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mardi, 14 avril 2009

Télérama 6/4/2009 - Philosophe Dominique Bourg “La croissance verte est un leurre”

Nous sommes dominés par l'idée qu'aussitôt que nous avons acquis le contrôle d'un processus nous devons l'optimiser : Maximiser les gains, minimiser les coûts, intrinsèques, incapables d'imaginer les harmonies qui pourraient être amélioré en dehors !

Nos désirs sont des produits de l'imaginaire occidental, qui est précisément un imaginaire de la transgression des limites. Nous avons conçu l'invention des technologies comme un processus indéfini ; les lois de la physique comme ce qui nous permettait de faire reculer sans cesse les bornes de la nature.

Nous avons vu dans la morale une espèce de code qui pouvait être remis en cause; dans les canons esthétiques, des bornes qu'il convenait de dépasser. Nous avons même fini par transformer le corps, via le sport, en un terrain de transgression des limites.

Le fameux mythe de la croissance est l'expression la plus englobante de cet imaginaire de la transgression.”

 

http://www.telerama.fr/idees/la-croissance-verte-est-elle...

Il faudrait être capable de s'interroger sur le cœur de notre civilisation et de notre modernité. Or nous en sommes très loin. Nous sommes la seule civilisation à avoir « naturalisé » le monde, pour reprendre le travail magistral de l'anthropologue Philippe Descola (2). Nous avons réduit le reste du monde à un stock de ressources naturelles et avons décidé que les autres êtres vivants n'avaient aucun accès à la pensée, au contrat moral, au sentiment... A cela, il faut ajouter la grande mutation individualiste. Nous ne percevons dans la nature que ce qui permet de satisfaire à l'infini, via le marché et les technologies, les désirs individuels. Or ces désirs sont des produits de l'imaginaire occidental, qui est précisément un imaginaire de la transgression des limites. Nous avons conçu l'invention des technologies comme un processus indéfini ; les lois de la physique comme ce qui nous permettait de faire reculer sans cesse les bornes de la nature. Nous avons vu dans la morale une espèce de code qui pouvait être remis en cause ; dans les canons esthétiques, des bornes qu'il convenait de dépasser. Nous avons même fini par transformer le corps, via le sport, en un terrain de transgression des limites. Le fameux mythe de la croissance est l'expression la plus englobante de cet imaginaire de la transgression. Or, c'est précisément cela que la crise écologique remet en cause. Et nous ne sommes toujours pas prêts à l'accepter.

Philosophe Dominique Bourg

La crise financière et économique sont utilisées en jouant sur la finitude des ressources ou des durées de vie finie pour tout processus pour démontrer que la croissance est absurde et plus généralement que notre logique de modèle de dépassement des limites est absurde. La croissance non liée à la démographie est absurde mais les crises ne démontrent qu’une chose : que les systèmes mis en place ont des lacunes de contrôle et de régulation et sont injustes !

L'écologie est devenue le terrain des techniciens. N'est-ce pas un signe d'échec ?
La difficulté, c'est qu'on ne peut pas mettre à bas tous ces a priori culturels et spirituels. On ne peut les faire évoluer qu'avec des leviers indirects, à l'instar de la « contribution climat-énergie » (c'est-à-dire une surtaxe sur le carbone dont le fruit est arithmétiquement redistribué) que la Fondation Nicolas Hulot a proposée lors du Grenelle : elle permet d'introduire de la finitude dans la vie quotidienne des gens. J'y vois une manière de tirer le fil d'un tricot pour finir par le détricoter. Car le spirituel, ou le culturel, ne se transforment pas de front mais de biais, aussi bien par l'esprit que par des mesures très concrètes. N'oublions pas que l'écologie est un mouvement très récent. Dans les années 1970, elle était axée sur l'idée du bien-être, sur la recherche d'une société meilleure. Puis elle a été très naturaliste. Aujourd'hui, elle devient plus une affaire d'ingénieurs. C'est une étape de plus dans sa courte histoire.

Pour vous qui êtes philosophe, ce n'est pas frustrant de n'en appeler qu'à des mesures technico-économiques ?
On ne change pas une civilisation avec des analyses. Ou alors cela met des siècles. Regardez combien de temps il nous a fallu pour changer notre regard sur le travail. Pendant toute l'Antiquité, le travail, c'est ce qui avilit. Au Ve siècle, saint Benoît décrète que le travail conduit à Dieu. C'est un changement radical ! Mais il faudra attendre Adam Smith, et surtout le XIXe siècle, pour qu'il structure effectivement la société. Or nous n'avons pas quatorze siècles devant nous !

La capacité de nos élites à voir ou à ne pas voir le problème est donc fondamentale. C'est LA grande leçon de Jared Diamond (3) : ce n'est jamais pour des raisons environnementales qu'une société s'effondre, c'est pour la façon dont elle y répond. Mais nos institutions sont-elles à même de répondre à ces questions ? Nous sommes toujours des héritiers de la philosophie du contrat : nos sociétés sont organisées de façon que chacun puisse maximiser sa production et sa consommation, nos représentants sont élus pour ça. Et ils n'ont pas été habitués à concilier le court et le long terme. Il faudrait proposer, comme je le fais avec un collègue américain, une chambre de représentants dévolue aux enjeux du long terme.

Pensez-vous qu'il sera possible de retrouver une consommation « raisonnable », plus frugale, en évitant des crises violentes ?
Nous sommes face à une situation potentiellement explosive, avec des Occidentaux habités par des fantasmes de satisfaction infinie des besoins, et des populations indiennes et chinoises dans lesquelles on a instillé ce rêve. Je suis convaincu que seuls un resserrement de l'éventail des salaires et un partage plus équitable des ressources peuvent nous permettre d'affronter ce nouveau monde avec le moins de violence possible.

Je me souviens d'une conférence de l'anthropologue Mary Douglas à Paris dans les années 1990, au cours de laquelle elle avait insisté sur notre besoin de nouveaux brahmanes. Comme elle, je suis convaincu que nous avons besoin d'une caste dirigeante à la de Gaulle, d'une élite anti-bling-bling capable d'affirmer, à l'inverse d'un Séguéla : je n'ai réussi ma vie que si j'arrive à ne pas fantasmer sur une Rolex ! On a besoin de ce qui ne se produit qu'exceptionnellement : rendre désirable la sobriété... bref, un changement culturel et spirituel profond. Sans cela, on ne passera pas de l'illimité au limité

Propos recueillis par Weronika Zarachowicz
Télérama n° 3090

(1) Entrée en vigueur en janvier 2009, cette « loi pour la promotion de l'économie circulaire » vise à inventer, à l'échelle du pays, une économie « zéro déchets » fondée sur les 3 R (réduire l'usage, recycler, réutiliser).

(2) Lire Philippe Descola, “Par-delà nature et culture”, éd. Gallimard, 2005.

(3) Lire Jared Diamond, “Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie”, éd. Gallimard, 2006.

Rendez-vous
La Semaine du développement durable a lieu du 1er au 7 avril, avec comme thème cette année : « La consommation durable ».
Pour en savoir plus : www.semaine dudeveloppement durable.gouv.fr

00:54 Publié dans Décroissance, Écologie, Techno-Sciences | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : philosophie, dominique bourg | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |

Commentaires

Quand les philosophes ont-ils le temps de penser a tout cela?

Écrit par : tripod468 | mercredi, 16 décembre 2009

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