dimanche, 13 avril 2014
L’argent n’est qu’une reconnaissance de dette...
Source »» http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/mar/18/trut...
THE GUARDIAN : The truth is out: money is just an IOU, and the banks are rolling in it - The Bank of England's dose of honesty throws the theoretical basis for austerity out the window
URL de cet article :
http://www.legrandsoir.info/la-verite-eclate-un-acces-de-...
11 avril 2014
10
L’argent n’est qu’une reconnaissance de dette...
La vérité éclate : un accès de franchise de la Banque d’Angleterre démolit les bases théoriques de l’austérité. (The Guardian)
David Graeber
On dit que dans les années 1930, Henry Ford aurait fait remarquer que c’était une bonne chose que la plupart des Américains ne savent pas comment fonctionne réellement le système bancaire, parce que s’ils le savaient, « il y aurait une révolution avant demain matin ».
La semaine dernière, il s’est passé quelque chose de remarquable. La Banque d’Angleterre a vendu la mèche.
Dans un document intitulé « La création de l’argent dans l’économie moderne », co-écrit par trois économistes de la Direction de l’Analyse Monétaire de la banque, ces derniers ont déclaré catégoriquement que les hypothèses les plus courantes sur le fonctionnement du système bancaire sont tout simplement fausses, et que les positions plus populistes, plus hétérodoxes qui sont généralement associées à des groupes comme Occupy Wall Street, sont correctes. Ce faisant, ils ont jeté aux orties les bases théoriques de l’austérité.
Pour avoir une idée de la radicalité de cette nouvelle position de la Banque, il faut repartir du point de vue conventionnel, qui continue d’être la base de tout débat respectable sur la politique économique. Les gens placent leur argent dans des banques. Les banques prêtent ensuite cet argent avec un intérêt - soit aux consommateurs, soit aux entrepreneurs désireux d’investir dans une entreprise rentable. Certes, le système de réserve fractionnaire ne permet pas aux banques de prêter beaucoup plus que ce qu’elles détiennent en réserve, et il est vrai aussi que si les placements ne suffisent pas, les banques privées peuvent emprunter plus auprès de la banque centrale.
La banque centrale peut imprimer autant d’argent qu’elle le souhaite. Mais elle prend aussi garde à ne pas en imprimer trop. En fait, on nous dit souvent que c’est même la raison d’être des banques centrales indépendantes. Si les gouvernements pouvaient imprimer l’argent eux-mêmes, ils en imprimeraient sûrement beaucoup trop et l’inflation qui en résulterait sèmerait le chaos. Des institutions telles que la Banque d’Angleterre ou la Réserve Fédérale des États-Unis ont été créées pour réguler soigneusement la masse monétaire pour éviter l’inflation. C’est pourquoi il leur est interdit de financer directement un gouvernement, par exemple, en achetant des bons du Trésor, mais au lieu financent l’activité économique privée que le gouvernement se contente de taxer.
C’est cette vision qui nous fait parler de l’argent comme s’il s’agissait d’une ressource limitée comme la bauxite ou le pétrole, et de dire des choses comme « il n’y a tout simplement pas assez d’argent » pour financer des programmes sociaux, et de parler de l’immoralité de la dette publique ou des dépenses publiques « au détriment » du secteur privé. Ce que la Banque d’Angleterre a admis cette semaine est que rien de tout ça n’est vrai. Pour citer son propre rapport : « Plutôt que de recevoir des dépôts lorsque les ménages épargnent pour ensuite prêter, le crédit bancaire crée des dépôts » ... « En temps normal, la banque centrale ne fixe pas la quantité d’argent en circulation, pas plus que l’argent de la banque centrale n’est « démultiplié » sous forme de prêts et dépôts. »
En d’autres termes, tout ce que nous croyions savoir est non seulement faux – mais c’est exactement le contraire. Lorsque les banques font des prêts, elles créent de l’argent. C’est parce que l’argent n’est qu’une simple reconnaissance de dette. Le rôle de la banque centrale est de superviser une décision juridique qui accorde aux banques le droit exclusif de créer des reconnaissances de dette d’un certain genre, celles que le gouvernement reconnait comme monnaie légale en les acceptant en paiement des impôts. Il n’y a vraiment pas de limite à la quantité que les banques pourraient créer, à condition de trouver quelqu’un disposé à emprunter. Elles ne seront jamais prises de court pour la simple raison que les emprunteurs, en général, ne prennent pas l’argent pour le cacher sous leur matelas ; en fin de compte, tout argent prêté par une banque finira par retourner vers une banque. Donc, pour le système bancaire dans son ensemble, tout prêt devient simplement un autre dépôt. De plus, lorsque les banques ont besoin d’acquérir des fonds auprès de la banque centrale, elles peuvent emprunter autant qu’elles le souhaitent ; la seule chose que fait la banque centrale est de fixer le taux d’intérêt, c’est-à-dire le coût de l’argent, pas la quantité en circulation. Depuis le début de la récession, les banques centrales américaines et britanniques ont réduit ce coût à presque rien. En fait, avec « l’assouplissement quantitatif » [« quantitative easing » ou planche à billets - NdT] elles ont injecté autant d’argent que possible dans les banques, sans produire d’effets inflationnistes.
Ce qui signifie que la limite réelle de la quantité d’argent en circulation n’est pas combien la banque centrale est disposée à prêter, mais combien le gouvernement, les entreprises et les citoyens ordinaires sont prêts à emprunter. Les dépenses du gouvernement constituent le principal moteur à l’ensemble (et le document admet, si vous le lisez attentivement, que la banque centrale finance bien le gouvernement, au final). Il n’est donc pas question de dépenses publiques « au détriment » d’investissements privés. C’est exactement le contraire.
Pourquoi la Banque d’Angleterre a-t-elle soudainement admis cela ? Eh bien, une des raisons, c’est parce que c’est évidemment vrai. Le travail de la Banque est en fait de faire fonctionner le système, et ces derniers temps le système n’a pas très bien fonctionné. Il est possible qu’elle a décidé que maintenir la version conte-de-fées de l’économie, un version qui s’est avérée très pratique pour les riches, est tout simplement devenu un luxe qu’elle ne peut plus se permettre.
Mais politiquement, elle prend un risque énorme. Il suffit de considérer ce qui pourrait arriver si les détenteurs d’hypothèques réalisaient que l’argent que la banque leur a prêté ne vient pas en réalité des économies de toute une vie de quelques retraités économes, mais que c’est quelque chose que la banque a tout simplement créée avec une baguette magique que nous, le public, lui avons donnée.
Historiquement, la Banque d’Angleterre a eu tendance à jouer un rôle de précurseur, en présentant une position apparemment radicale qui finissait par devenir la nouvelle orthodoxie. Si tel est le cas ici, nous pourrions peut-être bientôt savoir si Henry Ford avait raison.
David Graeber
Traduction "ça donne envie de solder quelques comptes" par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.
02:14 Publié dans Crédit, Finance, Gouvernance, Régulation | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
mardi, 21 janvier 2014
Trading Haute Fréquence limité à partir de 2016 par directive MiFID II
L’accroissement en volume et vitesse d’ordres de négociations financières, passés sur des plateformes actuellement non règlementées, engendrant opacité et risque systémique : “la directive MiFID II, qui devrait être appliquée d'ici la fin 2016, impose aux sociétés qui ont recours au HTF de mettre en place des «coupe-circuit» pour éviter que l'emballement des transactions ne risque de provoquer des baisses brutales, voire des krachs, sur les marchés financiers. En outre, les algorithmes utilisées seront soumis à une batterie de test et devront être autorisées par les autorités compétentes. Enfin, les ordres et leurs annulations devront être enregistrés pour pouvoir être examinés le cas échéant par les autorités.”
http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-trading...
http://ec.europa.eu/internal_market/securities/isd/mifid/...
12:55 Publié dans Finance, Régulation | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
jeudi, 17 octobre 2013
Brillant et fougueux commentaire de Nicolas Colin sur l’innovation
Brillant et fougueux commentaire de Nicolas Colin sur l’innovation
http://colin-verdier.com/les-fossoyeurs-de-l-innovation/Peut-être la valeur pédagogique du billet reproduit ci-dessous, donnera-t-elle envie aux modestes et simples citoyens que nous sommes de réfléchir aux façons réellement pragmatiques de bâtir ensemble un avenir moins morne que celui dont on nous rebat les oreilles à longueur de temps.
Les fossoyeurs de l’innovation
http://colin-verdier.com/les-fossoyeurs-de-l-innovation/...
Publié le 15 octobre 2013 par Nicolas Colin
Tout commence comme une sorte de message à caractère informatif. Un collaborateur vient voir le patron d’Orange et lui présente une idée dont il n’est pas peu fier : « Patron, comme nous sommes à la fois une entreprise de média et une entreprise innovante, nous pourrions consacrer une émission de télévision sur notre chaîne Orange Innovation TV aux grands patrons qui innovent dans les grandes entreprises. Ca consisterait à interviewer des dirigeants hyper-innovants et à mettre en valeur leurs innovations par rapport à celles des startups, qui nous donnent beaucoup de leçons mais dont on ne voit pas beaucoup les résultats. D’ailleurs on a déjà trouvé le titre, ça s’appellerait Les décideurs de l’innovation. On a mis au point un super générique à la Top Gun. »
Video http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&...
Ravi, le patron d’Orange soutient cette idée : « Mon vieux, votre idée est géniale. Je fais banco, vous avez ma carte blanche. J’ai d’ailleurs quelques idées pour les premiers invités, regardons ensemble mon carnet d’adresses pour voir à qui je dois rendre service. »
Video http://www.youtube.com/watch?v=Ps7r26EgdAc&feature=pl...
Parmi ces premiers invités figure justement Nicolas Rousselet, patron des taxis G7 (qui n’opèrent pas que des taxis d’ailleurs, mais aussi une activité de location de voitures, des activités de logistique, de stockage, etc.). Qu’il soit un invité d’une émission aussi audacieuse et disruptive que Les décideurs de l’innovation est un paradoxe : après tout, il est aujourd’hui engagé dans un vaste effort de lobbying pour contrer l’innovation dans le transport individuel de personnes en ville, dans des conditions abondamment détaillées ICIou LA. Quoiqu’il en soit, dans une récente et exceptionnelle édition des Décideurs de l’innovation, Nicolas Rousselet nous expose sa vision de l’innovation.
Video (devenue privée semble-t-il ) http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&...
Video de remplacement : https://www.decideurstv.com/video/nicolas-rousselet-group...
Et à ce point du billet, mieux vaut en finir avec l’ironie : l’innovation vue par Nicolas Rousselet mérite qu’on s’y attarde tant est elle est dérisoire et erronée à peu près du début à la fin. Voici quelques extraits et mes commentaires :
-
« l’innovation prend deux formes : l’innovation technologique, technique et l’innovation en termes de services, de nouveaux services » (1’50″) – eh bien non, à l’âge entrepreneurial, l’innovation ne prend qu’une seule forme, celle d’une offre nouvelle amorcée et valorisée sur un marché de masse grâce à la mise au point d’un nouveau modèle d’affaires. Les progrès technologiques sans changement de modèle d’affaires ni traction auprès de la multitude s’appellent simplement des gains de productivité… et se commoditisent en un clin d’oeil, sans permettre à l’entreprise de se différencier ;
-
« pour les GPS, tout ça, là on est vraiment à la pointe, ça fait très longtemps qu’on géolocalise tous nos taxis » (3’05″) – non non, si ça fait longtemps qu’on fait quelque chose, alors on n’est pas vraiment à la pointe. Ces derniers temps, les choses changent vite en matière de géolocalisation et de services associés ;
-
« rapprocher le client du taxi, du chauffeur, nécessite de la haute technologie » (3’18″) – pas du tout, ça nécessite tout au plus de l’amabilité de la part du chauffeur et, éventuellement, une application mobile, qui est quasiment à la portée du premier venu d’un point de vue technologique. Bien sûr, ça peut aussi nécessiter de l’innovation, c’est-à-dire un changement du modèle d’affaires : on rapproche d’autant mieux les taxis des clients qu’on fait alliance avec ces derniers, qu’ils sont ainsi incités à être actifs et donc producteurs de données. Cela, ça suppose de la confiance et ça se valorise d’autant mieux que les clients sont nombreux, bien au-delà de la clientèle premium (j’y reviendrai) ;
-
« chaque filiale dans le groupe est gérée de manière autonome, indépendante, par un manager intéressé sur ses résultats » (4’12″) – ce qui est précisément la caractéristique des entreprises non innovantes. L’innovation consiste à combiner de façon différente les composantes de l’activité de l’entreprise, quitte à ce que certaines déclinent si c’est le prix à payer pour le développement de l’entreprise tout entière. Un manager de filiale intéressé sur ses résultats fera tout pour tuer l’innovation dans sa filiale comme dans l’entreprise en général, de façon à protéger sa rente. C’est pourquoi – si du moins l’objectif est d’innover – un manager de filiale ne peut être intéressé au mieux qu’aux résultats de l’ensemble du groupe. Steve Jobs, traumatisé par sa lecture de The Innovator’s Dilemma, l’avait bien compris et mis en pratique depuis longtemps chez Apple, notamment avec la notion de unified P&L ;
-
« nous avons gagné le prix de l’innovation 2010 de la chambre professionnelle du self-stockage » (5’00″) – c’est bien pratique de se créer ses petits prix de l’innovation maison pour faire croire au monde extérieur qu’on est innovant. Mais non, ça ne prend pas. L’innovation, à l’âge de la multitude, ça se mesure aux rendements d’échelle exponentiels et aux positions dominantes sur des marchés globaux. Aucune autre innovation ne contribue de manière significative au développement de l’économie française. Au contraire, le renforcement des situations de rente contribue de manière décisive à la stagnation du revenu par tête et à l’aggravation des inégalités;
-
« on gère les taxis depuis pas loin de vingt ans de manière totalement numérique, avec le GPS » (6’50″) – si les taxis étaient gérés de manière totalement numérique, ils ne s’en tiendraient pas au GPS et auraient inventé Uber avant Uber. Souvenez-vous de cette citation fameuse de The Social Network sur les frères Winklevoss ;
Vidéo http://www.youtube.com/watch?v=ROS0B2q96Xo&feature=pl...
-
« nos chauffeurs de taxi sont tous des indépendants. C’est un vrai partenariat, où la qualité de service est un leitmotiv » (8’00″) – des forums entiers sur la mauvaise expérience des taxis parisiens vécue par les touristes étrangers et les Parisiens eux-mêmes témoignent du contraire – ce qui prouve, par ailleurs, que le fait que les chauffeurs de taxi soient tous indépendants n’est pas forcément la meilleure formule pour assurer une qualité de service maximale. Comme le triomphe d’Apple nous l’a amplement démontré depuis 10 ans, l’unification de l’expérience utilisateur (ou une plateforme bien conçue, comme Amazon) sont les meilleures options pour garantir une qualité de service élevée ;
-
« on a lancé en décembre 2011 le club affaires premium, et là on a même un iPad mis à disposition, on a de l’eau, on a des lingettes » (8’10″) – nous sommes tous très impressionnés, mais il n’y a pas beaucoup d’innovation dans le fait d’enrichir l’offre de service pour les seuls clients qui paient très cher leur abonnement affaires premium. La fuite vers le premium – et le délaissement corrélatif des marchés de masse – est l’un des phénomènes qui détourne les entreprises françaises de l’innovation à l’âge de la multitude – et il y a bien d’autres exemples que les taxis G7. C’est heureux que Nicolas Rousselet assume sans fard qu’il ne s’agit que de fournir aux clients que quelques lingettes et bouteilles d’eau en plus : nous sommes décidément très loin de l’innovation ;
-
« on voit que ça ne roule pas très bien, il y a des gros progrès à faire pour améliorer les conditions de circulation dans Paris » (8’40″) – précisément, on ne roule pas bien dans Paris parce que trop de gens, insatisfaits du fonctionnement des transports en commun et ne pouvant s’offrir les services Affaires Premium Excellence Platine des taxis G7, choisissent de prendre leur véhicule personnel pour leurs déplacements en ville. Le développement des nouveaux modèles d’affaires autour de l’automobile en ville (auto-partage, VTC, etc.) vise en partie à dissuader les individus de prendre leur voiture et peut donc se traduire, à terme, par une décongestion de la circulation à Paris. Que les taxis G7 trouvent que les conditions actuelles sont mauvaises pour les affaires est un comble : d’abord les mauvaises conditions de circulation leur permettent de plus faire tourner le compteur (les taxis ont tout leur temps, ce sont les clients qui sont pressés) ; ensuite, les barrières réglementaires qu’ils défendent à toute force sont précisément la raison pour laquelle il est impossible d’améliorer les conditions de circulation dans cette ville de plus en plus difficile à vivre.
Bref, comme le résume si brillamment ce journaliste particulièrement dur en interview, avec les taxis G7, « ça roule pour l’innovation ». J’ajouterai deux choses sur Nicolas Rousselet et les conditions réglementaires de l’innovation dans les transports urbains :
-
« il faut que les VTC restent sur le métier pour lesquels ils ont été créés » déclarait-il au mois de juillet, cité par un article du Figaro. Wrong again : encore une fois, quand il s’agit d’innovation, l’objectif est précisément de faire bouger les lignes qui séparent les différentes activités et d’en faire la synthèse dans un nouveau modèle d’affaires, centrée autour de l’utilisateur – condition de l’alliance avec la multitude. Le déploiement d’une offre de qualité à très grande échelle est l’objectif stratégique à l’âge entrepreneurial et le seul coeur de métier des startups innovantes, comme nous le rappellent Steve Blank et Paul Graham. Ca n’a aucun sens, dans un monde où la technologie évolue en permanence et où la multitude révèle sans cesse de nouveaux besoins, de demander à une entreprise de rester sur le métier pour lequel elle a été initialement créée. On peut le faire bien sûr, mais il faut assumer alors qu’on renonce à l’innovation – moteur du développement économique, facteur de création d’emplois et de réduction des inégalités et, accessoirement, contribution décisive à l’amélioration du quotidien des consommateurs ;
-
on apprend aujourd’hui, dans un article du Monde, que « le délai de 15 minutes [entre la commande d'un VTC et la prise en charge] s’appliquera à tous les clients des VTC, hormis les hôtels haut de gamme et les salons professionnels ». Belle victoire de lobbying, en tous points contraire à l’intérêt général, et stupéfiante si l’on songe qu’elle a été consentie par un gouvernement de gauche. Si l’on résume la situation, les riches clients du Royal Monceau et les VIP du salon de l’automobile seront servis sans attendre ; par contre, les moins riches attendront ou prendront le bus et les entrepreneurs innovants seront noyés dans la baignoire. (Rappelons encore une fois que l’innovation de rupture arrive toujours ou presque par les activités à faibles marges sur les marchés à faible marge. Si l’on restreint les offres innovantes aux seuls clients premium, il n’y a pas la masse critique pour imposer une innovation de rupture.)
L’innovation meurt d’être mal comprise. Il n’y a pas meilleur contrepoint à la vision de Nicolas Rousselet que les rappels ci-après sur ce qu’est l’innovation, pourquoi elle est importante et comment la favoriser.
L’innovation ne peut pas prospérer en présence de verrous qui rigidifient l’économie et protègent les positions existantes. La seule existence de ces verrous, notamment législatifs et réglementaires, dissuade toute allocation du capital à des activités qui font bouger les lignes dans les secteurs concernés. Quel intérêt d’investir dans une entreprise innovante se développant en France dans le secteur des VTC, puisque le rendement sur capital investi sera dégradé voire annulé par le verrou réglementaire qui protège la rente des taxis ? Il est beaucoup plus rentable d’allouer du capital à une entreprise américaine qui, elle, va triompher des obstacles réglementaires et conquérir un immense marché.
Dans ces conditions, les entreprises américaines prospèrent, tandis que les françaises sont littéralement empêchées de naître. Et lorsque les utilisateurs français (ou les touristes) n’en pourront plus de la mauvaise qualité du service de transport individuel de personnes à Paris et qu’ils obtiendront enfin l’abaissement de la barrière réglementaire, seules les entreprises américaines auront la qualité de service et l’infrastructure nécessaires pour prendre le marché français. (De même que quand la chronologie des médias sera enfin adaptée aux nouveaux modes de consommation des contenus cinématographiques et audiovisuels en ligne, seule Netflix, pas Canal+, sera en mesure de se déployer auprès des utilisateurs français).
Dans un cadre juridique hostile à l’innovation, on voit bien qu’une politique publique de soutien financier à l’innovation est vaine. On peut allouer tout l’argent qu’on veut à OSEO, à BPI France, à la sanctuarisation du CIR et du statut de jeune entreprise innovante, les entreprises ainsi financées ne parviennent pas à lever du capital puisque les gestionnaires de fonds identifient parfaitement les barrières juridiques à l’entrée sur les différents marchés et en déduisent qu’un investissement dans les entreprises concernées ne pourra jamais être rentable. En présence de verrous juridiques protégeant la rente des entreprises en place, l’argent public dépensé pour soutenir l’innovation est comme de l’eau froide qu’on verserait sur une plaque chauffée à blanc : elle s’évapore instantanément.
Le problème serait circonscrit si de tels verrous législatifs n’existaient que pour les VTC. Mais, loin de se cantonner à un seul secteur, ils se multiplient. Les industries créatives sont déjà affectées depuis longtemps par les entraves à l’innovation. Les hôteliers déploient un lobbying à grande échelle pour que la loi soit durcie et les protège sur trois fronts : celui des intermédiaires déjà en place sur le marché de la réservation de chambres d’hôtels ; celui de Google, qui rentre sur ce marché avec Hotel Finder ; celui d’AirBnB, qui intensifie la concurrence sur le marché de l’hébergement en faisant arriver sur le marché les chambres et habitations mises sur le marché par les particuliers. Les libraires semblent en passe d’obtenir une interdiction de livrer gratuitement à domicile les livres commandés via les applications de vente à distance. Bref, à mesure que le numérique dévore le monde, les incendies se déclarent un peu partout et la réponse est toujours la même : on érige une barrière réglementaire qui dissuade l’allocation de capital à des activités innovantes et empêche donc à terme l’émergence de champions français dans ces secteurs.
Sur tous ces dossiers, nous payons très cher l’inexistence d’un lobby français de l’innovation. Il n’est pas du tout évident qu’un tel lobby puisse exister. Aux Etats-Unis, il s’est constitué et il déploie sa puissance en raison d’une double anomalie : les entreprises ont le droit de financer les campagnes électorales ; et les entreprises les plus riches, dont la capitalisation boursière est la plus élevée, sont aussi les plus innovantes. Au lobbying de ces entreprises s’ajoute celui d’une organisation, la National Venture Capital Association, qui défend les intérêts des fonds de capital-risque, y compris contre les intérêts du private equity, des banques d’affaires et des banques de dépôt.
Il n’existe rien de tel chez nous : aucune de nos plus grande entreprises n’est une entreprise innovante, une valeur de croissance comme le sont les géants californiens du numérique ; nos fonds de capital-risque sont rares, dispersés, dilués sur le front institutionnel dans l’Association française du capital investissement ; enfin, les entrepreneurs innovants comme les gestionnaires de fonds de capital-risque sont largement méconnus ou ignorés par les hauts fonctionnaires de la direction générale du Trésor, les membres des cabinets ministériels et, évidemment, les parlementaires.
Il ne peut exister qu’une seule politique publique de l’innovation. Son motif est que l’innovation est le principal facteur de la croissance et moteur du développement économique. Sa règle cardinale est que toutes les décisions de politique publique, sans exception, doivent être prises dans un sens favorable à l’innovation : en matière de financement de l’économie ; en matière de réglementation sectorielle ; en matière de fiscalité et de protection sociale. Aucune autre politique publique que celle-là ne peut être favorable à l’innovation.
Si les exceptions se multiplient, si l’innovation n’est plus qu’une priorité parmi d’autres, si l’on n’abaisse pas les barrières réglementaires à l’innovation de modèle d’affaires, alors notre destin est scellé : notre économie sera bientôt tenue exclusivement par des gens qui, bien qu’ils se prétendent décideurs de l’innovation, en sont en réalité les fossoyeurs.
Nicolas Rousselet, les taxis G7 et tous ceux qui les soutiennent au Parlement ou dans l’administration ne sont qu’un avant-goût de ce sombre avenir : bientôt, notre économie ressemblera à celle de ces pays du Tiers-Monde où l’homme le plus riche du pays, par ailleurs frère ou beau-frère du chef de l’Etat, a fait une immense fortune grâce à un monopole mal acquis sur l’importation des Mercedes d’occasion. Dans une telle configuration, on a tout gagné : des distorsions de marché, l’atrophie de la production locale, une valeur ajoutée réduite à néant, une croissance au ralenti et des inégalités de plus en plus insupportables.
Est-ce cela que nous voulons ? Et sinon, qu’attendons-nous pour agir ?
13:16 Publié dans Économie, Innovation, Numérisation de la société, Régulation | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
mercredi, 17 octobre 2012
BCE, Système européen TARGET et dettes souveraines
http://www.project-syndicate.org/commentary/the-ecb-s-sec...
Hans-Werner Sinn
Hans-Werner Sinn is Professor of Economics at the University of Munich and President of the Ifo Institute for Economic Research. He also serves on the German economy ministry’s Advisory Council. Hi…
[…] les marchés internationaux n’ont financé aucun de ces pays (Irlande, Grèce, Portugal, Espagne, Italie) de manière importante ces trois dernières années. Ils ont été financés par la Banque centrale européenne (BCE). Le système de règlement bancaire TARGET, jusqu’à présent ignoré par les médias, montre que la BCE a été beaucoup plus impliquée dans les plans de sauvetage qu’on ne le pense généralement.
Mais la BCE ne souhaite plus aujourd’hui poursuivre dans cette voie et voudrait que les membres de la zone euro prennent le relais.
[…]
A la fin de l’année dernière, la masse monétaire de la zone euro s’élevait à 1070 milliards d’euro, dont 380 milliards étaient absorbés par les prêts accordés aux GIPS. Continuer à financer les déficits des comptes courants de ces pays, à hauteur de 100 milliards d’euro environ par an, signifie que la totalité de la base monétaire de la zone euro serait consommée dans un délai de 6 à 7 ans.
Pour sortir de cette impasse, la BCE souhaite que la Facilité Européenne de Stabilisation Financière (FESF) prenne le relais, et certains pays demandent même la création d’euro-obligations. Mais cette option ne ferait que prolonger le financement communautaire des déficits de la balance des comptes courants des GIPS, en cours depuis quatre ans, pour deux ans de plus. En finale, soit l’euro s’écroulera, soit une Union de transfert sera établie dans l’Union européenne, par laquelle les déficits des comptes courants seront financés par des donations entre pays membres.
01:22 Publié dans Finance, Gouvernance, Régulation | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
vendredi, 29 avril 2011
BCE, Système europééen TARGET et dettes souveraines
Hans-Werner Sinn
Hans-Werner Sinn is Professor of Economics at the University of Munich and President of the Ifo Institute for Economic Research. He also serves on the German economy ministry’s Advisory Council. Hi…
Apr. 29, 2011
La stratégie secrète de renflouage menée par la BCE
MÜNICH – Pourquoi la Grèce, l’Irlande et le Portugal ont-ils dû avoir recours à une aide financière de l’UE et pourquoi l’Espagne risque-t-elle d’être le prochain pays sur la liste ?
Pour beaucoup, la réponse est évidente : les marchés internationaux ne veulent plus financer les GIPS (acronyme anglais pour Portugal, Irlande, Grèce et Espagne). Mais ce n’est qu’à moitié vrai. En fait, les marchés internationaux n’ont financé aucun de ces pays de manière importante ces trois dernières années. Ils ont été financés par la Banque centrale européenne (BCE). Le système de règlement bancaire TARGET, jusqu’à présent ignoré par les médias, montre que la BCE a été beaucoup plus impliquée dans les plans de sauvetage qu’on ne le pense généralement.
Mais la BCE ne souhaite plus aujourd’hui poursuivre dans cette voie et voudrait que les membres de la zone euro prennent le relais.
http://www.project-syndicate.org/commentary/the-ecb-s-sec...
13:11 Publié dans Régulation | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |