaced by machines in the short term ».
On pourrait me faire remarquer que cette vision de l’emploi en 2030, qui recoupe fortement des domaines de « service publics », conduit plutôt à l’augmentation du nombre de « fonctionnaires » qu’à leur diminution. Si le terme de fonctionnaire désigne de façon très large une personne financée par la collectivité, c’est probablement exact. Cela ne signifie pas que le nombre de personne ayant le statut de fonctionnaire doive augmenter, ni que le budget correspondant doive faire de même (ce qui semble clairement impossible de toute façon). Il a de nombreuses façons de contourner ce paradoxe, par exemple en appliquant à l’Etat les principes de l’Entreprise 3.0 pour réduire le poids de l’appareil de contrôle par rapport à l’appareil opérationnel. Ce n’est pas utopique, il existe de multiples exemples d’application des nouvelles structures de management dans les services publics dans d’autres pays. On peut également penser que les nouveaux modes de travail que nous allons continuer à décrire s’appliquent parfaitement à un grand nombre de services publics, à l’exception d’un tout petit nombre de fonctions régaliennes. Je pourrais pousser la malice à faire l’hypothèse que le déséquilibre du budget de l’Etat vient du trop grand nombre de personnes « payées pour leur cerveau gauche » (une autre façon de parler de ceux qui analysent et contrôlent au lieu de faire). Enfin, le grand mouvement de l’automatisation des fonctions transactionnelles évoqué dans la première partie offre une possibilité à l’Etat de redistribuer ces économies de fonctionnement vers des rôles d’interaction et de lien social.
L’artisanat et la personnalisation de masse
Je reviens ici sur une idée profonde d'Avi Reichental – dont j’ai déjà recommandé l’exposé TED – : La production de masse est une parenthèse historique, et nous allons pouvoir revenir au confort du sur-mesure dans de nombreux domaines grâce aux progrès de la technologie, en particulier l’impression 3D. Avi Reichental illustre cette idée sur le principe d’une chaussure qui combine l’impression 3D d’une semelle uniquement adaptée à la bio-morphologie de l’utilisateur avec l’assemblage/fabrication locale. La personnalisation de masse est due à la fois au progrès technologique (numérisation de la conception, impression 3D, automatisation de l’assemblage, …) qui fait émerger des plateformes mise à disposition du plus grand nombre, et le besoin de retrouver une expérience sociale de proximité. Il n’y a donc pas que l’approche technologique : un certain nombre de métiers d’artisanat d’art pourraient redevenir pertinents.
L’idée que nous allons tous vivre de notre créativité tandis que les machines s’occuperont de la production est naïve et probablement fausse. Le tissu de multinationales évoqué dans la première partie a besoin de nouveaux talents, et en particulier de créatifs et de designers, mais dans un petit nombre par rapport aux laissés pour compte de l’automatisation. En revanche, le monde « frontière » des opportunités de services, qu’il s’agisse d’adaptation au besoin d’une communauté ou d’un individu, ou encore d’accompagnement et de mise en scène – par exemple, l’art de la parole a toujours été associé à la vente de vêtements – a une structure beaucoup plus riche et étendue que l’on pourrait qualifier de « fractale » ou de « multi-échelle ». Dans ce monde de l’interaction, il existe des opportunités à différents niveaux de talents, qui peuvent coexister. Le service d’interaction se déplace difficilement (en tout cas avec un coût) contrairement à une expérience digitale. Un service moyen fourni par un talent médiocre peut coexister avec un service plus élaboré. Les « artisans de la personnalisation » de masse peuvent opérer sur des échelles géographiques différentes selon leur talent, dessinant une « power law » des bassins de chalandise. Cette coexistence ouvre la voie, surtout avec le support économique de l’état sur lequel nous allons revenir, à un marché abondant de services à la personne de toutes sorte. Cette renaissance de « l’artisan de proximité » risque de se trouver facilité par une pression communautaire – que l’on commence déjà à voir à l’œuvre – et une priorisation de ce qui est local sur ce qui est global, en contre-réaction à la mondialisation.
Cette personnalisation des services à la personne est donc une double conséquence du progrès technologique : à la fois parce que le monde numérique facilite la personnalisation (dimension technique) mais aussi parce que la transformation due à l’automatisation (première partie) va rendre les services personnalisés d’interaction à la fois nécessaires et accessibles (nous reviendrons sur la dimension économique dans la dernière partie). Si l’on applique cette idée de la personnalisation de masse à l’ensemble des domaines de services de la section précédente, on voit émerger ce qu’on pourrait qualifier de démocratisation de « privilèges aristocratiques du 19e siècle ». Non seulement l’accès aux vêtements, aux meubles sur mesure pourrait redevenir courant (ce qui était le cas il y a un siècle), mais les services d’un cuisinier, d’un tuteur, d’un coiffeur ou d’un masseur à domicile pourraient se démocratiser. De façon plus spectaculaire, la contribution d’un revenu universel pourrait permettre de rendre les métiers et les œuvres d’art accessible à (presque) tous. Dans un système économique qui permet à chacun de disposer d’un premier niveau de revenu garanti, il est possible à un beaucoup plus grand nombre d’artistes amateurs de vivre de leur art, et donc de permettre de la sorte à des citoyens ordinaires d’avoir le plaisir de posséder un tableau – par exemple – unique.
Les défis de la transition : accompagner le choc d’un changement de civilisation
La menace des robots de compagnie anthropomorphes
L’essor de la robotique au Japon montre que l’interaction émotionnelle avec des humains n’est pas un champ exclu aux robots. En fait ce domaine n’est pas particulièrement complexe, il n’est pas très difficile de donner des émotions aux robots et aux programmes – c’est un champ de recherche et d’expérimentation en plein essor – et il est encore moins difficile d’apprendre aux programmes à « lire nos émotions ». Comprendre nos émotions à partir d’un signal sonore (notre voix) ou visuel (la vidéo de notre visage) est un exemple type de problème de reconnaissance que nous avons évoqué dans la première partie, avec des réponses claires et des milliards d’exemple. Ce n’est pas une surprise de constater que le deep learning donne déjà d’excellent résultats, que chacun peut tester grâce à des API ouvertes (ou en téléchargeant « Moodies » sur son smartphone). Pire encore, il est très facile de tromper nos neurones miroirs avec des têtes artificielles qui s’adaptent à nos expressions faciales. J’en ai fait l’expérience surréaliste avec une tête artificielle fort simple il y a déjà 10 ans dans un laboratoire IBM. Pour résumer, il ne faut pas considérer que le domaine « emploi d’interaction » est hors de portée des progrès de l’automatisation.
En revanche, il y a un enjeu majeur de société car l’automatisation de l’interaction n’est pas un progrès en soi. Contrairement à la production et aux transactions, les gains en vitesse et précision qui sont souvent les objectifs de l’automatisation ne sont pas des enjeux majeurs. Il y a donc plus de liberté pour faire de l’automatisation un choix de société. L’enjeu est tout simplement d’accompagner une transformation plus harmonieuse vers l’iconomie en conservant pour de nombreuses décennies la primauté de l’humain dans les métiers de l’interaction. Si la société laisse le domaine de l’interaction être envahi par la robotisation, nous allons au-devant d’une véritable crise. Laissés à la loi du marché et du possible technologique, ces robots vont apparaitre et nous obtiendrons dans le meilleur des cas une société à deux vitesses et une multitude d’exclus. Dans le pire des cas, les tensions sociales seront insupportables et cela nous conduira à la guerre civile. Le Japon est un cas particulier car il y a un fort déficit démographique à cause du vieillissement de la population, mais de façon générale et simplifiée, il faut réserver les métiers d’interaction aux humains déplacés des fonctions de production et de transaction.
De fait, étant plutôt optimiste de nature, je pense que les pays démocratiques se protégeront en réglementant l’utilisation de robots humanoïdes. Cette réglementation n’est pas forcément une simple interdiction, cela peut être une forme de taxation qui permet à l’humain de rester compétitif par rapport à la machine. Il y a probablement un équilibre entre une pression sociale de conserver des humains dans ces emplois – et on peut s’attendre à des réactions violentes face aux robots s’ils sont introduits dans des « customer-facing jobs » dans une société en crise du travail –, une fiscalité du travail qui reconnait l’interaction et la substitution de la machine par l’homme, et la réduction du coût du travail humain au moyen du revenu universel sur lequel je reviens dans la section suivante. Ce scénario de contrôle de l’utilisation de robots humanoïdes n’est ni simple ni tranquille, la protection qui sera réclamée par la population face à l’automatisation des fonctions de production et de transaction peut prendre des formes de protestations régressives, allant jusqu’à des surprises importantes lors d’élections J Au risque de me répéter, vouloir freiner les robots humanoïdes n’est pas un jugement technologique (le développement de ce type de robots est non seulement possible, il est inévitable), ni moral (il n’y a rien de répréhensible en soi à vouloir créer des machines avec lesquelles il est plus facile de communiquer car elles nous ressemblent) mais systémique. Il ne s’agit que d’un réglage de vitesse de flux, au sein d’un écosystème avec des activités qui disparaissent et apparaissent, mais qui me semble essentiel. Il faut se donner le temps sur plusieurs générations pour absorber les transformations que la technologie va rendre possible. Notons également qu’il est quasi-impossible de lutter contre l’automatisation des fonctions de production et de transaction dans une économie mondialisée (il y aura toujours un acteur quelque part pour tirer le meilleur parti économique de la technologie), tandis que l’activité d’interaction n’est pas dé-localisable par définition et reste donc sous la juridiction économique des états.
Un revenu universel pour permettre à chacun d’exister
Le revenu universel – ou revenu de base, en suivant l’expression anglaise « Universal Basic Income » – apparait naturellement comme solution pour faciliter la transition vers l’iconomie. Un des spécialistes mondiaux du sujet, Guy Standing, a introduit le revenu universel pour éviter le « précariat » qui est précisément la condition des homme déclassés dans une société qui n’a plus besoin de leur activité : « [precariat] specifically, is the condition of lack of job security, including intermittent employment or underemployment and the resultant precarious existence ». Le revenu universel consiste à garantir à chacun un niveau minimum de ressources, sans conditions, pour permettre à tous de vivre dignement. Il est souvent présenté, comme par exemple par Gaspard Koenig qui est un des spécialistes français, comme un « nouveau droit de l’homme ». Je vous renvoie au site « Génération libre » pour plus de détails sur LIBER. Le sujet du revenu universel s’est d’ailleurs invité fort logiquement dans la campagne politique, avec des prises de positions de Bruno Hamon et de Nathalie Kosciusko-Morizet, ainsi que de notre premier ministre. En suivant les pas de Guy Standing, ces femmes et hommes politiques constatent l’éclatement du marché du travail – sur lequel nous reviendrons dans la prochaine section-, la désindustrialisation et la création de laissés pour compte par une vague d’automatisation qui ne fait que s’amplifier. Le revenu universel est donc un premier réflexe de protection par la solidarité, ainsi, dans le cas de la France, une remise à plat d’un système de protection sociale complexe qui contient déjà les germes d’un revenu universel de base.
D’un point de vue systémique, l’objectif du revenu universel n’est pas de permettre l’oisiveté pour tous, mais de déplacer les contraintes de rentabilité des activités humaines. Très logiquement, c’est une façon de redonner au travail humain un peu de compétitivité vis-à-vis de celui de la machine. Il est donc logique de penser au revenu universel pour lutter contre les effets indésirables d’une automatisation trop rapide. De fait, l’objectif du revenu universel est de déplacer « une barrière de potentiel » pour permettre au plus grand nombre d’accéder et de réussir dans un statut d’entrepreneur.
Cette idée de « barrière de potentiel » est une métaphore qui illustre le fait qu’il existe des multiples opportunités de travail – en particulier dans les services à la personne pour tous – mais nous n’avons pas tous le talent d’en faire une activité rentable économiquement. Le revenu universel « déplace la barrière de potentiel » dans le sens où il permet à un plus grand nombre d’autoentrepreneurs de produire un complément de revenu à partir de leurs talents, à la fois en diminuant la prise de risque et le volume d’affaire à générer pour que l’autoentreprise soit viable. Cette position qui voit le revenu universel non pas comme une nouvelle forme d’assistance mais comme un démultiplicateur est l’objet de nombreux débats voire de nombreuses critiques. Je reste cependant convaincu qu’il y a une véritable adéquation avec le concept de la distribution « multi-échelle » (ou de « power law ») des talents et des opportunités, évoqué dans la deuxième partie. Autrement dit, pour que le « gisement des services à la personne » représente un « bassin d’activité suffisamment vaste » pour offrir du travail à la majorité des citoyens, il faut un modèle économique qui permette de vivre dès que le service fonctionne sur une micro-communauté, ce qui est rendu possible par le revenu de base universel. Je conjecture que la structure cible des services à la personne dans une iconomie de pleine activité est une structure de petits mondes au sens de Duncan Watts (ce qui nous renvoie à des billets très anciens de ce blog).
En effet, il ne s’agit pas d’assurer « simplement » à chacun un revenu de base, mais véritablement une opportunité de « Universal Inclusive Contribution » – pour faire le parallèle avec le concept original de « Universal Basic Income » : permettre à chacun de contribuer à la collectivité, de trouver sa « place » par un travail qui contribue à la société, ce que permet le modèle fractal des services d’interaction. Autrement dit, le revenu universel doit être l’opposé de l’assignement à résidence dont parle Emmanuel Macron, sans être non plus un travail « bénévole forcé ». Lors de mon intervention du 12 Octobre, je me suis permis d’utiliser l’image du statut « d’intermittent du spectacle » pour tous J Le débat en France autour de ce statut fait que cet emprunt n’est probablement pas judicieux, mais il y pourtant dans ce statut de nombreux points positifs puisqu’il joue précisément, avec succès, un rôle incitatif en fournissant un complément de revenu. Ce statut permet d’avoir une population active employées dans les métiers du spectacle qui est nettement supérieure à ce que la loi du marché produirait (une autre forme de « déplacement de barrière de potentiel »). Il y a aujourd’hui environ un million d’auto-entrepreneurs, il faut créer les conditions pour une augmentation de presque un ordre de grandeur. Je n’ai pas de « boule de cristal », mais il me semble clair que la répartition des statuts entre employés, « freelance » (cf. la section suivante) et autoentrepreneurs va devenir beaucoup plus équilibrée en 2030 qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Fin de l’emploi, vive le travail ! Un nouveau contrat social
La diminution des emplois salariés a déjà commencé. J’emprunte le titre de cette dernière section au livre deBernard Stiegler. L’exemple du « cuisinier à domicile » permet de comprendre ce concept un peu théorique de « talent multi-échelle ». Le cuisinier médiocre est condamné à ne faire souffrir que ses proches de son absence de talents, mais celui qui a un petit talent peut l’exercer dans son voisinage proche (par exemple son immeuble) comme un service de proximité – pour dépanner. L’échelle suivante, d’autoentrepreneur non rentable est de procurer ses services dans son quartier. Plus le domaine grandit, plus on se rapproche d’un véritable statut d’artisan-entrepreneur. Un talent reconnu à l’échelle d’une ville permet de créer une entreprise traditionnelle, et on passe ensuite dans le domaine du professionnel reconnu. Compte-tenu du niveau de vie des Français, il y a peu d’emplois de cuisinier à domicile – même si l’on introduit des plateformes d’intermédiation de type Uber – mais si l’on regarde les opportunités créées par les vies complexes des salariés, il y a beaucoup de travail. C’est l’enjeu du modèle « intermittent du service à la personne ».
S’il est possible de fournir un travail pour tous, il semble en revanche probable que le modèle économique que je viens d’esquisser s’accompagne d’une décroissance des emplois, ce qui est la thèse du livre de Stiegler. Thierry Breton lors de son intervention pendant le même séminaire du 12 Octobre nous a parlé de la « Gig economy ». Le président d’ATOS constate qu’un nombre croissant des jeunes recrutés ne souhaitent plus un emploi salarié et préfère la liberté d’un mode « freelance ». Pendant la semaine à la Singularity University, j’ai entendu le même message : le « freelance » représente déjà 35% de la force de travail en 2015 et les spécialistes prévoient 50% en 2020. Cette transformation illustre la complexité et la richesse des entreprises qui combinent la force des « liens forts » – des noyaux de permanents unis par les valeurs de la marque – et des « liens faibles » – l’appel à la richesse encore plus grande des talents extérieurs à l’entreprise. J’utilise ici bien évidemment l’appellation de liens forts et faible en référence à la sociologie, un emprunt que j’ai fait de nombreuses fois.
Il ne faut pas se crisper sur cette dualité des statuts : elle correspond à des aspirations différentes pour ceux qui travaille et à un besoin des nouvelles formes d’entreprises. Dans le best-seller « Exponential Organizations », les auteurs décrivent l’organisation idéale, celle qui permet de s’adapter aux flux continu du changement exponentiel des technologies, avec des modes de travail qui reflètent une partie des idées exprimées ici. Nathaniel Calhoun a reconnu pendant cette semaine à la Singularity University que ce nouveau mode d’organisation crée une contrainte sur les employés: « Exponential Organizations worsens the fate of labor ». Les auteurs de « Exponential Organizations » proposent l’acronyme SCALE qui signifie : "Staff" à la demande, Communautés, Algorithmes, effet de Levier sur les ressources et Engagement. IDEAS reflète les principes fondateurs : Interfaces (pour attirer les contributions externes), Dashboards (pour décider à partir des mesures), Expérimentation, Autonomie et Social (Enterprise 2.0). Ces nouveaux modes d’organisation sont des leviers d’adaptabilité et de flexibilité, mais je rejoins Luc Ferry lorsqu’il souligne le besoin de régulation à cause de la brutalité du capitalisme à l’œuvre dans la révolution digitale (depuis les conditions Uber/Amazon jusqu’aux politiques d’évasion fiscale des GAFAs).
Pour conclure, il convient de souligner que ce nouveau mode de vie, en dehors du statut « traditionnel » de salarié, peut être aspirationnel. Le travail de cuisinier à domicile est un travail noble, qui demande un goût de l’interaction avec les personnes en permettant de nourrir sa passion pour l’art culinaire. En revanche, une telle transformation de la société et de la culture représente un défi formidable qu’il faut accompagner. La réalisation de soi à travers une position salariée dans une entreprise, même si elle est récente dans l’histoire de l’humanité, a suffisamment marqué les dernières générations pour que l’adoption d’un modèle différent soit une révolution. Il y a de multiples éléments favorables. Comme l’a souligné Joël de Rosnay, les jeunes portent un regard différent que celui de leurs aînés sur le travail. Ils sont volontiers des « slashers », à la recherche de la passion et des interactions dans leurs activités professionnelles. Ils sont plus à la recherche de projets qui se renouvellent fréquemment (ce qui nourrit la « gig economy ») et vivent plus confortablement que les générations précédentes l’intrication entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Néanmoins, à l’échelle de la société, cette évolution doit être accompagnée par la formation et l’éducation. Je termine en vous renvoyant à Michel Volle que j’avais déjà cité dans mon billet précédent : cette nouvelle économie des microentreprises et des services à la personne nécessite une revalorisation des compétences gestuelles et relationnelles.
- L’expert
Yves Caseau est le chef de l'Agence numérique du Groupe AXA . L'Agence numérique, en ligne avec la stratégie numérique d'AXA, développe des produits et services numériques pour les entités du Groupe, avec un accent sur les applications mobiles et les objets connectés, une innovation favorise centrée sur le client suivant les Lean Startup principes.
Lire aussi: Relire et revoir la semaine spéciale emploi dans le numérique
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lundi, 12 décembre 2016
Discussion sur Transhumanisme en Chine – Billet de Pierre-Yves Dambrine, invité du Blog de Paul JORION
La Chine n’est pas plus prédisposée au transhumanisme que nous ne le sommes, par Pierre-Yves Dambrine
Billet invité du Blog de Paul JORION
http://www.pauljorion.com/blog/2016/12/05/la-chine-nest-p...
Dans leur dernier billet DD & DH - ce dernier fait suite à celui-ci - soutiennent en substance deux propositions dont la compatibilité me semble problématique, la première étant que la civilisation chinoise demeurerait celle du confucianisme — une idée qui revient souvent dans leurs billets, et la seconde que la Chine serait en quelque sorte prédisposée culturellement à entrer dans le monde du transhumanisme.
Ils imputent au « pli » chinois, autrement dit à des invariants culturels, des faits qui pourtant peuvent s’expliquer tout aussi bien, et même parfois beaucoup mieux, lorsque l’on fait intervenir des causes structurelles, lesquelles doivent alors moins leurs caractéristiques au passé qu’à la configuration inédite dans laquelle se trouve aujourd’hui la Chine à l’heure de la globalisation dont elle partage quelques éléments essentiels, comme la dérégulation dans le domaine économique et financier, et le développement concomitant des applications technologiques.
La Chine d’aujourd’hui retrouve certes dans son passé historique, sa mémoire, de quoi alimenter, justifier, une tendance, mais il s’y trouve tout aussi bien des éléments qui plaident pour une autre. Il serait douteux également que la régulation à la chinoise ne puisse toujours servir qu’une seule fin. Les problèmes de la Chine et des Chinois relèvent désormais des enjeux planétaires. Dois-je encore évoquer ici le capitalisme à l’agonie, la complexité des systèmes techniques accrue par le numérique et l’intelligence artificielle, l’environnement en péril ?
DD & DH écrivent : « Un pays qui, avec Confucius, met au-dessus de tout les capacités intellectuelles depuis deux millénaires et demi ne saurait décevoir dans ce domaine : aller au bout du perfectionnement possible et se surpasser dans l’acquisition de talents est le seul crédo que la Chine a toujours entonné »
Confucius n’a jamais mis en avant l’intelligence du champion performant sans limites et hors de tout contexte. Bien au contraire, les capacités intellectuelles dans le cas de Confucius ne sont acceptables que si elles s’intègrent à une sagesse. D’une façon générale deux critères reviennent constamment dans la réflexion des penseurs confucéens pour déterminer ce qui relève et de la grande intelligence dazhi 大智(ou sagacité) et du grand savoir dazhi, 大知 : S’agit-il d’une connaissance que l’on acquiert par soi-même, ou bien que l’on acquiert par ouï-dire ? S’agit-il d’un savoir constitué qui a une vue globale sur les choses, les humains et le monde, l’univers, ou seulement d’une vue partielle ?
Confucius souhaitait d’abord restaurer l’esprit des Rites mis à mal par la dislocation des hiérarchies et solidarités nobiliaires en proposant la voie d’une culture humaniste à la portée de tous avec ses composantes individuelle et collective. L’étude des écrits anciens n’avait pas pour but de former des guerriers, des aventuriers, mais servait à révéler et développer des qualités humaines qui sont pour Confucius la seule base acceptable de tout bon gouvernement. Le perfectionnement individuel ne vaut que s’il a une visée éthique et qu’il participe d’une morale commune dont les Rites sont le véhicule.
Ainsi, les connaissances, le savoir, ne sont pas choses abstraites que l’on peut rechercher et exploiter pour elles-mêmes sans limite aucune. Et si c’est le cas, c’est que le juste équilibre (zhonyong 中庸) a été perdu, ce à quoi il faut alors remédier.
Si Confucius ne dédaigne pas que soit requis le talent de Guan Zhong au royaume de Qi pour accroître la puissance militaire c’est parce que l’hégémonie du Qi permet au peuple de vivre dans un monde pacifié.
Il serait en outre préférable de ne pas confondre enseignement confucéen et histoire de la bureaucratie chinoise, techniques de gouvernement. La pratique du gouvernement en Chine impériale, et même jusqu’à aujourd’hui, ne se déduit pas simplement des enseignements de telle ou telle école de pensée. Souvent elle les amalgame, ou même les ignore. Elle évolue confrontée aux nouvelles réalités imprévues produites par des circonstances nouvelles. S’il est vrai qu’avec la dynastie Han l’école confucéenne devient idéologie d’État, encore qu’il faille nuancer, que l’étude des Classiques s’inscrit au programme officiel des examens impériaux, cette idéologie ne suffit pas à assurer la paix et l’harmonie dans l’Empire. Le recours à la force pour monter sur le trône, à la coercition, pour mater les rébellions, est plus souvent la règle que l’exception.
Des Han jusqu’aux Tang, l’accomplissement de l’harmonie universelle résultait des actes ostentatoires et donc visibles du pouvoir impérial, l’empereur respectait les Rites conformément aux lois du Ciel, la personnalité morale de l’empereur n’avait pas alors beaucoup d’importance. À partir des Song, l’empereur acquiert une dimension morale dont procède alors l’harmonie dans l’empire au même titre que l’accomplissement des Rites. Le penseur Zhu Xi internalise le principe de structuration des choses (li 理) qui jusqu’alors procédait des souffles (qi 氣 ). Une vision idéaliste du monde basée sur l’extinction des désirs, qui confond dimension métaphysique et dimension formelle des choses, unifie dans un même système relations politiques, sociales et familiales constituées des Trois Relations fondamentales (san gang 三綱) – hiérarchiques – du souverain au ministre, du père au fils, et du mari à l’épouse, avec droit de vie ou de mort en cas de non respect des convenances. Les Rites confinent alors au formalisme, puisque il n’est plus un aspect de la vie sociale qui n’échappe à leur emprise. S’il existe une raison de penser qu’il y a dans la civilisation chinoise une prédisposition à l’exercice aveugle des talents, c’est donc plutôt de ce côté-ci qu’il faudrait chercher, plutôt que dans l’éducation selon Confucius. L’extrême rigidité introduite dans la société qui résulte de cette évolution du confucianisme qui assigne à chacun un rôle, une fonction, incite chacun à exceller dans sa fonction propre sans plus se préoccuper du reste. L’ennui avec cette thèse c’est que pendant le siècle qui nous sépare de la fin de l’Empire tout l’édifice du confucianisme a été mis à mal, l’épisode de la Révolution culturelle portant un coup presque fatal au ritualisme.
Côté européen, l’évolution de la pensée a suivi un autre chemin et celui-ci n’est pas sans éléments accréditant la thèse d’une nouvelle disposition permettant plus tard le transhumanisme. En Angleterre, Francis Bacon a rompu avec l’idée antique selon laquelle le but de la connaissance est la contemplation, annonçant le « règne de l’homme » avec la grande ambition « d’augmenter la puissance et l’empire du genre humain sur l’ensemble des choses. » Tout devient possible et tout ce qui est réalisable doit être fait.
Dans l’Italie de la Renaissance les hommes de science pour se défaire de l’emprise de l’Église opèrent eux un coup de force épistémologique en procédant à la mathématisation du réel rompant avec la manière de concevoir la science inaugurée par Aristote. La science se dé-historicise, se déshumanise.
Les Occidentaux intègrent dans certains de leurs mythes la notion de culpabilité(1), certes, mais du coté chinois il y a le sentiment de honte(2). Or ce sentiment de honte, s’il est bien une ‘école’ de pensée et de vie qui s’y intéresse, c’est l’école confucéenne. Pour Confucius le tout répressif est à bannir car il annihile ce sentiment. Confucius dit : « Guidez le peuple par les règlements, gouvernez-le par les châtiments, et n’aspirant qu’à se soustraire à la sévérité des lois, il perdra toute vergogne, instruisez-le par la vertu, gouvernez-le par les rites, pénétré du sens de l’honneur, il sera porté naturellement au bien. » (trad. Jean Lévi).
Il est vrai, ce sentiment à la différence de l’éthique autonome occidentale, inscrit l’éthique chinoise dans un schéma paternaliste, où le bon gouvernement est celui du sage-guide. Cependant il y a une condition, c’est que la vision du sage soit juste est cohérente : « Si les noms ne sont pas corrects, les propos ne sont pas conformes, les affaires ne pourront être réglées. Si les affaires ne peuvent être réglées, les rites et la musique ne pourront fleurir ; les rites et la musique n’étant pas florissants, les châtiments étant injustes, le peuple ne saura plus où mettre ni pieds, ni mains. C’est pourquoi le prince attribue des noms qui donnent cohérence au discours et tient des discours qui ont leur application dans les conduites. Oui, un sage, en ce qui concerne le langage, veille à ne rien employer au hasard. »
Or s’il est un discours aujourd’hui qui manque de cohérence c’est bien celui du pouvoir chinois en place. On prétend veiller à l’harmonie sociale, mais en même temps a été introduit dans la société chinoise un système économique qui justifie et accomplit la lutte de tous contre de tous et dont le vocabulaire se répand dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale. Enfin, l’arbitraire de la justice chinoise d’aujourd’hui étouffe dans l’œuf toute contestation, quand bien même elle s’exprime sous forme de doléances et est portée par des juristes qui ne réclament pourtant que l’application de principes démocratiques écrits noir sur blanc dans la Constitution chinoise.
Eu égard au système éducatif actuel, on ne saurait comparer la classe restreinte des aspirants au mandarinat sous l’Empire à la multitude des étudiants et lycéens, collégiens, qui étudient aujourd’hui pour avoir une chance de s’insérer dans le monde économique hyper compétitif du capitalisme d’État.
Autrement dit, il faut réussir vite et bien. Il existe d’ailleurs une expression chinoise d’inspiration confucéenne selon laquelle « ne pas réussir c’est accomplir sa vertu d’humanité » (不成功變成仁), elle traduisait l’existence d’un phénomène réel qui était que ceux qui échouaient aux examens impériaux, parfois jusqu’à un âge avancé, n’étaient pas perdus pour la société. Des recalés célèbres firent ainsi quelques uns des plus grands noms de la littérature chinoise. La honte dans le contexte actuel n’a guère l’occasion chance de jouer son rôle régulateur, à moins de considérer la honte individuelle de l’échec aux examens dans un système économique court-termiste comme une bonne chose, ce qui serait absurde.
Il faut attendre le 19ème siècle avec les deux guerres de l’opium, le choc de la guerre sino-japonaise qui se conclut par le traité de Shimonoseki en 1895 et leurs traités inégaux pour que certaines élites chinoises redécouvrent les ‘avantages’ de la compétition économique qui n’avait plus cours avec cette âpreté depuis les Royaumes Combattants.
Une première tentative de réforme, dite des Cent Jours, chapeautée par Kang Youwei, est vite interrompue par les conservateurs qui avaient l’appui de l’impératrice Cixi, mais l’idée se fait jour qu’emprunter à l’ennemi ses sciences et ses techniques ne suffira plus à combler un immense retard par rapport à l’Occident en termes de puissance industrielle et militaire.
Il faudrait désormais assimiler l’esprit de la culture occidentale. C’est ce à quoi s’emploieront un groupe d’intellectuels déterminés. Outre la promotion de la littérature en langue parlée, certains, comme Lu Xun, suggèrent d’abandonner purement et simplement l’écriture chinoise. Sur le plan économique un îlot de capitalisme prospérera à Shanghai pendant deux décennies environ avant qu’il ne soit éliminé peu après la victoire des communistes en 1949.
La période actuelle, que je ferais tout de même commencer à l’époque maoïste pour sa folie des grandeurs nationalistes, est à certains égards à rapprocher du Premier Empire chinois qui s’était déjà singularisé par sa démesure. Entre parenthèses, un Guy Debord a bien cru que l’armée de terre cuite du Premier Empereur de Chine était un faux fabriqué à la gloire du maoïsme. La réussite du royaume de Qin devenu empire ne fut pas le triomphe de Confucius. En 213 avant notre ère, sous les ordres du Premier Ministre Li Si, fut ordonné le grand autodafé des livres confucéens et de toute la littérature chinoise de l’antiquité, exceptés les livres sur l’agriculture et de médecine. Le Premier Empereur qui recueillait les fruits du dynamisme dans les domaines technique et économique des Royaumes combattants, et l’amplifie, est véritablement une économie de guerre, sans mémoire, avec son culte de la performance à outrance : autant de têtes coupées, autant de terres attribuées aux braves guerriers, lesquels vivent dans une société militarisée et totalitaire de soldats-paysans, où la faute d’un membre d’une famille vaut faute collective. Quant à la quête d’immortalité qui obsédait l’empereur Qin Shi Huangdi elle avait surtout à voir avec les pratiques alchimiques taoïstes. Notons au passage que le taoïsme de Laozi diffère de celui de Zhuangzi, ce dernier prenant la quête d’immortalité pour une simple vanité. Il y a bien le vieux conte chinois intitulé « Yu Gong (le vieux sot) déplace les montagnes », mais il n’a rien non plus de spécialement confucéen. C’est une histoire que l’on trouve dans le livre taoïste du Maître Lie : un vieil homme qui n’en peut plus d’avoir devant chez lui deux montagnes qui lui barrent un accès direct au fleuve, décide qu’il va les raser. Au vieux sage qui lui dit qu’il n’en est pas capable Yu Gong rétorque que, lui, mort, ses descendants seront la relève. Il convainc alors sa famille puis ses voisins de se mettre au travail, et tous de déplacer les pierres une à une. Cela émeut le Seigneur d’en Haut qui dépêche deux puissantes divinités pour déplacer les deux montagnes. Autrement dit, vouloir c’est pouvoir et aide-toi et le Ciel t’aidera, avec la dimension d’entraide collective en sus. Mao utilisera l’expression lorsqu’il lancera ses grands travaux lors des campagnes de masse.
Que l’on songe maintenant au projet du gouvernement chinois de mise en place d’un système de notation généralisé de la population (avec à la clé une sorte de permis à point de la bonne conduite), en quelque sorte une rationalisation du système existant des dossiers individuels (dang’an) instauré sous l’ère maoïste, et qu’on y associe le projet militaire d’intelligence artificielle et l’on pourra se convaincre que la résurgence d’un système totalitaire n’est pas une simple vue de l’esprit. Comme du temps des Royaumes Combattants, la Chine, aujourd’hui royaume parmi les royaumes de la Terre, débauche à l’étranger les meilleurs talents pour rester dans la course de la guerre économique mondiale. Confucius y aurait-il retrouvé ses disciples ?
La tendance totalitaire et la tentative de « retour à Confucius » coexistent donc maintenant dans un même pays.
Si l’on admet que la Chine a tardé à intégrer les méthodes scientifiques et le développement technique avec la même réussite sur le plan du développement de la puissance, pour cause de confucianisme, alors la fuite en avant sur le plan est à chercher ailleurs que dans ce qui serait l’invariant de l’éducation confucéenne. Il faut se faire à l’idée que cette réalité qu’on nomme « Chine » est l’effet indécomposable d’une mémoire comportant des éléments divers (qui s’expriment plus ou moins et de différentes façons selon les époques) et de l’intégration de ce pays dans la mondialisation, la situation sociale et la politique d’un pays ayant toujours le dernier mot pour déterminer quels chemins doivent frayer les affects dans le vaste réseau des mémoires individuelles et de la mémoire collective.
Je voudrais maintenant évoquer le professeur Zhang Xin, de l’université de Pékin (Beida) que j’ai bien connu dans les années 90-91 puisque j’étais l’un de ses étudiants. Il se trouve qu’il exprime une position extrêmement critique vis à vis du clonage et tout ce qui concerne la chosification de l’humain. J’ai trouvé un de ses articles sur Internet alors que j’essayais de retrouver sa trace. Zhang Xin, alors jeune docteur en archéologie de la Chine antique et pas encore professeur en titre, comptait déjà parmi les talents remarquables de Beida. Il avait déjà sa mine un peu sévère, son débit de parole rapide et le ton souvent véhément. Cela ne l’empêchait pas de porter des chemises de soie colorées, ce qui lui donnait un air ‘moderne’ à coté des tenues vestimentaires très conventionnelles de ses collègues. À l’occasion, il vous invitait dans son modeste logis attribué par l’université, la conversation devenait alors plus familière. Pendant ses cours, un thème revenait souvent dans ses digressions : le retard pris par la Chine sur l’Occident. Il insistait alors sur la nécessité de comparer ce qui se faisait en Chine à l’aune de ce qui se faisait de mieux en Occident. Il était déjà ce qu’on appelle en Chine un émule de la quintessence nationale (guocui 國粹) fondée sur l’excellence d’une culture. J’ai appris par la suite qu’il s’était illustré en offrant au pays des ‘inscriptions’ : un texte de style classique qui commémorait le retour de Hong-Kong dans le giron de la Chine, un autre pour les Jeux Olympiques de Pékin, et quelques autres encore.
Aujourd’hui, tout au moins si je me réfère à ses apparitions publiques visibles dans des vidéos en ligne, il porte le veston caractéristique du lettré chinois traditionnel ; il est engagé dans le mouvement dit des « Études Nationales » (guo xue 國學), avec ses points d’achoppement éventuels, voire ses contradictions. Si j’insiste sur ces Études Nationales, c’est parce que ce mouvement réfracte en lui maints enjeux philosophiques, culturels et politiques de la Chine de ces vingt dernières années. Le Guoxue est donc une pratique, un courant de pensée, une idéologie, un engouement populaire parfois, qui (re)fait couler beaucoup d’encre en Chine depuis les années 90.
Pour ses partisans, le Guoxue est un retour à la tradition confucéenne véhiculée par l’étude des Classiques. Il faut préciser ici que cette notion de Classique n’est pas complètement figée puisque leur nombre est passé de 5 à 6, puis 9, et enfin 13 à partir de la dynastie Song. Un Classique ne doit pas son statut à une révélation divine puisque seuls des humains en sont les auteurs ; les Classiques initiaux s’enrichissent donc constamment de nouveaux commentaires, d’œuvres, de savoirs académiques, qui ensemble doivent éclairer l’expérience humaine. Ainsi, si l’on adopte une définition encore plus large, on considère que tous les ouvrages qui figurent dans la Bibliothèque Accomplie des Quatre Trésors de l’empereur Qianlong avec ses quatre sections, Classiques, Maîtres, Histoires, Recueils, constitue le corpus de la culture lettrée confucéenne quand bien même s’y trouvent nombre d’ouvrages qui ne sont pas directement liés à l’enseignement et à l’école confucéenne proprement dite. Détail important, dans ce corpus on ne trouvera pas la littérature en langue vernaculaire, ce qui exclue par exemple un roman aussi célèbre que Le Rêve dans le pavillon rouge.
Pour les contempteurs du Guoxue celui-ci est un frein au développement de la science. Liu Zehua, professeur d’histoire à l’université Nankai, dans un article publié dans le Journal des sciences sociales en 2015 objecte à propos du Guoxue : « Si l’on met sur le même plan le confucianisme et la civilisation chinoise, la haute culture, la renaissance culturelle, sans dire que les tares du confucianisme ont été occultées, est-ce que cela marche ? » Il poursuit : « Ceux qui se jetaient dans la carrière mandarinale dépendaient du pouvoir impérial, s’enrichissaient en gravissant les échelons, devenaient propriétaires terriens, et il ne faudrait pas avoir un autre avis ? »Et encore : « des universités voudraient avec le mot civilisation disjoindre Confucius, école confucéenne, et système impérial, est-ce que cela marche ? »
D’autres encore, préfèrent encore adopter une définition nouvelle du Guoxue à l’instar d’un Wang Furen qui estime que le Guoxue a figé le contenu de la totalité de la culture chinoise avec la mise à l’écart de la culture moderne, prônant alors un Nouveau Guoxue.
Le Guoxue ne date pas d’aujourd’hui. Il s’enracine dans le réveil nationaliste chinois du début XXème siècle, puis prend véritablement son envol pendant les années 20 dans le sillage du mouvement anti-confucéen du 4 mai 1919. Ses figures centrales sont Liang Qichao, Zhang Dayan et Hu Shi.
Liang Qichao lance le Journal des études nationales en 1906 dans le but de créer un environnement favorable à la libre pensée. En 1902 il avait déjà affirmé que «préserver l’école des lettrés » (rujia 儒家) ne signifie pas respecter Confucius» imputant à l’école confucéenne la disparition des savoirs académiques depuis les Han.
Dans le Livre de la raillerie (Qiushu 訅書) paru en 1900 Zhang Dayan avait considéré que l’école des lettrés confucéens n’est qu’une école parmi d’autres.
Pour Hu Shi, de l’université de Pékin, le Guoxue, abréviation de guoguxue (國故學), doit être l’étude critique du legs confucéen des Classiques au même titre que tout ce qui se rapporte à l’histoire et à la culture du passé chinois.
Chen Duxiu, Li Dazhao, qui s’intéressent au marxisme, et Lu Xun, esprit indépendant, restent en dehors du mouvement et se consacrent à la création de la culture moderne.
Aujourd’hui, pour les plus essentialistes des partisans des Études Nationales, comme le professeur Zhang Xin, il s’agit de réintroduire les Classiques au cœur de la civilisation chinoise, en inscrivant leur étude dans les programmes scolaires, ce dans le but d’édifier le peuple chinois, la morale au sein de la société chinoise faisant à leurs yeux aujourd’hui défaut, grevant les possibilités d’évolution du pays.
Mais on est encore loin du compte car, remarquent certains critiques, l’étude des Classiques dans un sens culturaliste n’avait de sens qu’imbriquée dans les institutions impériales, or celles-ci ont disparues, avec l’abandon des examens impériaux après la révolution de 1911.
Un retour à une essence de la culture chinoise impliquerait aussi un renoncement aux disciplines académiques dont le modèle de classification actuel est emprunté à l’occident. Or la classification actuelle en vigueur à Pékin, et quasiment partout dans le monde, qui distingue culture scientifique et humanités, semble incompatible avec le savoir organique propre à la culture lettrée traditionnelle.
Le confucianisme dans la mouvance du Guoxue est-il alors condamné à rester celui d’âmes errantes à la recherche d’un corps perdu pour reprendre une expression citée par Anne Cheng quand elle évoque certains des précurseurs au XXème siècle du renouveau du confucianisme ?
L’avenir dira si une assimilation complète de la culture occidentale par le classicisme chinois est chose possible, à moins que la biosphère ne nous en laisse guère le temps.
La spécialité académique du professeur Zhang Xin, nous l’avons vu, est l’archéologie de la Chine antique, il est également calligraphe et enseigne l’histoire de la calligraphie, c’est un lettré complet, au vaste savoir, selon l’expression consacrée. Il donne des conférences dans le pays pour émuler l’esprit du Guoxue. Le mouvement du Guoxue contemporain avait démarré véritablement, y compris avec une certaine effervescence médiatique, en 1993, avec en toile de fond la réhabilitation officielle de Confucius opérée dans les années 80. Le professeur Chen Lai, de l’université Qinghua, lui-même partie prenante, interprètera plusieurs années plus tard le démarrage de ce mouvement comme une réaction au discours de Deng Xiaoping pendant sa tournée dans le sud du pays en 1992 lors de laquelle ce dernier exhorta ses compatriotes en leur disant : « enrichissez-vous ! » ou encore leur déclarant : « Il faut prélever les éléments positifs du capitalisme pour édifier le socialisme à la chinoise. » Le mouvement des Études Nationales a concerné au premier chef des professeurs d’université, dans la capitale, principalement l’université de Pékin, l’université du Peuple (Renmin Daxue) et l’université Qinghua. D’autres grandes universités du pays s’y sont également engagées, et ont leurs propres instituts. Des matières, des disciplines, axées sur le Guoxue ont été mises en place avec parfois des différences notables dans les approches suivant la définition qui en est donnée. Régulièrement, ici ou là, ont lieu des échanges académiques sur les différents thèmes des Études Nationales. On y discute aussi de la meilleure d’approfondir le mouvement tandis que le gouvernement chinois adopte certaines mesures contribuant à l’extension de l’enseignement classique dans les écoles et dans la société dans son ensemble. Des revues consacrées au Guoxue sont nées. On construit des bâtiments entièrement dédiés au Guoxue, comme à l’Université du peuple en 2005. C’est dans ce contexte déjà bien établi que le président Xi Jinping est intervenu publiquement et politiquement dans le débat en octobre 2014 dans le cadre du Politburo, adoptant une position intermédiaire, puisqu’il déclarait : « Nous devons faire un usage complet de la grande sagesse accumulée par la nation chinoise depuis 5000 ans. »
Zhang Xin, outre son activité de conférencier occasionnelle, dirige également des stages payants dédiés à l’étude du Guoxue, où lui-même enseigne. Ces stages sont destinés aux décideurs économiques et aux cadres de l’administration. Sur un site, celui de l’université de Pékin, où une de ces formations est présentée, il est question, entre autres, d’améliorer la qualité, les performances du management, cela dans la perspective plus générale d’un retour aux études nationales lesquelles doivent contribuer au rayonnement de la civilisation chinoise. J’ai relevé (après conversion) le prix de 5435 Euros pour un stage s’étalant sur une année à raison de trois jours d’étude par mois. L’étude des traités de l’art de la guerre est au programme, à coté des grands Classiques confucéens proprement dits. Un moine bouddhiste enseigne les Canons du bouddhisme ; un professeur de l’université de la Défense Nationale assure le cours sur Sunzi. Pour le reste, il suffira de lire le texte, dont je propose une traduction, d’une des conférences du professeur Zhang Xin, tenant lieu également de préface à un manuel destiné à la lecture des Classiques. On pourra alors se faire alors une idée plus précise de ce qu’il en est en Chine, pour notre époque, du point de vue du professeur Zhang Xin, de la nature et du rôle de l’éducation dans le cadre de la tradition confucéenne.
Notre époque a besoin des Études Nationales, notre peuple a besoin des Études Nationales, par Zhang Xin
Voici deux dates très significatives : le 28 janvier 1988 et le 28 octobre 2009. La première date ce sont les prix Nobel très inquiets pour l’avenir de l’humanité qui se réunissent à Paris, ils mettent en avant l’idée qu’en 2530 l’humanité devra puiser dans le fonds de la sagesse confucéenne pour accomplir ce qu’on pourrait appeler une Connaissance commune de Paris . La seconde date c’est l’an dernier aux Etats-Unis, le 28 octobre, 40 représentants de la Chambre qui remettent un rapport intitulé : « Commémorer les 2560 ans de Confucius. »
Pourquoi à ce moment précis du développement de l’espèce et des sociétés humaines, des savants du monde entier, sans s’être concertés, se sont penchés sur Confucius et sa sagesse ? La raison est limpide : parce que l’humanité est en train de s’aliéner. Quel est donc ce concept d’aliénation de l’espèce humaine ? Ce sont les humains qui confrontés aux choses, leur sont aliénés. Communément on appelle ceci la « chosification » : chosification machinale, chosification animale. La chosification machinale c’est l’humanité qui jour après jour se développe toujours plus sur le plan des choses machinales. L’existence vitale et la vie quotidienne tendent à être de plus en plus mécanisées, instrumentalisées, modélisées, vidées et faussées. Ce que l’on appelle animalisation, c’est l’humanité qui régresse dans l’animalité, qui n’est rien d’autre que le darwinisme social : « tu m’attaques, je tire ; tu meurs, je vis. » Tout a un goût de compétition. La société humaine actuelle se trouve dans une posture très inhabituelle. Sous l’emprise de l’utilitaire elle devient esclave des choses et elle s’égare dans l’objectivité. Ce qui relève du beau (l’appréciation artistique) et ce qui relève du bien (le sentiment religieux) se sont de fait éloignés de notre vie quotidienne et de ce qui fait notre existence vitale. Notre fardeau est de plus en plus lourd. A fortiori en Chine, où il est encore plus difficile de faire preuve d’optimisme. Les causes se trouvent dans la période qui a précédé les années 1890 qui virent la boutique de Confucius renversée, et, il y a de cela plus de quarante ans, dans la révolution culturelle qui n’a pas d’exemple comparable dans l’histoire. Ainsi l’éducation devint un problème. Quel problème ? Celui de l’occidentalisation, de la spécialisation, qui a fait de la classe, de l’amphithéâtre, le lieu unique dédié à la transmission des savoirs. Pour employer les mots du sociologue Fan Guangdan : on n’a pas éduqué les hommes en les prenant exactement pour ce qu’ils sont, c’est à dire en les prenant pour des humains.
Alors quelle est cette sagesse confucéenne sur laquelle se sont penchés ces savants du monde entier ? De quel esprit fondamental des Études Nationales s’agit-il ? La réponse est très simple, elle tient en deux caractères : 人本 ce qui donne : ‘racine humaine’. Quant à la définition des Études Nationales elle tient en deux caractères : 人學 , ce qui donne : ‘l’étude de l’humain’ (renxue). Bien sûr, dire cela, c’est le dire relativement et comparativement aux autres civilisations et aux autres nations. La culture chrétienne, fondamentalement, c’est l’étude du divin ; la civilisation occidentale, fondamentalement, c’est l’étude des esprits fantomatiques ; la civilisation scientifique fondamentalement, c’est l’étude du ciel (nature) ; la civilisation chinoise et les études nationales chinoises, fondamentalement c’est l’étude de l’humain. Ce que signifie fondamentalement racine humaine et étude de l’humain c’est que tout commence par l’examen de la nature humaine et que tout aboutit à l’examen cette nature humaine. « Confucius comprend les choses sur la base de sa propre existence et de ses conditions de vie. » (Liang Shuming). Les questions principales que posent Les Études Nationales et l’étude de la nature humaine ce sont celles-ci : qu’est-ce que l’humain, comment accomplir nos vies, quel monde faudrait-il pour qu’il soit viable et idéal ? À quel modèle de vie peut prétendre une vie viable et idéale ? L’espèce humaine et la société ont des parcours déterminés, chaque vie individuelle a son parcours déterminé, et c’est ce qui fait la nécessité des Études Nationales.
Alors qu’est-ce que l’humain ? Les Saints et les Sages de l’antiquité avaient un regard limpide sur les choses et une grande hauteur de vue. Cela revient à dire deux choses. Le première c’est qu’il y a le corps + l’esprit ; l’humain est constitué du corps et de l’esprit. Mencius est le premier à avoir fait cette distinction. Pour quoi Mencius l’a-t-il faite ? D’abord pour distinguer les humains des animaux et ensuite pour distinguer l’homme de peu de l’homme de bien. Il s’agit donc d’une distinction qui revêt une signification très importante. Le second c’est que les humains ont une existence limitée. Leurs capacités de connaissance et d’agir sont limitées. C’est pourquoi dans Le Juste Milieu on a cette phrase : «être prudent en ce qui concerne les choses jamais vues, craindre les choses que l’on a pas ouï-dire. « Cela veut dire que les humains ont objectivement une existence par nature limitée et que seule l’espèce humaine sait qu’elle a des limites, et c’est pourquoi seule l’espèce humaine possède ces sentiments de prudence et de crainte. Or c’est dans l’enfance de l’humanité qu’apparaissent de la façon la plus évidente ces limites naturelles : ignorante, faible, sans secours, dans l’expectative. C’est la raison pour laquelle dans l’obscurité de son imagination il y a une force qui la soutient, lui vient en aide. Ainsi furent crées les divinités. Et c’est ainsi que les divinités ont été aux commencements des sociétés et de l’espèce humaine. Et c’est ainsi que divinités ont aidé l’espèce humaine à traverser sa période historique la plus obtuse, la plus difficile, la plus noire et en même temps la plus longue, cette époque que Kant distingue comme étant celle de « l’âge du pouvoir des Dieux ».
Alors, sur quoi s’appuient le divin pour venir en aide à l’espèce humaine et pour que s’ouvrit le chemin qui mène les sociétés jusqu’à nos jours ? Quelle est la fonction fondamentale des divinités ou des religions ? Elles ont deux fonctions primordiales : 1. Elle donnent à l’espèce humaine espoir et réconfort, donnent sa stabilité à la vie humaine. 2. Elles apportent aux sociétés un milieu pour des connaissances et savoirs communs, contribuant à maintenir un ordre social. Ainsi la fonction et l’efficacité des divinités est-elle incommensurable ; sans divin il n’y a pas d’espèce humaine et de société, et sans elles nous n’aurions pas l’espèce humaine aujourd’hui. Nonobstant, il faut se demander si le seul divin est suffisant ? Autrement dit, est-il possible de s’en tenir éternellement au divin, l’espèce humaine peut-elle survivre éternellement dans le monde du divin ? La réponse est négative et à cela il y a deux raisons. La première c’est que le divin est extérieur aux humains. La seconde c’est que le divin a ses limites, en tant qu’il s’adresse à l’âme des humains. Qu’est-ce que l’âme? C’est l’esprit qui survit à la mort. Par conséquent les divinités ont un défaut inné : elles s’affranchissent du monde humain. Comme le dit un proverbe canadien, tout le monde pense à Dieu, mais si l’on ne meurt pas, comment voir Dieu ? Voilà pourquoi les Dieux ne peuvent donner aux humains le repos complet. S’il n’y que le divin, il en résulte que la raison humaine ne peut guère se développer, ou alors elle se perd, ce qui amène inévitablement les superstitions. A leur paroxysme une folie religieuse s’empare de toute la société. Et c’est ce qui s’est réellement produit au Moyen-Age lorsque l’espèce humaine connut sa première crise et période noire de l’histoire. Quelle crise ? La crise du tout divinité ; quels ténèbres ? Ceux du tout divin. Le désastre du divin était à son comble.
De la même manière, on ne pas ne pas ne pas avoir une réflexion fondamentale sur la question de savoir si le tout est choses est viable. L’espèce humaine peut-elle vivre dans un monde où il n’y a que les choses, assujettie éternellement à celles-ci, à l’instar des animaux qu’on élève en troupeaux ou dispersés, à l’instar des machines qu’on fabrique et qui fonctionnent ? La réponse est nécessairement négative. Ici également les raisons sont simples. La première raison c’est que ce qui relève des choses matérielles se trouve être extérieur à la vie humaine. C’est ce que les anciens désignaient comme étant les choses en dehors du corps. Autrement dit, ce qu’on n’amène pas en naissant, ni n’emporte en mourant. La seconde raison, c’est que l’aspect matériel des choses ne concerne que le corps humain. Autrement dit, les choses matérielles ne sont responsables que de la vie matérielle des humains. Aussi, ce n’est pas non plus des choses matérielles que les hommes peuvent obtenir le véritable apaisement. Si tout est chose matérielle alors c’est la raison qui disparaît. Nécessairement, c’est la folle errance des choses de la matière. On se retrouve alors avec une crise des choses matérielles.
Et c’est parce que cela n’avait pas été admis que la première guerre mondiale a pu éclater, puis la seconde, puis dans un enchaînement ininterrompu de violences, il y a eu telle nouvelle guerre à tel endroit qui prenait le relais de telle autre guerre finissante en tel autre lieu ; ce furent les guerres du Vietnam, de Corée et d’Irak, et aussi la crise économique qui s’aggrave de jour en jour. L’état de l’environnement nécessaire à la survie de l’espèce empire, les ressources naturelles non renouvelables s’épuisent. Là où le ciel doit être sombre, il n’est pas sombre, quand il doit faire froid il ne fait pas froid, quand le temps doit être calme, il ne l’est pas, là où il doit neiger, la neige ne tombe pas. Là où il ne devrait pas neiger, il neige subitement en dépit du bon sens.
La vie des humains est confrontée à des crises de plus en plus graves : Sida, SRAS, maladie de la vache folle. Récemment les britanniques ont vu avec stupeur apparaître sur leurs tables de la viande d’animaux clonés. L’ADN de l’univers du vivant est en train de se transformer, s’il ne l’est déjà. L’espèce humaine vit de plus en plus dans un espace factice : ce que nous mangeons, ce qui nous habille est de plus en plus faux. Même les instincts des humains sont concernés:la naissance sera artificielle, mécanisée, remplacée par des artefacts, peut-être un jour sortira-t-on d’une machine des humains ni tout à fait humains, ni tout à fait esprits fantômes, des clones humains ! On pourra alors les calibrer. C’est très inquiétant. Désormais, le fonctionnement dénué de sentiments de ces deux créatures titanesques que sont la technique et le capital dépasse chaque jour un peu plus les capacités de maîtrise et d’organisation des humains entre eux, n’étant plus très loin de la perte totale de contrôle. L’espèce humaine est confrontée à une crise énorme qui engage sa survie. Que faire ?
Ceux qui dans le monde ont des connaissances réfléchissent. Et c’est ainsi qu’à la fin du siècle dernier il y a eu cette Connaissance commune de Paris avec des lauréats des prix Nobel du monde entier. Oui, puiser dans la sagesse confucéenne bien avant 2530.
Qu’est-ce que la sagesse confucéenne ? La sagesse confucéenne n’est autre que la sagesse de la nation chinoise, la plus remarquable contribution de la nation chinoise au monde. Ce qui veut dire que Confucius a révélé le monde d’une espèce humaine qui s’appartient à elle-même : le monde de l’esprit. L’explication est simple, d’abord les humains ne sont pas des divinités, cela ne peut donc pas être un monde du seul divin, où ils sont éternellement sous les ordres du divin, vivant dans le monde des divinités. Ensuite, les humains ce ne sont pas des choses matérielles. Et puisqu’ils ne sont pas des animaux-machines, ils ne sont pas non plus des animaux, alors ils ne sont plus que des êtres matériels, obéissant éternellement aux choses matérielles, vivant dans le monde des choses matérielles. L’humain c’est l’humain, c’est pourquoi l’humain ne peut vivre que dans le monde humain. L’esprit est le constituant principal de l’humain, aussi l’humain ne peut-il vivre que dans le monde de l’esprit. Il y un monde idéal et naturel pour autant qu’il y a un monde de l’esprit.
Or donc, le fait que l’espèce humaine appartienne au monde propre de l’espèce humaine est-ce à dire qu’il n’y a que l’esprit ? La réponse est encore négative. Parce que l’humain est ce qu’il y a de commun au corps et à l’esprit. Il faut stabiliser le corps pour que celui-ci ne puisse se soustraire aux choses matérielles. Il faut stabiliser l’esprit pour que celui-ci ne puisse se séparer du divin. Ainsi ce qui appartient au monde de l’espèce humaine et qu’a révélé Confucius ce sont le divin, le matériel et l’esprit ces trois instances en un corps, un monde où l’esprit dirige.
Dans un tel monde comment l’espèce humaine subsiste-t-elle ? C’est à dire, comment se développe la vie des humains. Quel modèle de vie idéale et naturelle serait celui de l’espèce humaine ? On peut l’affirmer, ce n’est pas la vie du divin, ce n’est pas non plus la vie des choses matérielles. Ce ne peut être que la vie de l’esprit. Il y a un mode de vie propre à l’espèce humaine pour autant que l’espèce humaine s’est donnée les moyens et a été capable d’avoir une vie de l’esprit.
Pour parler concrètement, cela veut dire, premièrement : ne pas rechercher outre- monde une libération, mais bien vivre dans le monde présent, réussir sa vie d’humain et être un homme de bien. De l’enfance à la vieillesse prendre d’abord soin de soi, puis prendre soin des autres, puis à nouveau les autres prennent soin de nous, l’on jouit alors du parcours complet de la vie. L’esprit s’est impliqué en traversant ces trois étapes. C’est aussi ce que Zhuangzi appelait « accomplir son destin et ne pas mourir à la fleur de l’âge. » Deuxièmement, la vie ce n’est pas l’obtention de la plus grande satisfaction dans la quête des choses matérielles, mais ce ne peut être que la recherche autant qu’il est possible de la joie de l’esprit. Manger, s’habiller, être en bonne santé, ce n’est pas le but. Le but du manger, du s’habiller et de la santé c’est la joie de l’esprit. La joie de l’esprit est la seule raison d’être de la vie. La vie qui a pour fin la joie c’est la vie de l’esprit. C’est à dire la vie de l’union du corps et de l’esprit. C’est ce que Zhuangzi nomme « bien vivre et bien mourir ». Une vie intégrale ne peut être que la vie qui va de la naissance à la mort. Il suffit alors que chacun vive au mieux sa vie, se réalise un soi-même, pour que le bon renouvellement de la vie de l’espèce humaine s’accomplissent.
Telle est la sagesse de Confucius, la sagesse de la nation chinoise — la grande sagesse, la grande éducation, la grande vision de l’existence. C’est là que se trouvent la valeur et l’esprit fondamental des études nationales et de la civilisation chinoise. Or une telle sagesse, un tel esprit, une telle valeur, comment concrètement la connaître et la posséder ? Ce qui revient à dire, comment pouvons-nous faire de nous des humains, des hommes de bien, et ainsi parvenir au monde de l’existence idéale ? Nous ne pouvons que solliciter l’enseignement des Anciens Saints et Sages, solliciter l’enseignement des Classiques. Ce qui ne désigne pas autre chose que les Cinq Classiques et les Maîtres, y compris les Quatre livres dont l’édition a été fixée par les confucéens de la dynastie Song et ont été promus au rang des leçons indispensables pour la vie.
Zhuangzi dit des Cinq Classiques que ce sont « les traces ordonnées des Anciens Rois ». Les ouvrages classiques sont les remémorations et prises de note de ce qui dans activités sociales des ancêtres lettrés qui possède la plus grande valeur. C’est la source et la base de la civilisation chinoise. Tous les produits de la civilisation chinoise se sont développés sur cette base. Toutes les formations psychologiques et culturelles de la nation chinoise sont nées et se sont établies sur cette base. La Préface du Livre des Documents dit : « le livre des trois Empereurs se nomme les Trois Tumulus, il parle de la grande voie, le livre des Cinq Empereurs se nomme les Cinq Canons, il parle de la voie constante. Les Classiques et Canons éclairent l’origine et la base de la civilisation chinoise. Ils impliquent la Voie — l’appui interne à partir duquel est généré tout le développement de la civilisation chinoise. La civilisation chinoise est là sans interruption depuis 5000 ans, et pas à pas elle continue d’avancer. Alors n’y a-t-il pas là une grande sagesse, quelque chose d’important !
Mais ce qui est très regrettable c’est que depuis le mouvement du 4 mai, et aussi après les années 50 avec la réforme de l’écriture et surtout après les années 60 avec la Révolution culturelle, nos Classiques ont été laissés à l’abandon dans un pavillon haut perché et ainsi, jour après jour, ils sont sortis un peu plus de la vie des gens, jour après jour ils se sont éloignés un peu plus du système d’éducation national. Cela a eu pour conséquence sociale directe que les chinois ne connaissent plus les caractères chinois, les chinois ne lisent plus de livres chinois, les chinois ne lisent pas leurs Classiques. Nous avons eu alors ce phénomène inévitable que les gens ont renoncé à leurs propres sentiments pour suivre celui des autres, et d’un seul homme ils se sont alors entichés d’une civilisation occidentale en position dominante, perdant alors la confiance en soi d’une nation, la confiance envers leur propre culture. Les gens perdent leur croyance en l’excellence originelle de notre nation chinoise, les gens n’ont plus l’esprit de crainte respectueuse, les gens n’ont plus l’âme religieuse, les gens n’ont plus la force qu’apporte un soutien spirituel, les gens n’ont plus d’esprit à demeure, il n’y a plus de rien de grand, il n’y a plus de noblesse. Alors la sincérité part à vau l’eau, la morale régresse, on s’oriente vers la superficiel, l’intérêt profitable, et même vers la folie et le crime.
Que faire ? Il faut éveiller les esprits, il faut renouveler l’éveil des esprits. Pas seulement pour notre prochaine génération, en éveillant l’esprit de nos bambins, car il importe tout autant d’éveiller l’esprit de nos aînés. Les gens de notre pays doivent s’éveiller, sont dans l’attente de cet éveil. Ce travail d’éducation est tout à fait faisable, parce que les études nationales ont une vitalité incomparable.
Les études nationales ont eu à subir trois chocs sévères : le 4 mai, la Révolution culturelle et la politique d’ouverture et de réforme (économique), cependant elles n’ont pas sombré, elles coulent encore dans les veines du peuple, sont préservées dans les gènes du peuple chinois. Ainsi nous avons cet engouement actuel du renouveau des études nationales. Des petits groupes d’entrepreneurs, de cadres se dirigent vers les stages d’études nationales. Puis il y a eu ce Trésor des Classiques de l’éveil aux études nationales que chacun a maintenant devant soi. Nous avions réuni une équipe ad hoc de chercheurs chinois d’âge moyen épris de culture littéraire et plein d’enthousiasme pour les études nationales, et ainsi tout a été fait pour éditer cette série de petits livres maintenant offerts à tous, à la société, à l’époque.
Sous la dynastie Tang, Maître Hanyu dit : « pour lire il faut d’abord connaître les caractères » Dans la vie pourquoi faut-il étudier ? Parce que, dit Le juste Milieu : » Le mandat du ciel a pour nom notre nature » La nature de l’homme est attribuée par le Ciel, la Nature. Cependant, le Ciel n’a fait que donner à chacun une existence, il n’a pas donné à chacun la capacité et le talent pour réaliser cette existence. Le talent et la capacité d’où viennent-ils alors, si ce n’est par l’étude ? Voilà pourquoi Confucius n’admet pas que la connaissance vienne en naissant, à l’inverse, c’est parce que avons plaisir à l’étude que nous nous établissons. Alors, étudier quoi ? Premièrement wen, deuxièmement xian. Ce qu’on appelle xian ce sont les choses ou les personnes qui ont une forme. Ce qu’on appelle wen ce sont les livres. C’est pourquoi étudier revêt une extrême importance pour l’existence humaine : lire est un mode de vie et un mode d’existence. Pourtant, pour lire il faut un préalable qui est de savoir les caractères. Or la signification que pointe Hanyu en disant « savoir les caractères » c’est de savoir les caractères anciens, savoir leur sens originel. C’est pour nous contemporains qui ne savons que les caractères d’après la réforme de l’écriture, c’est à dire des caractères simplifiés, et ne savons pas les caractères compliqués, sans nul doute, une difficulté, et très certainement aussi une grosse difficulté qui vient encore s’ajouter à d’autres difficultés. Pour cela, nous avons spécialement annoté chaque caractère en donnant la prononciation, en espérant toutefois que la pratique et la réflexion de tous concernant les études nationales nous apportent plus d’aide.
Emerson dit : « étudier directement le seigneur. « Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de voir sa photo, de voir sa photocopie, mais qu’il faut le voir en personne. Aussi, comme nous le disons souvent, il faut lire les textes originaux, il faut lire les classiques. Il ne faut pas, par commodité, pour économiser du temps, lire des traductions en chinois contemporain, ou même seulement des morceaux choisis. Les éditions très annotées il est préférable également de s’en passer. Dans tous ces cas on s’écarte du texte originel. Il devient inévitable que le sens soit biaisé, que l’on perde quelque chose, au point même parfois de faire des contresens. Et ce d’autant plus que de nos jours ceux qui écrivent sont plus nombreux que ceux qui étudient.
Confucius dit : « Ceux qui étudiaient autrefois le faisaient pour eux, ceux qui étudient aujourd’hui le font pour les autres. » Il y a dans l’étude une différence entre l’homme de bien et l’homme de peu, Xunzi dit : « l’étude pour soi c’est l’étude de l’homme de bien, l’étude pour les autres, c’est l’étude de l’homme de peu. » L’étude pour les autres, c’est que cela se sache en dehors de soi, l’étude pour soi, c’est « vouloir l’obtenir pour soi », « l’étude de l’homme de bien consiste dans la culture de son corps », c’est pourquoi l’étude est une action individuelle, il n’y pas comme cela existe chez certains personnages médiatiques à prêcher le vrai pour le faux, faire étalage de son savoir, se mettre en scène. Dans l’étude, le plus important n’est pas l’acquisition des connaissances, mais de « savourer » ; il faut sentir les choses, il faut réfléchir en se basant sur son expérience personnelle de la vie, « il faut transformer le caractère. » Avant l’étude, c’est ainsi, après l’étude c’est autrement. Il faut absolument suivre la deuxième voie que nous indique Liang Qichao : la pratique de la vertu naturelle.
Nos contemporains ont pris l’habitude d’utiliser les méthodes occidentales. C’est à dire la méthode « scientifique », la méthode analytique, la méthode de la recherche des écarts, la méthode quantitative pour étudier les livres et produire de la connaissance. Tout ceci pose de gros problèmes. Connaître les Canons de la culture chinoise, les Cinq classiques, et les Maîtres, ce n’est pas scientifique, car ce sont des humanités. C’est pourquoi dans l’étude on ne peut que veiller à des humanités, on ne peut qu’utiliser la méthode relationnelle, synthétique, qui va au delà des formes. L’utilisation de la méthode analytique, scientifique, ne peut produire que des experts. Ce qu’on appelle des moines à la bouche en coin qui ont leur point de vue personnel sur tel ou tel Canon en particulier, tous ces spécialistes du Lao Zi ou du Sun Zi qui se sont formés sur ce modèle. Ils ne savent donc pas que Laozi, Zhuangzi, Sunzi, sont tous chinois ? Ils partagent pourtant les mêmes bases génétiques, les mêmes formations mentales et culturelles, et il y aurait de telles différences entre eux ? C’est pourquoi je préconise toujours de faire « le vieux (qui) fait le petit-fils ». Laozi, Zhuangzi, Sunzi, il faut les connaître sur le bout de doigts. Et de même, prose, histoire et philosophie, il faut connaître à fond.
Ce petit livre que nous avons ici, nous l’avons édité en prenant en considération tout ce qui vient d’être dit. Nous souhaitons qu’un grand nombre de lecteurs s’y appliquent de tout cœur.
Encourageons-nous mutuellement ! Assumons la grande responsabilité de transmettre et de faire rayonner la culture chinoise !
Ceci pour introduction.
Cifu à Beida, pavillon Puyi. 2010.11.2 à l’aube. (L’auteur est professeur d’archéologie de l’université de Pékin et à l’Institut du vaste savoir littéraire. Canons précieux de l’éveil aux études nationales. Editions Qingwu, Déc. 2010.)
Source du texte traduit : http://pkunews.pku.edu.cn/zdlm/2013-11/11/content_279627....
(1) Culpabilité : État plus ou moins angoissé et morbide d'une personne qui se sent coupable de quelque chose; comportement qui en découle et que caractérisent principalement des réactions d'agressivité projetée chez autrui ou dirigée contre soi même dans l'autopunition*, l'auto-accusation* et l'autodestruction*
(2) Honte : Sentiment de pénible humiliation qu'on éprouve en prenant conscience de son infériorité, de son imperfection (vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose). Synon. confusion.La honte le retient. Être pris de honte (Ac.) - Effet d'opprobre entraîné par un fait, une action transgressant une norme éthique ou une convenance (d'un groupe social, d'une société) ou par une action jugée avilissante par rapport à la norme (d'un groupe social, d'une société). Synon. déshonneur; anton. honneur.Les hontes du péché, du ridicule. Effacer la honte d'une mauvaise action; couvrir quelqu'un de honte (Ac.).
Quelques références
Anne Cheng, « Le confucianisme est-il un humanisme », son cours au Collège de France, 2014. https://www.college-de-france.fr/site/anne-cheng/course-2...
Rémi Brague, Le règne de l’homme, Gallimard, 2015
Jean Lévi, Les entretiens de Confucius et de ses disciples, Albin Michel, 2016
Paul Jorion, Comment la vérité et la réalité furent inventées, Gallimard, 2009
John Makeham « Le renouveau du Guoxue, antécédents historiques et aspirations contemporaines », in Perspectives chinoises, 2011
Chen Lai 陈来, Tradition and Modernity : a Humanist View , 2009 http://chinaperspectives.revues.org/5761?lang=fr
Chen Lai 陈来, « Entretien avec le professeur Chen Lai », conduit par Roger Darrobers, 2010 http://www.institutricci.org/A6_documents/data_doc/Doc/Le...
Lu Chang 陆畅, « Shilun guoxue de jiben tezheng » (Essai sur les caractéristiques fondamentales du Guoxue), 2014 http://www.cqvip.com/qk/97427a/201401/48718112.html
Wang Furen, 王富人 »Xinguoxue Lungang » (Les grandes lignes du Nouveau Guoxue) in Xinguoxue Yanjiu, di yi ji, Renmin Wenxue Chubanshe, 2005
Liu Zehua, 刘泽华 »Fuxing ruxue shi wenming de tisheng ma ? » (La renaissance de l’École des lettrés confucéens, est-ce un progrès pour la civilisation ?) in Zhonguo shehui kexuebao, 2015
http://news.nankai.edu.cn/mtnk/system/2015/07/16/000242103.shtml
Zhang Xin, 张辛, « Shidai xuyao guoxue, minzu xuyao guoxue », (Notre époque a besoin de Études Nationales, notre peuple a besoin des Études Nationales ), Beijing Daxue, 2013
http://pkunews.pku.edu.cn/zdlm/2013-11/11/content_279627.htm
Zhang Xin, sa notice Baidu (le ‘wikipédia’ chinois) : http://baike.baidu.com/subview/221274/6393257.htm
Promesses et menaces à l’aube du XXIème siècle : conférence des lauréats du prix Nobel à Paris, 18-21 janvier 1988, Editions Odile Jacob, 1988
Sylvain Arnulf « Pour le créateur de Baidu, la Chine doit devenir une superpuissance de l’intelligence artificielle. », 2015
http://www.usine-digitale.fr/article/pour-le-createur-de-...
Chine – Prête pour le transhumanisme ? par DD & DH
Billet invité.
C’est le thème, simultanément porteur d’espoir et vecteur d’angoisse, qui, désormais sorti de l’univers clos des labos de recherche et des films hollywoodiens de super-héros, se met à courir les rues, à hanter nos imaginations et à pimenter les conversations du Café du Commerce.
L’espèce humaine vient en effet de comprendre brutalement qu’un bond extraordinaire de la science est en train de rendre bien réelles dès demain matin les plus aventureuses spéculations qu’elle étiquetait « science-fiction » jusqu’à hier et qu’il va lui falloir faire avec bon gré mal gré.
Parmi les nombreux projets qui mijotent dans les tubes à essai, sans aller jusqu’à l’immortalité qu’on commence à nous faire miroiter et que nous laisserons de côté pour le moment, se trouvent évidemment en très bonne place le clonage et les mutations d’encodage génétique appliqués aux humains. Ces manipulations de l’ADN sont d’ores et déjà relativement bien maîtrisées chez l’animal et la communauté scientifique est arrivée au point exact du possible « basculement » vers la grande mutation anthropologique que constituera l’application de ces techniques à notre espèce ainsi « augmentée ». Nous disons « constituera » et non « constituerait » tant il nous apparaît que ce qui est faisable se fera inéluctablement et probablement de manière irréversible. Rassurons-nous : il ne se peut que l’on ne nous assure pas que cela sera « pour notre plus grand bien » !
Or, tandis qu’en Europe nous hésitons encore (un peu) au bord du précipice, la Chine est en train de se positionner à l’avant-garde de cette marche vers l’inconnu. Des scientifiques chinois ont déjà mis le doigt dans l’engrenage en publiant les résultats d’une « première » réalisée en avril dernier, à savoir une série de manipulations génétiques sur un échantillon de 86 embryons (source : Le Monde Cahier « Sciences et médecine » 23/09/2016). En juillet d’autres chercheurs présentaient leurs travaux pour soigner le cancer chez l’adulte via une technique de modification génétique.
Parallèlement, un sondage à l’échelle mondiale a montré que c’est en Chine que l’idée d’une modification du QI in utero rencontre le plus d’adhésion spontanée de la population, 39% s’y déclarant favorables et jusqu’à 50% franchement enthousiastes parmi les couches de population les plus jeunes et éduquées (même source).
Ce positionnement n’a rien d’étonnant. La tentation eugéniste est latente en Chine et n’attend que la technologie qui la rendra effective et assurée du succès. La perspective de mettre au monde un enfant « augmenté » dont le QI trafiqué in utero assurera des performances scolaires et une réussite sociale spectaculaires est le rêve tout à fait avoué de beaucoup de familles chinoises ! Un pays qui, avec Confucius, met au-dessus de tout les capacités intellectuelles depuis deux millénaires et demi ne saurait décevoir dans ce domaine : aller au bout du perfectionnement possible et se surpasser dans l’acquisition de talents est le seul credo que la Chine a toujours entonné. N’existe-t-il pas à Pékin un Temple de l’Intellectualisation (dont le nom chinois « zhi hua si » serait mieux rendu par « Temple de l’activité intellectuelle socle de la civilisation ») spécifiquement dédié à l’Intelligence ?
Tous les écoliers chinois connaissent bien le terrible « marche ou crève » des études à grand renfort de cours particuliers et d’épuisants « tours de chauffe » avant les examens ! Réussite à tout prix ! Les parents chinois caressent tous le rêve de hisser leur enfant (unique jusqu’à ces tout derniers temps !) au pinacle et de lui voir réaliser ce dont la Révolution Culturelle les a privés. Comme le piano a été la revanche N°1, par progéniture interposée, des ex-gardes rouges et ex-« jeunes instruits » (chassez l’embourgeoisement, il revient au galop !), c’est par exemple le cas du jeune pianiste virtuose Lang Lang qui, littéralement, ne pouvait pas ne pas exaucer les désirs frustrés de ses parents prêts à tous les sacrifices pour assurer son ascension aux premiers rangs mondiaux dans le domaine des gammes.
Dans la mesure où actuellement le foot, sport particulièrement chouchouté par le Président Xi qui rêve d’un « Mondial » triomphal, a plus le vent en poupe que le piano, c’est vers lui que convergent les aspirations de bien des parents qui se mettent à rêver de Messi, Beckham et Ronaldo en herbe en inscrivant leurs rejetons à la gigantesque Académie du Football, avec ses 50 terrains, installée dans le sud de la Chine. Un reportage à la télé (diffusé en bouche-trou pendant la grève d’I-Télé) y a montré un môme d’une dizaine d’années au bord des larmes bafouillant qu’il n’aimait pas du tout le foot. Qu’importe : 5 heures par jour de balle au pied ad majorem gloriam de papa, de maman et des ancêtres ! S’il y a un gène du foot, il ne fait aucun doute qu’on le lui transplantera dès que possible… Sans verser dans un essentialisme de mauvais aloi, force est de constater que la passion de l’excellence et le syndrome Guinness Book sont de puissants levains qui travaillent en profondeur la « pâte » chinoise !
Les Chinois manifestent, dans ces domaines, une confiance et une audace qui nous épouvantent un peu. Sans doute faut-il se souvenir qu’ils sont des joueurs infatigables et jamais découragés. Ils misent sur le côté bénéfique du progrès et sont prêts à tenter le coup ! Ils n’ont jamais non plus produit de ces mythes qui ont structuré notre imaginaire européen : il n’y a pas de Prométhée chinois supplicié jusqu’à la fin des temps par un Zeus jaloux pour avoir aidé les premiers hommes à « s’augmenter » par l’usage du feu. Pas davantage d’« Apprenti sorcier » incapable de contrôler, faute de la formule capable de le stopper, le terrifiant pouvoir dont il s’est magiquement « augmenté » en mettant en branle l’infernal ballet des seaux d’eau. Pas de « Faust »» non plus, piégé par le Diable à cause de son insatiable appétit pour une vie « augmentée » et pas de créature du Dr. Frankenstein dont le processus d’« augmentation programmée » n’est pas allé jusqu’à son terme, donnant naissance à un monstre. A noter que les trois mythes, devenus constitutifs de notre identité, de l’Apprenti sorcier (Goethe 1797), de Faust (repris de Marlowe par Goethe en 1808) et de Frankenstein (Mary Shelley 1818) ont été popularisés chez nous sur une petite dizaine d’années au tournant du XVIIIe et du XIXe, c’est à dire au moment où apparaissait la notion de « fluide électrique », où Mesmer « magnétisait » la Cour de France dans ses baquets et surtout où la Révolution industrielle installait le machinisme sur fond d’aliénation au travail et générait une angoisse d’un genre nouveau face aux mutations sociologiques qu’elle entraînait. Il nous semble aller de soi que le fonds commun à ces trois mythes et l’efficacité de leur pouvoir d’évocation doivent être mis en relation avec la religion judéo-chrétienne puisque tous les trois mettent en garde sur les périls d’une grave transgression. Or on ne peut transgresser véritablement que du sacré et des lois réputées inviolables : par excellence celles d’un Dieu créateur, juge de toute action et en éternel surplomb de toute sa création. L’impact des mythes cités ne trouve sa justification que si Dieu figure dans le fond du tableau. Même déchristianisés comme nous croyons l’être aujourd’hui, nous restons à l’intérieur de ce pli que le judéo-christianisme a fait prendre à notre interprétation du monde.
La Chine n’a rien connu de tel : ignorant la notion de création et sans compte à rendre à une instance supérieure (les ancêtres et la profusion des dieux de toute sorte sont accommodants et traités en voisins), elle peut ignorer nos scrupules pour se lancer dans l’invention de nouveaux possibles et, comme elle est fondamentalement optimiste (pas de « faute » originelle pour noircir le tableau !) elle fait le pari que ça peut marcher. Sans la menace du crime d’« hybris » qui fâchait l’Olympe ou de l’offense faite à un Dieu courroucé contre ceux qui auraient l’outrecuidance de traficoter sa propre Image à travers sa créature, la Chine trace son propre chemin.
Dans ces quarante dernières années, elle a fait un bond scientifique et technologique de plusieurs siècles à une vitesse inédite : elle est sur une vertigineuse rampe de lancement et, sauf si un obstacle imprévu mais toujours possible l’arrête, elle poursuivra coûte que coûte sur cette lancée.
Minuscule exemple de saut technologique : il nous arrive encore de nous pincer au souvenir de l’unique téléphone filaire public (généralement rouge) qui, installé dans une encoignure de porte ou bringuebalant sur un appui de fenêtre, desservit l’ensemble des communications de chaque pâté de maisons à Pékin et dans les grandes villes jusqu’à la fin des années 90 et qu’on vit remplacé presque du jour au lendemain sans la moindre émotion décelable à l’orée des années 2000 par un raz-de-marée de cellulaires dernier cri « augmentant » les individus jusqu’au fond des campagnes ! Pour le transhumanisme, le chemin est défriché…
CHINE : Entre les lignes, par DD & DH
Billet invité. Le télescopage entre les remarques ici et celles dans mon Titre, ô titre, où es-tu ? ou Les espiègleries de la déesse Édulcore, hier, est purement accidentelle… à moins qu’il ne signale une épidémie…
On le sait : il n’y a pas de sujet dans l’actualité du monde qui soit « neutre » tant chaque évènement est inévitablement relié d’une manière ou d’une autre à nos affects, à nos intérêts, à nos idéologies, à nos croyances et à nos souhaits, qu’on les envisage à notre niveau personnel ou à celui, plus vaste, de notre nation, (nous allons rarement au-delà en matière d’échelle). On sait bien que même une dépêche de l’AFP n’est pas « neutre » et on ne parlera pas de son traitement (focale choisie, effet de zoom ou escamotage pur et simple) tant il relève d’une écume du moment, des circonstances, des rapports de forces à différents niveaux et aussi bien sûr du type de réception dont le « traitant » est capable. Il est évidemment illusoire d’imaginer qu’il existerait une manière « neutre » d’aborder un sujet pioché dans l’actualité, c’est pourtant ce que voudrait nous faire croire la corporation des journalistes dits « d’information », au premier rang desquels ceux du » Monde« , le Saint-Jean-bouche- d’or de la profession, journal « de référence et de révérence » censé offrir de l’information à l’état pur, garantie sans OGM (Omission, Grossissement, Minimisation) et sans parti-pris.
La Chine est un de ces sujets de l’actualité mondiale que nous (nous = DD et DH) scrutons plus attentivement que les autres et depuis plus longtemps que n’importe quel autre. Nous ne prétendons, dans les reflets que nous en livrons sur ce blog, ni à l’exhaustivité ni surtout à une « Vérité » objective qui n’existe nulle part. Nous voulons seulement témoigner de ce que ce travail d’auscultation patiente nous révèle : il est assez difficile en France de trouver sur la Chine un discours informatif « propre », débarrassé des préjugés, du prêt-à-penser dominant et des scories héritées d’une mémoire-« zombie » collective mêlant « péril jaune » et fascination maoïsante. Cette difficulté remonte très loin dans le temps (d’où probablement les effets de rémanence « zombie »). En fait elle est aussi vieille que la rencontre des Européens avec L’Empire du Milieu.
Nos premiers « envoyés spéciaux » ont été très prolixes et les « dépêches » qu’ils nous expédiaient sous forme de longues lettres étaient beaucoup plus détaillées que celles de l’AFP : c’étaient les Jésuites d’avant et de pendant la « Querelle des Rites » (entamée en 1700) qui, ne cachant pas l’admiration que leur inspiraient les mœurs, la sagesse et la haute civilisation chinoises, enthousiasmèrent d’autant plus nos « Lumières » qu’ils pouvaient bien, au train où ils allaient dans le laudatif, faire opportunément douter des paroles d’Evangile en Europe !
La Chine de Matteo Ricci n’était pas à 100% conforme à l’imagerie enluminée par ses coreligionnaires (très flattés d’être admis dans les premiers cercles du pouvoir impérial, ceci pouvant expliquer cela), mais celle d’une multitude grouillante d’êtres déguenillés, serviles, fourbes et cruels que véhiculèrent les colons occidentaux de l’après-guerres de l’opium (à partir de 1850) et qu’on retrouve dans « L’Illustration » du début du XXe quand ces effrayants va-nu-pieds osèrent s’en prendre aux Légations de Pékin, est, à l’opposé, encore plus déformante.
Pendant un demi-siècle ensuite, en même temps que la sinologie se constituait solidement en tant que science universitaire dans toute l’Europe (travaux décisifs de M. Granet, H. Maspero, R. Grousset, H. Giles, A. Waley, J.J. De Groot …) mais restait confinée dans les Instituts spécialisés, les phantasmes d’une Chine sournoise et malfaisante, qu’on peut dater par la création en 1912 de l’inquiétant Fu Manchu imaginé par Sax Rohmer, répandirent subrepticement dans l’opinion la peur d’un « péril jaune » qui vint enrichir notre imagerie d’Epinal traditionnelle.
Deux guerres mondiales gommèrent alors momentanément la Chine à nos yeux en la privant d’un relais dans nos gazettes et nos préoccupations, alors qu’elle aussi subissait ces deux conflits : sous la forme d’une injustice lors de la signature du Traité de Versailles en 1919 et celle d’un abominable martyre de la part des Japonais lors du second conflit. Ceux qui furent enfants en France dans les années 30 entendirent sans doute parler de la Chine pour la première fois à travers la collecte du papier métallisé enveloppant le chocolat qu’il fallait garder « pour les petits Chinois », opération caritative qui emplit toute une génération d’une horreur à double ressort : les petits Chinois se nourrissaient-ils vraiment de papier métallique? ou bien n’auraient-ils pas aimé eux aussi le chocolat dont on se goinfrait bien égoïstement, ce qui ne constituait rien moins qu’un double péché capital…
On sait que la période qui s’ouvrit avec l’intronisation de Mao à Pékin en 1949 n’aida pas à accommoder notre vision selon des critères objectifs : entre l’effroi primaire des anticommunistes tétanisés de voir ainsi s’agrandir le camp du « Mal » et l’idolâtrie d’intellectuels hypnotisés par la propagande, la Chine de Mao n’avait pratiquement aucune chance chez nous de se voir restituer un visage qui eût à voir avec le réel. Depuis la fin des années Mao et accompagnant la spectaculaire croissance économique qui a pris tout le monde de court, anticommunistes et maolâtres confondus, est revenu, sans dire son nom qu’un siècle après Fu Manchu on n’ose plus guère énoncer à haute voix, un ersatz de « péril jaune » sur les thèmes : la Chine nous vole nos emplois, elle ruine nos industries, elle nous envahit de marchandises bas de gamme dangereuses pour notre santé, elle pollue la planète. Et que dire de ces richissimes Chinois » qui viennent jusque dans nos bras acheter nos vignes et nos terres ! Aux armes, citoyens... » ! Les pseudo-intellectuels de l’heure dont le journalisme fournit le gros des troupes, forcément moins triviaux, ont, eux, quand ils parlent de la Chine, un caillou dans la chaussure : ce caillou s’appelle « Droits de l’Homme (et du journaliste) » et il suscite une inflammation qui ne s’apaisera qu’avec l’effondrement du Parti Communiste Chinois, pas tant parce qu’il est « communiste » (on n’est plus si primaire, que diable !) que parce qu’il constitue une anomalie à la tête d’un empire capitaliste et que cette anomalie, qui n’est pas prévue dans le mode d’emploi de leur boîte à outils conceptuelle, dérègle leurs boussoles. Cet urticant prurit ne les fait souffrir qu’à l’endroit de la Chine et ne leur donne jamais d’élancements quand, par exemple, ils qualifient sans nuances de « grande démocratie » l’Inde où perdure la relégation des « Intouchables » ou quand ils détournent pudiquement le regard de Guantanamo (c’est vrai qu’il n’y a pas de journalistes dans ces cages !) pour ne pas écorner l’image de la patrie de Freedom !
Pour la Chine, la chose s’explique assez facilement et de façon si naturelle qu’on peut faire l’économie des procès d’intention. Prenons le cas des correspondants sur place que peuvent s’offrir les journaux ayant pignon sur rue : à Pékin, ils vivent entre eux dans des quartiers conçus pour les étrangers. Par qui sont-ils « approchés » assez rapidement ? Par des Chinois de leur « espèce », intellectuels ou pseudo-intellectuels à différents degrés de « dissidence » à la recherche d’une chambre d’écho pour leurs doléances. Il y a de fortes chances pour que se nouent alors des amitiés véritables autour des « valeurs » que les uns incarnent et que les autres revendiquent. Que spontanément les journalistes occidentaux relaient ces aspirations et s’indignent qu’elles soient en Chine passibles des tribunaux (puisque le « flétrissement public de l’image de la Chine » est un délit) n’a rien d’étonnant ni de répréhensible en soi à condition que ces mêmes journalistes élargissent un peu leur champ de vision et ne s’abonnent pas à cette univocité. On se souvient du cas d’Ursula Gauthier, correspondante de « L’Obs. » à Pékin pendant de nombreuses années, qui fut littéralement « expulsée » par non renouvellement de son visa par les autorités pékinoises le 31 décembre 2015. A voir l’acharnement qu’elle avait mis à obtenir ce coup de pied au derrière par la tonalité de ses papiers au fil des ans, on peut se demander si elle n’y voyait pas un titre de gloire et le plus magistral couronnement de sa carrière ! L’ensemble de ces pratiques journalistiques (de tous bords politiques) finit par créer autour de l’idée de Chine un sfumato qui déforme presque invisiblement, mais invariablement dans le même sens, les contours du sujet.
Terminons par une petite explication de texte à l’appui de notre thèse du « sfumato ».
Lieu ? « Le Monde ». Date ? 15 octobre 2016. Sujet ? Retour de Confucius. Titre ? « Un grand bond en arrière » (en lettres gigantesques). Il s’agit, sous la plume de François Bougon, d’évoquer la remise au goût du jour de la doctrine confucéenne par le PCC, c’est-à-dire davantage du « réchauffé » qu’un scoop. L’article est correct et se présente en bonne dissertation équilibrée, appuyée par deux ou trois citations de sinologues qui n’ont rien de bouleversant, bref une copie comme on les a aimées en France quand on y pratiquait encore « les humanités ». Mais le Diable guette et on sait bien qu’il est dans les détails. Il y a au journal « Le Monde » une équipe de coiffeurs et de modistes dont le job est de coiffer les articles de titres et de leur confectionner des « chapeaux », c’est sur leur ouvrage que nous allons ici nous attarder un peu. Occupons-nous d’abord du titre général barrant toute la page, en énorme « Un grand bond en arrière ». Il s’agit bien sûr d’un jeu de mots de connivence avec l’intelligentsia qui captera le clin d’œil, mais le lecteur plus négligent n’en retiendra en passant que l’idée diffuse d’une Chine qui freine, voire recule et même régresse. Décortiquons maintenant le « chapeau » que voici :
« En mal de légitimité, Xi Jinping, le président de la République Populaire, puise allégrement dans la philosophie du vieux maître, subitement réhabilitée pour promouvoir l’ « harmonie sociale ». Le « en mal de légitimité » vient d’où ? Etayé par quoi ? Il semblerait au contraire que, sans peut-être faire l’unanimité, « Xi dada » (Oncle Xi), comme l’appellent affectueusement les Chinois, jouit pour le moment d’une popularité qu’envieraient bien des chefs d’état sous nos propres cieux. Rien dans l’article ne corrobore l’idée d’un déficit de légitimité des dirigeants, l’éventuel déficit pointé étant de l’ordre de la morale mise à mal dans la société par le consumérisme et le poids de l’argent. « Puise allégrement » : bigre, en voilà un qui ne se gêne pas ! L’expression ne laisserait-elle pas entendre sur le mode subliminal qu’il est homme habitué à « puiser allégrement»… points de suspension. On se demande bien aussi en quoi le recours, même un peu trop « allègre » à un corpus philosophique authentiquement chinois aurait un caractère d’excessive prédation de la part d’un Chinois. « Subitement réhabilitée » est une semi-contre vérité dans la mesure où cela évoque un revirement brutal talonné par l’urgence, qui a sans doute sa source dans la première phrase (la plus contestable) de l’article « Il s’agit d’un hold-up idéologique magistral ». Certes le PCC réaffirme son ancrage dans une tradition intellectuelle et morale du patrimoine chinois, un temps délaissée et fortement critiquée, c’est vrai, mais déjà si bien réinstallée que l’« harmonie sociale » fut le principal mot-clef du prédécesseur de Xi Jinping, Hu Jintao (secrétaire du PCC de 2002 à 2012). « Hold-up » écrit F. Bougon à la première ligne de son papier, l’image est piquante, nos « modistes » la reprennent : cet homme qui « puise allégrement » et qui fait un « hold-up », ça devient la Bande à Bonnot à lui tout seul ! Les fabricants de « chapeaux » et d’accroches en tout genre ont besoin d’effets-coups de poing. Racolage et désinformation sont les deux mamelles de leur turbin. Dans un article lisse et atone comme celui-là, il leur faut dénicher quelques phrases un peu saillantes pour en faire leur miel, en voici une qui a dû les faire saliver : « Pourquoi ce tour de force, cet alliage qui défie la logique ? ». Quel « tour de force » quand il s’agit de proposer à des gens un terreau dans lequel ils poussent génération après génération depuis deux millénaires ? Et si notre « logique » peut à la rigueur être « défiée » par l’alliage socialisme de marché-confucianisme, il en va évidemment tout autrement de la « logique » chinoise !
A quoi rime ce genre d’enfumage et de détournement en catimini ? Poivrer un plat trop fade ? Montrer qu’on ne la leur fait pas et qu’on n’est pas le phare de l’Opinion propre sur elle sans prendre l’info avec des pincettes ? Surligner qu’ils sont vigilants quand il s’agit de décontaminer une idéologie douteuse avant de lui ouvrir une page ? Ou tout bêtement agir par réflexe pavlovien et sans véritable intention tant le préjugé et le vocabulaire qui y est assorti sont ancrés dans leurs circuits de pensée depuis belle lurette ?
Un peu de tout ça sans doute…
02:13 Publié dans Compétition, Gouvernance, Innovation, Numérisation de la société, Régulation, Science, Stratégies Mondiales, Techno-Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
vendredi, 05 juillet 2013
Jean-Pierre PETIT : "Les Z-machines permettent d'envisager une fusion nucléaire pratiquement sans déchets
1 contributionZ machine : conférence de Jean-Pierre Petit à Polytechnique
La fusion nucléaire par laser est elle une fausse piste ?
Jean Pierre Petit - Radio Ici et Maintenant - Armes micro-ondes contre les civils
Publié le 16 janvier 2013.
Suite à la publication de notre article sur le laser MegaJoule, des lecteurs nous ont réclamé des précisions sur le concept de Z-Machine. Nous avons demandé à Jean-Pierre PETIT, ancien directeur de recherche au CNRS, de nous présenter cette troisième voie en matière de fusion nucléaire…
Jean-Pierre PETIT, bonjour, que reprochez vous à des projets comme ITER ou au laser Mega-Joule ?
Jean-Pierre PETIT – Sensibilisé par la catastrophe de Fukushima, j’ai réalisé, en participant à une manifestation à Aix en Provence en 2011, que j’étais le seul scientifique présent. J’ai pris conscience de l’absence en général de la communauté scientifique sur ce terrain du nucléaire, si on excepte quelques anti-nucléaires traditionnels (déjà âgés maintenant), se limitant au domaine de la fission, militant, à juste titre, contre ce projet dément de surgénérateur à neutrons rapides (Superphénix). Comme d’ailleurs les courageux militants anti-nucléaires de la première heure, qui se montrèrent conscients, à une époque où nous, scientifiques sommeillions dans nos bureaux. Certain laissèrent leur vie dans ce combat, d’où nous étions, nous, scientifiques, absents.
Ce que beaucoup de gens ignorent c’est que le premier geste de François Hollande, quand il prit ses fonctions de Président, fut de signer l’accord pour la construction du réacteur expérimental Astrid, qui est un surgénérateur à neutrons rapides, refroidi au sodium, fer de lance d’une option rebaptisée « réacteurs de IV° génération ». Or Astrid n’est rien d’autre que Superphénix, « amélioré ». Personne ne réagit. Personne ne proteste. Pas plus qu’on ne proteste contre les idées démentielles appuyées par nos nucléo-députés Bataille et Vido : peupler le pays, d’ici la fin du siècle, de surgénérateurs à neutrons rapides, hyper dangereux, générateurs de déchets, fonctionnant au plutonium 239 pur, de manière à exploiter les 300.000 tonnes d’uranium 238 , issues de 50 années d’enrichissement isotopique, pour extraire du minerai l’uranium 235, fissile. Devenir ainsi « autonomes énergétiquement pour les 5000 ans à venir ».
J’ai aussi réalisé que face au projet ITER, il n’y avait pas de prises de position solidement appuyées sur des considérations réellement scientifiques. Je me suis donc plongé dans ce domaine, pendant deux années, aidé par des gens du milieu (mais tenant à garder un prudent anonymat). J’ai réalisé alors avec stupeur les failles béantes du projet ITER, qui ne découlaient ni du risque sismique, ni de la dangerosité du tritium, mais simplement du fait que ces machines, les tokamaks, étaient foncièrement instables. Pour faire court : ces instabilités appelées disruptions sont l’équivalent, dans ces machines, des … éruptions solaires (ce qui étaient d’ailleurs signalé noir sur blanc dans un rapport produit en 2007 par l’Académie des Sciences de Paris, sous la direction de l’académicien Guy Laval). Depuis que j’ai soulevé ce lièvre, les chantres du projets sont moins enclins à comparer ITER à « un soleil en bouteille ».
J’ai aussi créé une gêne en révélant que Putvinky, (avec qui j’avais dîné), « monsieur disruption » à ITER-Organization, réalisant que le problème était insoluble, avait rendu son tablier en juin 2012, abandonnant non seulement ITER (il avait rejoint l’équipe en 2009, achetant une propriété dans la région) mais la formule tokamak. Il est reparti travailler aux USA.
J’ai aussi découvert que ces questions, ainsi que bien d’autres, avaient été totalement passées sous silence dans le dossier de 7000 pages qu’ITER Organization avait mis en consultation libre durant l’été 2011, à l’occasion de d’Enquête Publique, devant déboucher sur une autorisation ou une non autorisation de l’implantation de « l’installation nucléaire de base ITER » (c’était le nom retenu). Une enquête publique qui avait été gérée comme si cette opération avait concerné l’implantation d’une station d’incinération à proximité d’un village. Je n’ai obtenu, cet été là, qu’un report de quelques mois de la décision, qui étaient déjà prise avant que cette commission fantoche, dirigée par André Grégoire « ne commence ses travaux ». Négligeant mes avertissements, celui-ci a signé le rapport final, se concluant par « avis favorable avec recommandations ». Et il m’a dit en substance « ils auront deux ans pour résoudre le problème des disruptions ». A noter que le mot « disruption » était tout simplement absent des 7000 pages mises en libre consultation !
Là j’ai compris que cette conclusion donnant le feu vert à ITER avait déjà été rédigée avant que cette pseudo enquête publique, complètement truquée, ne démarre, en plein été 2011. Mais cela n’étonnera personne.
J’ai commencé à écrire des textes sur ces problèmes. L’un ‘eux a été repris et diffusé au sein de la Commission Européenne par la députée Michèle Rivasi, en français et en anglais. En même temps la revue NEXUS a publié la copie de ce texte dans ses colonnes. Ceci a suscité l’ire du CEA, qui a publié une « réfutation » dans son site, en français et en anglais, dont je n’ai pu connaître le ou les auteurs, apprenant seulement qu’il s’agissait d’un groupe de gens qui ne tenaient pas à révéler leur identité (…). Cette « réfutation » se trouve toujours sur le site. Evidemment, ma tentative d’obtenir un légitime droit de réponse pour démonter ces arguments est restée sans réponse (voir ceci sur mon site http://www.jp-petit.org).
Plus récemment, dans son numéro de janvier-février 2013 la revue Nexus a publié une interview où je pointe le doigts sur le fiasco du NIF américain, en en expliquant les raisons, Mégajoule étant pratiquement la copie conforme du NIF, à quelques dizaines de lasers près (176 contre 192). J’ai donc pronostiqué (comme le font outre Atlantique nombre de scientifiques américains) que le NIF ne permettra pas d’obtenir la fusion, et que par conséquent le projet Mégajoule serait de l’argent (6,6 milliards d’euros), dépensés en pure perte. Le CEA publiera-t-il une seconde réfutation de mes dires dans son site ? Affaire à suivre.
Vous prônez une 3e voie pour la fusion nucléaire : celle des Z-machines. Comment fonctionnent-elles ?
Jean-Pierre PETIT - A l’issue de ce périple de deux années dans les domaines de la fission et de la fusion, en incluant le problème dramatique de la gestion des déchets, ma conclusion est que la façon actuelle de tirer de l’énergie du nucléaire apporte plus de maux que de bienfaits. Et que ces maux, dans les décennies à venir, créeront des drames horribles dont les catastrophes de Tchernobyl, puis de Fukushima ne sont que les pâles prémices. Le redémarrage des réacteurs japonais montre la puissance des lobbies, contre tout souci de la santé publique et des vies humaines.
En 2006 j’ai découvert, dans un article publié par mon vieil ami, le grand spécialiste des plasmas Malcom Haines (hélas très malade) que les Américains, au laboratoire Sandia, Nouveau Mexique, avaient obtenu des températures de plus de deux milliards de degrés dans un machine que j’avais vue en 1976, construite par Gerold Yonas. Cette découverte était fortuite (comme nombre de découvertes importantes dans l’histoire des sciences). J’ai immédiatement compris l’importance de ce saut incroyable effectué en 2005, la température maximale atteinte dès cette époque étant de 3,7 milliards de degrés. Ces valeurs ont suscité des réactions de scepticisme chez « les spécialistes français des plasmas chauds ».
Je suis allé à plusieurs congrès scientifiques internationaux, au top niveau. Il a fallu quatre années pour que l’interprétation des expériences, donnée par Haines, finisse par s’imposer, au congrès de Biarritz, 2011, consacré aux Z-machine, où il fit un exposé magistral, en tant que « personnalité invitée », communication appuyée par la publication d’un papier de 196 pages, sur le sujet, dans une revue à comité de lecture, devenu la Bible dans ce domaine.
En peu de mots, les plasmas de fusion sont sujets à toute une palette d’instabilités. Dans les tokamaks, celles-ci finissent par donner des disruptions, décharges de dizaines de millions d’ampères, venant frapper la paroi (en tous point comparables aux jets de plasma des éruptions solaires). Dans les manips de fusion par laser, elle condamnent la filière (il s’agit alors » de l’instabilité de Raleigh Taylor »). Dans les Z-machines elles … accroissent la température du plasma !
Ainsi le malheur des uns fait le bonheur des autres.
A Biarritz, j’appris de la bouche de Valentin Smirnov, directeur du département fusion à l’Institut des Hautes Températures de Moscou, qu’il dirigeait la construction d’une Z-machine russe, Baïkal, qui sera plus puissante que le ZR américain ( successeur de la Z-machine ). Après les Américains, les Russes se lancent aussi dans ce domaine, pied au plancher.
Schématiquement, on pourrait dire que la Z-machines (et maintenant ses multiples variantes, comme MAGlif) est à des machines comme ITER,( où on s’efforce de maintenir constante la température du plasma de fusion), ce que sont les moteurs à combustion interne, impulsionnelle, vis à vis des machines à vapeur. L’avantage des moteurs à combustion interne est de pouvoir faire brûler un mélange combustible-oxygène à une température de 1000°, obtenue pendant une fraction de seconde, la température générale du moteur restant inférieure à cette de l’eau bouillante.
Comme le moteur à explosion, des générateurs fondés sur le système des Z-machines seraient dotée d’un système de stockage d’énergie électrique, pendant du volant d’inertie de ce même moteur. Enfin ces générateurs exploiteraient un procédé de conversion directe de l’énergie, par MHD, opérationnel depuis les travaux d’Andréi Sakharov, des années cinquante. Pourquoi cette formule suscite-t-elle un tel rejet, en particulier en France ? Pour deux raisons. Elle rend obsoletes tous les efforts associés au générateurs à fission, au surgénérateurs, aux bancs laser et à ITER. Tout le nucléaire classique est remis en cause, et se trouve dans l’incapacité d’intégrer ce concept outsider dans ses plans.
La France dispose déjà d’une Z-machine : le Sphinx. Qu’est-ce qui la distingue des Z-machines américaines ou russes ?
Jean-Pierre PETIT - La France possède effectivement sa Z-machine : le Sphinx, implantée dans un laboratoire de l’armée, à Gramat. Cette machine est hors course, hors jeu, de par sa conception même. Ca n’est qu’un bête générateur de rayons X, qui ne dépasse pas quelques dizaines de millions de degrés, et ne peut faire plus. Par ailleurs, une des caractéristiques essentielles, si ne qua non, de ces machines « Z » est de devoir délivrer leur intensité en un temps très bref. Cent milliardièmes de seconde pour la machine américaine, 150 milliardièmes de seconde pour la monstrueuse machine russe, en construction : Baïkal. La machine française ayant un temps de décharge de 800 milliardièmes de seconde, est … trop lente. De part sa conception, on ne peut pas améliorer ses performances. Par ailleurs les gens qui la servent manquent de compétences en la matière, ne serait-ce que sur le plan théorique, qui est très pointu. Un domaine pratiquement neuf, défriché par des gens comme Haines, celui des plasmas hyper chauds, hors d’équilibre.
Le Sphinx est trop lent, ne peut être amélioré. Megajoule et le NIF sont aussi hors jeu. Dans les installations NIF et Mégajoule, il manque un facteur 50 sur l’énergie focalisée sur cible (voire mon complément d’information dans mon site) . Inversement, les machines américaines et russes visent d’emblée ces 10-15 mégajoules sur cible (l’énergie contenue dans le fond d’une tasse de tisane, voir l’article complémentaire sur mon site, mais délivrée en 100-150 milliardièmes de seconde). Une énergie seuil issue des expériences secrètes Centurion Halite américaines (les Russes ayant mené de leur côté des campagnes similaires et étant parvenus aux mêmes résultats).
Les Z-machines russes et américaines permettent, potentiellement, du fait des températures atteintes, ce auquel jamais les autres filières ne pourront prétendre : envisager ce qui est véritablement le Graal de la physique nucléaire : la fusion Bore Hydrogene, aneutronique. Une fusion qui ne génère pratiquement pas de radioactivité et aucun déchet, sinon … de l’hélium. Cette réaction démarre à un milliard de degrés. Jusqu’en 2005 l’obtention d’une telle température aurait paru relever de la science fiction. Aujourd’hui ZR, avec son intensité portée de 18 à 26 Millions d’ampères, est très probablement passé de 3,7 à 8 milliards de degrés. Mais, comme me l’avait dit Malcom Haines à Biarritz en 2011 : « Je pense qu’ils l’ont fait, mais ils ne te le diront jamais, pour des raisons de secret défense. »
Car, vous l’imaginez bien, cette percée comporte aussi son volet armement : les « bombes à fusion pure », où un mélange de fusion peut être mis à feu sans utiliser de bombe A, mais l’électricité fournie par un explosif, dérivé des premiers concepts expérimentés par Sakharov dès les années cinquante ( 100 millions d’ampères en 1954 ).
Ceci étant, une nouvelle percée, qui correspond au montage MagLif (une variante du montage « Z » ) montre que cette filière s’est maintenant imposée outre Atlantique, comme une nouvelle façon d’obtenir l’ICF (Inertial Confinement Fusion), la « fusion par confinement inertiel », qui est à la base des systèmes de recherche de fusion auto-entretenue, initiée par lasers.
La fusion par laser est hors course, comme démontré récemment sur le banc américain NIF. Mais, cela aurait-il fonctionné (l’ignition), ces systèmes n’auraient jamais pu donner des générateurs industriels, du fait du rendement des lauser, inférieur à 1,5 % . Ce ne furent jamais que des installations d’essai à visées militaires.
Pensez vous que les américains ou les russes pourraient maitriser la fusion nucléaire civile plus rapidement que les Français ? A quel horizon ?
Jean-Pierre PETIT - Bien évidemment ! En s’accrochant à un dinosaure du nucléaire comme ITER, ou à une machine 50 fois trop peu puissante comme Mégajoule, les Français font de mauvais choix, ratent complètement le coche. Quand la fusion deviendra réalité, en Russie et en Amérique, avec cette filière Z, et son astucieuse variante MAGlif, les Français se retrouveront encombrés de véritables fossiles technico-scientifiques.
On pourra objecter que des réactions de fusion on été obtenues sur la machine JET, avec extraction de puissance. Mais, sur ce plan, je citerai ce que m’a écrit tout récemment Glenn Wurden, directeur de la fusion à Los Alamos (…) : »Je ne pense pas qu’on parviendra un jour à transformer un tokamak en générateur de puissance, car on ne trouvera jamais ce matériau magique capable de résister à l’impact des neutrons de fusion, 7 fois plus énergétiques que les neutrons de fission. Ce matériau magique n’existe simplement pas et n’existera jamais ».
Vos écrits en matière d’ufologie ou sur les attentats du 11/09 vous ont décrédibilisé auprès de nombreuses personnes, en particulier en France. Que répondez-vous à vos détracteurs ?
Jean-Pierre PETIT - Vous me décrivez comme « décrédibilisé auprès de nombreuses personnes », sans citer la moindre d’entre elles. Récemment j’avais été interviewé par un journaliste de la revue Inrockuptible, qui s’était adressé à moi comme à un « complotiste ». J’avais demandé qui formulait cette opinion. Réponse du journaliste : « c’est ce qui émerge quand on consulte les forums ». Ainsi, à notre époque, voici comment émerge une réputation : à travers des propos tenus sur des forums, par des gens intervenant sous des pseudonymes ! A comparer avec l’absence de signature de la réfutation publiée par le CEA.
En vérité, cette situation de « discrédit auprès de certaines personnes » est bien étrange, ne trouvez-vous pas ? Je suis « discrédité par les gens qui, au CEA, s’occupent de fusion » , mais aucun n’accepte d’être face à moi. Référez vous à la dérobade de Bernard Bigot et de ses adjoints, experts en matière de fusion, lors d’un face à face filmé, qui a donné cette interview où seule figure Michèle Rivasi, qui prend acte du fait que mes détracteurs ont déclaré forfait.
Je suis « discrédité » dans le monde de l’astrophysique et de la cosmologie, par des gens comme Riazuelo, par exemple, de l’Institut d’Astrophysique de Paris. Mais depuis des années lui et le directeur de son labo restent muets face à mes demandes successives d’exercice de droit de réponse en séminaire où, scientifiquement, Riazuelo ne tiendrait pas dix minutes face à moi, et il le sait. Dans ce genre de face à face scientifiques je ne me suis jamais dérobé et je n’ai jamais perdu un combat.
J’aimerais d’abord connaître les noms de ces détracteurs et pouvoir leur faire face, leur répondre à découvert, ce débat étant filmé et mis aussitôt sur le net. Et cela dans tous les domaines.
Dans le domaine des plasmas, de la fusion et du nucléaire, interrogez à mon sujet Robert Dautray, ancien directeur des projets scientifiques du CEA, ainsi que Paul Henri Rebut, concepteur du tokamak français de Fontenay aux Roses, puis Guy Laval, membre de l’académie des sciences, qui a dirigé la composition du rapport de 2007 sur « l’énergie à partir de la fusion ». Notez leurs réponses à mon sujet et publiez les.
Dans le domaine de l’astrophysique, proposez à Alain Riazuelo, par exemple, d’accepter un face à face filmé, puis diffusé sur le net, où il pourra jouer les détracteurs de mes travaux, à ses risques et périls.
Enfin sur le sujet du 11 septembre, je suggère une rencontre semblable, nous opposant, Alix (qui s’occupe de reopen 9/11) à nos détracteurs. Rencontre également filmé et diffusée.
Je pense ainsi avoir répondu à vos questions !
Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au Cnrs.
Z machine : conférence de Jean-Pierre Petit à... par UFO-Science
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enfin on donne la parole a JPP ! ( ok il a déliré un peu avec les ovni ( proto us ) ...mais il n as jamais dis que le nuage de Tchernobyl c est arreté à la frontiere ... Je connais 4 cas de gens contaminés en france par le nuage , 3 amies de 40 a 63 ans auxquelles ont as retirer la thyroide , et un enfant né un peu apres ... pb circulatoire , nerveux , qui enchainent les sejours a l hosto . ce sont les medecins qui lui ont dis qu il etait victime de Tchernobyl , la maman n avais pas fait le rapprochement )
L epr est un gouffre qui ne donnera jamais les resultats , c est un voie de garage pour les ingénieurs .
pour le 11/09/2001 ...l aluminium ne coupe pas l acier , on ne fait pas fondre de l acier avec un feu de kerosene .16.01.2013 - 14h56 • 3 recommandations • Recommander • Répondre
02:06 Publié dans Énergie, Industries du futur, Science, Techno-Sciences, Vidéo | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
dimanche, 11 décembre 2011
Risque systémique du système financier
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/12/10/dans-le...
| 10.12.11 | 15h04 • Mis à jour le 10.12.11 | 15h51
Dans les entrailles des cygnes noirs,
par Cédric Villani
[…] La France peut se féliciter d'avoir accueilli le jeune Rama Cont : vingt-cinq ans plus tard, c'est notamment grâce à lui qu'elle est à la pointe de la recherche en finance. Cont se passionne pour le risque systémique : le risque d'une catastrophe touchant tout le système financier. Il en va en finance comme dans la société : ce qui est bon pour l'individu n'est pas forcément bon pour le groupe.
"EPIDÉMIES FINANCIÈRES"
Ainsi la diversification systématique des portefeuilles, minimisant les risques individuels, accroît en revanche le risque systémique en créant de nouvelles interdépendances entre différents marchés.
Même les mécanismes de régulation, censés garantir les individus contre les investissements trop risqués, peuvent devenir de redoutables facteurs de déstabilisation collective, entraînant parfois dans une spirale infernale toutes les banques, qui, contaminées les unes après les autres, sont forcées de refuser le crédit aux individus ou aux Etats qui en ont le plus besoin.
Pour prévenir ces "épidémies financières", l'équipe de Cont fait le pari d'analyser mathématiquement leurs mécanismes de contagion.
Dans la finance moderne s'affrontent des ordinateurs qui chaque seconde, selon des algorithmes secrets, échangent des milliers d'ordres d'achat et de vente aussitôt annulés, dans un gigantesque jeu collectif que seuls quelques-uns maîtrisent et que les régulateurs publics, faute de moyens, sont incapables de surveiller.
Un monde qui paraîtrait aux financiers de 1950 aussi étrange que la physique quantique a pu l'être aux physiciens de 1900 !
Lors du mystérieux "krach éclair" du 6 mai 2010, l'indice Dow Jones avait plongé de près de 10 % en quelques minutes, avant de revenir à la normale. Cette mini-catastrophe, aussi fascinante qu'effrayante, est l'un des phénomènes que Cont et ses élèves dissèquent pour concevoir des mécanismes afin de stabiliser le système.
Une taxe sur les échanges financiers ? L'idée, soutenue par de nombreux universitaires, est rejetée par beaucoup pour des raisons idéologiques. Mais que vaut l'idéologie face à une réflexion scientifique rationnelle ?
Mathématicien, professeur à l'université de Lyon-I, directeur de l'Institut Henri-Poincaré (CNRS/UPMC)
Médaille Fields 2010
Cédric Villani
00:06 Publié dans Finance, Informatisation, Techno-Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
samedi, 19 juin 2010
Question orale sur les nanos, au Sénat – Réponse de la secrétaire d’état Chantal JOUANNO
Extraits de l’article de VIVAGORA : Jouanno et les nanos, au Sénat
vendredi 18 juin 2010
par Dorothée Benoit-Browaeys
popularité : 10%
Ce 17 juin 2010, Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat chargée de l’écologie s’exprime avec clarté devant les sénateurs qui l’ont invitée pour une question orale sur les nanotechnologies.
« On se trompe quand on limite le débat aux risques, car le vrai problème est de savoir pourquoi nous voulons ces nanotechnologies ? »
« Les experts doivent éviter d’être en posture de défense cherchant à cacher les risques et il est primordial que l’on approfondisse la question que tout un chacun se pose : quels sont les avantages pour la société ? ».
« La question centrale est celle de la gouvernance. Il faut être innovant pour associer le public et le Parlement afin qu’ils contribuent à l’élaboration des choix ».
Alors que le gouvernement prépare sa réponse au débat national réalisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) après le bilan remis le 13 avril dernier, cette séance illustre une prise de conscience de l’urgence des problèmes posés par les nanos.
Au nom du groupe UMP, le sénateur Louis Nègre a insisté pour que la France fasse pression sur la Communauté européenne pour la réalisation d’actions concrètes.
« Je suis étonné de voir que ces nanoproduits ne requièrent aucune autorisation préalable de mise sur le marché », a avoué ce dernier pointant l’état d’esprit incontournable des citoyens :
« La société juge facilement estimable de comprendre, soigner, protéger les ressources rares et l’environnement mais elle est beaucoup moins encline à valoriser la compétitivité, et encore moins le contrôle des populations. Tout dépendra des choix collectifs raisonnés que nous serons capables de mettre en œuvre », conclut le Sénateur des Alpes maritimes.
Alex Turk, sénateur et non moins président de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a réitéré son alerte du 23 février, lors de la réunion de clôture des débats de la CNDP).
« Dans moins de dix ans, nous serons plongés dans une société où la liberté d’expression sera aliénée, avec des rapports humains sous surveillance permanente. Avec un environnement électronique qui nous entend, nous voit, nous suit, nous connaît, toute intimité sera éliminée et de manière irréversible. Comme l’on doit protéger notre milieu biologique, il nous faut protéger le patrimoine qui garantit nos libertés ».
Pour relever ces défis, encore faut-il que les gouvernements et les citoyens puisent avoir prise sur des innovations invisibles, pervasives et sans traçabilité ! Ce point souligné par Marie Christine Blandin est l’unique levier politique.
« Nous avons demandé que soit développée une nomenclature lors de la Loi Grenelle 2 mais cela a été balayé », souligne la sénatrice du Nord.
« Tant que l’on joue sur les mots et que le flou est entretenu entre des formes diverses de nanoparticules, agglomérats, nanostructures, il sera impossible de clarifier ce dont on parle », insiste-t-elle. Ce point semble en effet central pour s’entendre pour analyser les performances et les effets des nanoproduits.
Cet événement au Sénat survient alors que le Conseil national de la consommation (CNC) vient de publier son « Avis sur l’information des consommateurs sur la présence de nanomatériaux dans les produits de consommation ». Fruit d’une intense activité d’un groupe ad hoc tripartite (associant industriels, pouvoirs publics et représentants des consommateurs) amorcée en septembre 2008 à la demande de Luc Châtel, cet avis recommande que « la présence d’un ou plusieurs nanomatériaux dans un produit de consommation doit être portée à la connaissance du consommateur ». Il prône la mention de la forme « nano » à côté de l’ingrédient concerné sur les étiquetages, à l’instar du Règlement Cosmétiques (CE) n°1223/2009. Le CNC estime aussi « indispensable que les pouvoirs publics disposent de données fiables ».
Au plan européen, un groupe de travail chargé de mettre en œuvre une adaptation du règlement Reachaux nanomatériaux (RIP-oN1) plaide pour des cadres réglementaires spécifiques.
S.F. Hansen, représentant du Bureau européen des consommateurs (BEUC) dans ce groupe RIP-oN1 vient de publier un article qui préconise la création d’agences dédiées aux nanomatériaux pour évaluer les informations produites par l’industrie.
De même, S.F. Hansen considère, suivant l’avis du Parlement européen , qu’il faut mettre en place « un nouveau cadre réglementaire basé sur la protection de la santé et de l’environnement, la promotion de l’innovation verte avec un haut niveau de transparence et de participation des parties prenantes ».
La charge de la preuve assurant l’innocuité des produits devrait aussi, selon le représentant du BEUC, être assumée par l’industrie afin d’assurer à temps, la génération de données pertinentes.
Tous ces signaux convergent vers une évidence : les processus d’innovation doivent intégrer précocement les questions sur l’utilité, les finalités et les impacts sanitaires, écologiques et éthiques des inventions et produits.
Dans ce sens, VivAgora a publié le 22 février dernier un communiqué demandant l’ouverture de cinq chantiers.
13:56 Publié dans Gouvernance, Techno-Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |