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samedi, 14 juillet 2012

Slate.fr Economie de la connaissance: les défaillances du génie français

http://www.slate.fr/story/59135/economie-connaissance-def...

Créativité, recherche, aide aux PME innovantes, voilà les pistes tracées par François Hollande pour la croissance européenne qu’il appelle de ses vœux. Qui ne saluerait pas ce programme? On peut se demander toutefois s’il ne s’agit pas d’un plaidoyer pro domo, visant à réparer les défaillances du génie français face à la mondialisation.

En effet, en matière d’investissement dans l’innovation, d’autres pays européens ont négocié ce virage de manière plus efficace que la France, en particulier l’Allemagne.  

L’économie de la connaissance comme nouvelle frontière. Sous le soleil de France, ce mot d’ordre est une ritournelle: le lancement de Sophia Antipolis date du début des années 1970, et la politique des pôles de compétitivité, de  2002.

L’appel à l’investissement technologique est une antienne du discours de nos gouvernants, et l’on pourrait imaginer que le pays de Descartes et de Lavoisier emporte le trophée dans ce domaine. Et bien, pas si sûr. Un rapport sur l’indice d’innovation dans les 27 pays européens (Innovation Union Scoreboard, 2011) détruit quelques illusions sur l’excellence de la France, puisque celle-ci occupe seulement le 11e rang du classement.

Fondée sur trois groupes d’indicateurs, les ressources humaines, l’investissement financier et les effets économiques, l’ensemble englobant 25 paramètres, l’analyse de la Commission européenne est impitoyable pour la France. Elle la range non dans le groupe des pays leaders de l’innovation (dans l’ordre: le Danemark, la Finlande, l’Allemagne et la Suède), mais dans le second groupe, celui des suiveurs de l’innovation (dans l’ordre: la Belgique, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Autriche, le Luxembourg, l’Irlande et enfin la France). La comparaison entre l’Allemagne (3e du classement) et la France (11e) est éclairante.

L’Allemagne souffre seulement de deux faiblesses: la proportion de personnes de 30 ans/40 ans dotées d’un diplôme d’études supérieures (d’autres sources montrent que les universités allemandes ne forment pas assez de diplômés, il en manquerait 1 million) et son capital risque.

Mais ses performances sont particulièrement bien équilibrées selon les trois groupes d’indicateurs et on note: un nombre très important de doctorants et de publications scientifiques, l’investissement dans les firmes tant en recherche développement que hors la R&D, les dépôts de brevets, les activités de marché, en particulier dans le cadre communautaire, et les exportations de services de la connaissance.

Les scores de la France se situent dans la moyenne européenne: elle prouve des atouts en ressources humaines (nombre de diplômés du supérieur, d’étudiants non européens et publications), ses investissements dans la recherche développement sont conséquents, mais bien plus modestes que l’Allemagne, elle dispose d’une recherche publique dotée d’un système attractif de financement; mais parallèlement, elle est faible dans les investissement hors R&D ainsi que dans les actifs «en matière grise» (les brevets), et dans l’exportation de services de la connaissance.

Cette étude suggère que l’énorme effort hexagonal dans l’éducation et la recherche se traduit imparfaitement dans de la production d’«actifs intellectuels» et engendre de moindres retombées commerciales qu’au-delà du Rhin. Ainsi, l’Allemagne devance largement la France pour le dépôt de brevets: en 2010, elle a déposé 17.558 brevets tandis que la France en déposait 7.288 (source OMPI). 90% des nouveaux brevets allemands émanent de PME.

Cette ardente obligation en faveur de l’économie de l’intelligence implique la création d’entreprises innovantes:«Par-dessus tout, les chefs d'Etat devront apporter des garanties pour soutenir les jeunes entrepreneurs car ce sont eux qui peuvent générer les nouveaux emplois que toute la jeune génération attend désespérément», affirmait à Challenges John Kirton, directeur du groupe de recherches sur le G8 et le G20, quelques jours avant le sommet du 18-19 juin. Plus encore, la création et la dynamisation des PME constituent un enjeu stratégique puisque l’essentiel des nouveaux emplois en Europe en dépendent (85% pour la période 2002-2010).

L'Allemagne crée moins d'entreprises, mais mieux

Qu’en est-il de la création d’entreprises en France? Le nombre d’entités créées est élevé –549.000 créations en 2011. Mais 94% de ces nouvelles entreprises débutent sans salariés, et souvent elles en restent là: beaucoup d’entre elles, de fait, naissent sous le statut des auto-entreprises.

Si l’on écarte ces dernières, l’état réel de la création d’entreprises en France est plus modeste. La France compte aujourd’hui 2,9 millions de PME qui accueillent 55% de la population active. L’immense majorité de ces PME sont des micro-entreprises. Restent donc 5,7%  de PME non micro-entreprises (une trentaine de salariés en moyenne),  et 0,1% d’ entreprises de taille moyenne (650 employés en moyenne). 16% du chiffre d’affaires de ces PME va vers l’exportation.

Tout autre est la situation outre-Rhin. En effet, si l’Allemagne voit naître un nombre plus faible d’entreprises (410.000 en 2009), celles-ci démarrent avec plus de salariés, un meilleur soutien capitalistique grâce des fonds qui leur sont dédiés, et grâce à l’aide au recrutement de post-doctorants.

Parallèlement, elles ont une potentialité de développement bien supérieure en raison d’une démarche entrepreneuriale pragmatique qui consiste à exploiter un savoir-faire, à se focaliser sur des produits de niche, et à tirer parti du contexte de la mondialisation.

Au final, l’économie allemande compte 3,6 millions de PME dans lesquelles travaillent actuellement 70% de la population active. Fourmillant de mini-unités comme en France (90% d’entre elles ont moins de 9 salariés), elle comporte néanmoins une plus forte part de grosses PME. Beaucoup de ces grosses entités performantes ont été créées dans les années 1970-80, et reposent sur du capital familial. En ce qui concerne les start-up récentes, il est difficile d’avoir du recul, mais on peut imaginer qu’elles sont conformes au modèle déjà installé. 33% du chiffre d’affaires de ces PME se dirige vers l’exportation, comme l'explique voir Isabelle Bourgeois dans PME allemandes: les clefs de la performance.

Les études se sont multipliées ces dernières années pour saisir les clefs du succès du Mittelstand allemand (tissu d’entreprises petites et moyennes). Un rapport publié en 2011 assène ce diagnostic:

«De nombreux points s’expriment pour “expliquer” l’écart de compétitivité entre la France et l’Allemagne: la qualité des relations clients-fournisseurs, l’image de l’industrie dans l’opinion, les effets de seuils qui dissuadent les entreprises française de grandir, la manie française d’en ajouter sur les réglementations européennes, les difficultés des PME françaises à trouver des financements, l’insuffisance de nombres d’entreprises de taille intermédiaires en France, la meilleure spécialisation industrielle, les charges fiscales et sociales “excessives” en France, l’insuffisance des crédits de recherche et l’innovation de produits…» (Michel Didier et Gilles Koléda,Compétitivité France Allemagne, Le grand écart, Economica, 2011).

Autrement dit, ces joyaux de l’économie allemande se greffent sur une tradition entrepreneuriale et sur une culture locale d’entreprise, mais ils ont été soigneusement accompagnés par des réformes structurelles menées par les pouvoirs publics. Le miracle allemand repose aussi sur la création d’un environnement favorable.

A l’aune de ces données comparatives, on peut se poser une question: en prenant la tête d’une croisade pour la croissance ancrée sur l’économie de la connaissance, un secteur qui va du numérique aux énergies renouvelables, en entendant stimuler les PME et la ré-industrialisation, François Hollande ne se fait-il pas, sans le dire et peut-être sans le savoir, le chantre du modèle allemand? Tout simplement. Car le paradoxe du débat sur la croissance est bien là: qui, en Europe, est le mieux placé pour donner des leçons sur la façon de dynamiser les territoires? 

Monique Dagnaud

00:59 Publié dans Compétition, Économie, Industries du futur | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |

mardi, 06 mars 2012

France Culture La rumeur du Monde : Comment réindustrialiser la France

Avec ce billet, un petit retour dans l’orthodoxie libérale…

Les mesures allant dans le sens de réduire les injustices, imposer des règles à la finance pour qu’elle reste au service de l’économie, diminuer les gaspillages de toute nature, sont évidemment nécessaires, mais largement insuffisantes pour permettre de récréer les emplois dont notre pays à besoin.

A travers ce “Comment réindustrialiser la France” la rumeur du monde de ce 3 mars, aborde – soi-disant - des questions que les hommes politiques n’auraient point le courage de traiter en profondeur avec leurs électeurs.

Mais pas de miracle à attendre, de politique point.  La discussion reste ciblée sur des questions de cours pour étudiants en administration des entreprises ou le credo des animateurs de cours de Management.

En particulier avec un tel périmètre, difficile d’aborder d’autres non-dits du monde politique, par exemple l’avenir de nos industries agricoles, et puisqu’il était beaucoup question de numérisation, les questions de brevabilité du vivant, des OGM, et plus généralement les excès des protection par le droit d’auteur et des brevets ?

Comment réindustrialiser la France?

(42 minutes)

Appareils de mesure de la ligne de lumière DIFFABS (Synchrotron Soleil) J-P. Dalbéra©Wikimedia

Tous les candidats à la fonction présidentielle ou presque parlent de la nécessité absolue de relancer l’emploi industriel face notamment à la situation ultra déficitaire des exportations françaises et au chômage.

Ils répètent qu’il faut « acheter et produire Français » mais ils n’indiquent pas les moyens pour y arriver, la nécessité d’une banque d’investissements, etc…

La question est large. Jean-Marie Colombani et Jean-Claude Casanova proposent de la traiter pour partie, cette semaine, grâce à deux points de vue :

  • celui d’un industriel, Didier Lombard, président du conseil de surveillance de STMicroelectronics, qui vient de publier L'irrésistible ascension du numérique : quand l'Europe s'éveillera (Odile Jacob), où il aborde ce qui est déjà l’industrie d’aujourd’hui, à savoir le « numérique »
  • et le point de vue de Charles-Henri Filippi, ancien inspecteur des finances, président pour la France de Citi France, qui vient de publier Les 7 péchés du capital : Racines et portée de la crise (Descartes & Cie), ouvrage qui est une critique du libéralisme et un éloge du modèle mercantile, modèle aujourd’hui de l’Allemagne et de la Chine, deux pays exportateurs avec des industries florissantes. Au-delà de la recherche des moyens pour rendre à la France sa compétitivité, se pose aussi la question des défaillances des différents modèles européens.

Invité(s) :
Didier Lombard sur Google http://www.google.com/search?hl=en&q=Didier+Lombard
Charles-Henri Filippi sur Google http://www.google.com/search?hl=en&q=Charles-Henri+Fi...

Thème(s) : Idées| Industrie| Travail| architecture numérique| compétitivité| crise| emploi| industrie| investissement| libéralisme| mercantilisme

Tableau récapitulatif des idées échangées

Annonce du périmètre de la discussion

Didier Lombard
industriel pro industries du numérique

Charles-Henri Filippi
banquier pro modèle,mercantile

Infrastructure haut-débits et Services Une crise profonde qui met en cause le modèle libéral qui a fondé la modernité (“libéralisme” canal historique)

de 3mn15 à 7mm

de 7mmn45 à 12mn 

Les débits sur réseaux numériques se sont mis à croître il y a 2 ans de façon exponentielle. Une révolution numérique qui touche tous les secteurs en même temps et très vite contrairement au passé, car monsieur et madame tout le monde s’est mis à pianoter sur leur portable. Les concepts socles de l’économie de marché sont remis en cause. Entre la chute du mur de Berlin et celle de Lehmann Brother, tout a sauté :

Le concept de base : le marche et la démocratie sont inséparables. Même si après le concept il y a la conquête…
On doit connecter tout le monde dans toutes les situations avec le débit le plus haut possible 100 méga bits par seconde (4G). Donc il y a des investissements majeurs à faire qui changent complètement la donne des relations et des échanges. Le marché qui doit créer de la valeur et du profit en même temps ne fonctionne plus. On peut créer du profit sans valeur.
A partir de quel seuil, le profit ne représente plus la valeur produite, ne profite plus à la collectivité ?
Comment faire pour que les services se déploient sur les réseaux le plus vite possible et que la valeur liée à ces activités reste sur notre sol, c’est à dire finalement, soit créatrice d’emplois.

Sur ce présent là, les pays d’Asie sont en plein développements exponentiels et dominant, les Etats-Unis jouent un rôle majeur dans la course, l’Europe est en retard et entortillée dans ses dogmes.
Au delà de la question de l’industrialisation posé par D. Lombard, il y a celle du travail.

Ce qui est rare c’est le temps. ce qui est rare c’est le travail. La travail est au cœur des choses.

Il y a la concurrence de la main d’œuvre bon marché dans l’économie globalisée, il y a aussi la montée de l’immatériel et la capacité à créer de la valeur avec peu de travail, puis il y a la montée des rentes non liées aux matières premières. Une matière première valait le travail qu’il fallait pour l’extraire. Aujourd’hui, son prix inclus une part de rente importante.
Il est tant de changer d’attitude et de passer en mode projet  et de voir comment on fait pour rester dans la lance. Les questions de dépréciation du travail est donc fondamentale.
   

Reformulation de Jean-Claude CASANOVA :



Comment fait-on, pour accroitre la valeur du travail et être compétitif ?
Quelles qualités supérieures pour nos produits ? Quelles politiques ?

Didier Lombard

Charles-Henri Filippi

de 16mn30 à 19mm30

de 20mmn15 à  24mn15

La question de la création de valeur économique et sociale devient fondamentale. A chaque décision, doit se demander : Fabrique-ton de l’emploi, en détruit-on ? Où va la richesse produite ? Nous avons perdus 2 millions d’emplois industriels en 30 ans. Nous en avons crée en net 4,5 millions d’emplois. Hors industrie, 6 millions d’emplois nets ont été créés.
Prendre en compte le facteur temps, pour juger si une rentabilité est excessive. D’un point de vue moral cet excès tombe si ces profits sont réinvestis. Les délocalisations ont joué un rôle mineur..
En revanche, la productivité a joué un rôle très important. Le déplacement des externalisations aussi.
Pour avoir des investissements massif il ne faut plus se tourner vers les gouvernements mais vers des investisseurs déjà en place en leur demandant quels capitaux ils sont prêt à sortir pour sortir de leurs routines… D’autre part à mesure que les revenus augmentent, la consommation se déplace des produits de l’industrie vers les produits des services.
Derrière les serveurs à valeur ajouté, souvent à Shanghai mais aussi des emplois plus modestes Il faut faire de la réindustrialisassions mais surtout protéger les emplois dans les services
Le mode recette c’est considérer qu’on régule  aujourd’hui, mais aussi sur un horizon de 5 ans en se demandant qu’est-ce que cette règle va donner va donner ? Il faut capitaliser nos forces sur certains secteurs, comme le faisaient les grandes politiques du passé. Les secteurs solides en emploi industriels sont l’aéronautiques, l’agroalimentaire, et le luxe
  La densité et la qualité des PME est trop faible, il y a une conception de l’entrepreneuriat à repenser avec une Qualité du travail et Productivité à améliorer fortement pour pouvoir créer de l’industrie exportatrice..
  Il ne faut pas que l’industrie du numérique et les services qu’elle déploie, ne détruise pas de l’emploi dans la sphère classique, c’est à dire permette à certains de gagner beaucoup d’argent sur le dos de la collectivité en détruisant des emplois.
  En outre, on n’est plus dans le monde de l’objet mais celui des flux (d’argent). Il faut apprendre à capter localement la valeur, la richesse produite, les flux d’argent de profit…

Reformulation de Jean-Claude CASANOVA : donne une vision très classique de l’investissement et des traditions que l’Allemagne a su garder (tradition de l’apprentissage, main d’ouvre de qualité et capacités d’adaptation des dirigeants). Recherche développement est une politique de longue haleine. Donc l’opinion ne voit pas comment ne pas un peu se protéger sans renoncer au libre échange.

Reformulation de Colombani : 2 axes : 1) L’existant marque par la désindustrialisation elle même   matérialisée par un déficit extérieur record. 2) Le futur. Comment peut-on être un acteur majeur du numérique ?

Didier Lombard

Charles-Henri Filippi

de 28mn30 à 31mm30

de 32mmn30 à 36mn15

Le choix des secteurs où l’on veut aller, n’est pas particulièrement facile à faire. Il nous faut une vrai discipline interne et une capacité de choix que nous n’avons pas eu.
On peut faire un copier/coller des 40 pages du plan stratégique sur 7 secteurs du gouvernement chinois… Périmètre européen mal utilisé, même en dehors de la politique monétaire.
Un secteur est éligible si et seulement si on est fort d’un point de vue R&D et capacité humaine; si on a un marché intérieure européen suffisant; et un accès à des marchés étrangers de taille suffisante.  
Il manque seulement une volonté politique de se mettre en ordre de bataille pour rentrer dans le détail de ce genre de politique. Pas de projet valable, citoyen et démocratique, si ce n’est au niveau européen
   

de 36mn15 à xxmm30

de xxmmn30 à xxmn15

(J’arrête là, ça manque terriblement de pertinence )…

En conclusion :

Il y a une certaine convergence d’idées avec les réflexions de Jean-Michel BILLAUT, qui constate que les jeunes entrepreneurs 2.0 sont mieux placés que les énarques et vieux politiciens, pour (re)lancer nos activités à forte valeur ajoutée.

A l’opposé de cette émission, le show de Jean-Luc Mélenchon du 6/3/2012 sur TF1, nous montre ce que c’est que faire de la politique. Avec “L’humain d’abord” pour instrument de pilotage et  ‘Le rapport de force” comme moyen de gouverner, on aurait pu craindre finalement qu’il soit assez loin de ces idées. Eh bien en définitive, il semble que non; sa conception de l’économique est assez clairement axée sur ceux qui savent et qui veulent et non le dirigisme. On pourra en juger en consultant sa vidéo.

jeudi, 19 janvier 2012

ATLANTICO et CFE/CGC UNSA : le capitalisme franchouillard à la française

Billets d'anthologie l’un sur ATLANTICO, l’autre sur CFE/CGC-UNSA que je m'empresse de mettre au chaud sur ce blog, qui résume une conviction que j’ai acquise depuis la première "guerre du Golfe" : 
Le capitalisme à la française n'est pas à la hauteur des investissements que nécessitent, l'évolution de nos connaissances et les mutations mondiales engagées. Il pleurniche pour obtenir des aides ou des mesures qui lui permettent d’améliorer sa rentabilité à court-terme. Il finit par les obtenir mais se montre incapable d’imaginer un avenir porteur d’innovations et de création de valeurs nouvelles, et donc recommence à pleurnicher… en égorgeant au passage quelques PME, qui, si on était outre-Rhin, seraient considérées comme le fer de lance de l’industrie nationale !

Toutefois, même si ATLANTICO vante le capitalisme à la FREE, la réalité est moins réjouissante, puisque CFE/CGC-UNSA nous explique comment FREE exploite la règlementation au détriment de ses compétiteurs ! On n’est là peut-être plus tellement sur du comportement franchouillard… En revanche, il semble bien qu’on soit dans un des schémas “croquignolesques” de compétition non faussée imaginée par l’Europe comme joué avec EDF qui doit aussi favoriser ses concurrents !


Free Mobile montre la faillite morale du capitalisme à la française

Nouveau rendez-vous Atlantico. Chaque semaine Pascal-Emmanuel Gobry fait voler en éclat une idée reçue économique. http://www.atlantico.fr/decryptage/free-mobile-faillite-m...

A lire aussi :
Ces autres secteurs de l’économie française qui attendent leur Xavier Niel pour baisser les prix

S'il y a eu un tremblement de terre économique en France cette semaine, c'est bien l'arrivée de Free Mobile, qui a divisé les prix par 2, 3 ou même 5. Ce séisme met bien en lumière les maladies de l'économie française, et ce capitalisme “à la française” si particulier, qui semble parfois réunir le pire du capitalisme et le pire du socialisme.
La plupart des nouveaux clients de Free Mobile achèteront le forfait illimité à 19.90 euros,mais le plus frappant était le forfait à deux euros, qui répond au forfait “RSA” créé par les opérateurs à la demande de l'Etat, à dix euros. En annonçant ce forfait, le fondateur de Free, Xavier Niel, avait la voix qui tremblait : plus vous êtes pauvres, plus on vous arnaque. Il a déclaré que Free n'avait pas prévu de faire un forfait premier prix, mais que son équipe avait été tellement choquée par un forfait RSA à dix euros qu'ils avaient décidé de le faire. Un proche de Niel me confirme la réalité de cette version publique. Dans une interview le lendemain sur BFM Business, Xavier Niel a dit que la marge de Free sur ce forfait serait de l'ordre de 50%, montrant à quel point le forfait “RSA” est un forfait “Racket Super Arnaque” comme Niel l'a surnommé.
Voilà comment le capitalisme à la française fonctionne : capitalisme de privilégiés et de castes. Les grandes entreprises gagnent de l'argent pour leurs actionnaires, non pas en jouant le jeu de la concurrence et de l'innovation, mais en obtenant des monopoles et des avantages de l'Etat. Et ce sont les plus pauvres qui en payent le plus souvent le coût.
Nous sommes restés à la société de privilèges de l'Ancien régime : chacun a sa niche qui lui permet d'exploiter une rente économique, accordée par le Souverain et donc nantie du droit divin. La vraie division est là, pas entre les riches et les pauvres, mais entre les privilégiés et les autres. Et comme ces privilèges existent à tous les étages de la société française, le système continue de fonctionner. Un chauffeur de taxi n'est évidemment pas aussi privilégié que Martin Bouygues, mais son privilège fonctionne de la même manière : par un cartel créé par l’État, qui appauvrit la plupart des gens au profit d'une minorité qui en retire une rente économique.
Il n'est pas étonnant, ensuite, que les Français aient une si piètre opinion du capitalisme, puisqu'on ne leur montre pas un capitalisme de marché, mais un capitalisme de mandarins. C'est un capitalisme qui ne profite pas tant que ça aux “super-riches” - l'économie française crée moins de millionaires et de milliardaires en France qu'en Grande-Bretagne et aux États-Unis - mais qui protège la France d'en haut et accable celle d'en bas.
Chaque CDI sur-protégé est un emploi non-qualifié en moins, ou précarisé. Chaque nouvelle niche fiscale immobilière, qui protège le patrimoine des propriétaires fonciers en maintenant les prix sur-élevés, est une famille qui ne peut pas se loger convenablement. Chaque protection des pharmaciens est des médicaments plus chers pour les Français. Chaque protection du “petit commerce” est des biens plus chers, et donc du pouvoir d'achat en moins.
Sur un marché au moins, Free Mobile a mis en évidence la faillite morale de ce système politico-économique. Espérons que beaucoup d'entrepreneurs, sur beaucoup de marchés, pourront faire de même dans les années à venir. Cette semaine nous a montré qu'il y a plus à attendre d'eux que des politiques.

Mots clés

Capitalisme | Free | Free mobile | morale | socialisme | Xavier Niel

Economie | Finance | High-tech | France


CFE/CGC UNSA - FREE Mobile : Xavier Niel prend-il tous les Français pour des c… ?

http://www.cfecgc-unsa-ft-orange.org/images/stories/docum...

Selon une étude du cabinet GFK, et sur la base de l’offre décrite par Xavier Niel devant les médias, 8 Français sur 10 ont l’intention, à court ou moyen terme, de souscrire à l’offre de téléphonie mobile de Free. 

Mais comment s’y prend Free pour monter son offre illimitée à 19,99 € / mois (15,99 € pour les abonnés ADSL Free) et son forfait 60 minutes / 60 SMS pour 2 € / mois (0 pour les abonnés ADSL Free) ?

Quelles seront les incidences cette nouvelle offre sur le marché des télécommunications en France ? Et que se passera-t-il si les Français interrogés confirment par des actes leurs intentions de basculer chez Free mobile ? 

Free mobile est financé par ses concurrents via la terminaison d’appel

Free mobile compte d’abord sur le prix de la terminaison d’appel dont il va bénéficier pendant sa période de lancement. Qu’est-ce que la terminaison d’appel ? Lorsque l’abonné d’un opérateur A appelle un abonné chez un opérateur B, l’opérateur B facture à l’opérateur A des frais d’interconnexion, ou terminaison d’appel. Or, jusqu’au 31 décembre 2013, Free mobile pourra facturer la terminaison d’appel plus cher que ses concurrents, selon une décision de l’Arcep mise en consultation jusqu’au 27 janvier.

Pendant les 6 premiers mois, Free mobile pourra facturer 2,4 centimes d’euro par minute pour la terminaison d’appel, soit 0,9 centimes de plus que ses concurrents (Free comptait sur un tarif plus généreux en sa faveur, de 3,4 centimes d’euros / mn).

Pour une 1 heure de conversation mobile par jour, répartie à 50/50 entre les appels entrants (provenant d’un autre opérateur que Free mobile) et les appels sortants, un abonné Free mobile permettra ainsi à son opérateur de gagner 4,32 € HT par mois (8 heures, soit 480 minutes x 0,9 centimes d’euros), financés par les autres opérateurs, sur décision du régulateur.

La prétendue « concurrence libre et non faussée » impose en effet aux opérateurs en place de financer l’installation de leurs concurrents. Cette faveur n’est cependant pas définitive, et la terminaison d’appel progressivement ramenée au tarif commun pourra obliger Free mobile à revoir ses tarifs dans le futur. Mais si tous les clients passent à Free mobile, le système ne marche plus, et c’est bien pourquoi l’offre Free mobile est limitée à 3 millions de clients. Officiellement Free mobile couvre à ce jour 27 % de la population avec son propre réseau, le reste de son trafic étant assuré par le réseau d’Orange, avec lequel il a signé un accord d’itinérance. Ses investissements dans le réseau sont donc moindres que ceux des autres opérateurs.

Le réseau Free mobile est-il réellement activé ?

La polémique gronde depuis deux jours, et les équipes techniques d’Orange s’interrogent : le réseau de Free mobile, supposé écouler 27 % des communications, ne serait pas activé, au moins pas dans son intégralité.

L’essentiel du trafic est donc écoulé par le réseau d’Orange, mais pas dans des proportions conformes à celles prévues par l’Arcep lors de l’attribution de la licence 3G. Free a-t-il abusé l’Arcep lors des tests de couverture ? Il est vrai qu’il existe des techniques pour ouvrir un réseau en couverture, mais sans avoir la capacité à écouler le trafic…

Et quelle est alors la justification du différentiel de terminaison d’appel en faveur de Free mobile ? Le nouvel entrant pourrait facturer à ses concurrents, y compris Orange, 0,9 centimes par minute de plus au titre de la terminaison d’appel… rendue par le réseau d’Orange ?

La décision mise en consultation par l’Arcep, qui offre le même avantage à deux « full MVNO », Lycamobile (sur le réseau Bouygues Télécom) et Oméa Télécom (sur le réseau de SFR), semble faire fi des investissements dans le réseau pour accorder des avantages tarifaires. Pourtant, les investissements nécessaires sont conséquents.

Le profit moyen net après impôts des 3 opérateurs mobiles en place est de 8% du chiffre d’affaires. Sur une facture moyenne mensuelle mobile de 24 € 1 , il reste donc à l’opérateur 1,92 € par mois et par abonné pour financer les investissements futurs et rémunérer les actionnaires.

En parallèle, le niveau de CAPEX (investissements corporels, hors licences ) pour le développement et le renouvèlement des réseaux mobiles en France s’élève, pour France Télécom Orange, à 11% du chiffre d’affaires en 2010. C’est ce que Xavier Niel appelle « presser le citron » ! Mais en l’occurrence, on peut se demander qui le presse ?

Le texte étant assez long, nous passons, ci-dessous, directement à la conclusion (aller sur le lien donné ci-dessus pour prendre connaissance des autres points).
Free mobile, la stratégie du coucou ?

C’est la conclusion que l’analyse impose, quand on regarde de plus près comment l’offre a été mise en place. C’est donc doublement inacceptable d’insulter tout le marché comme il l’a fait lorsqu’on utilise, à plein régime, tout ce que les autres ont déjà construit, pour s’installer dans la place. En ce sens, Free mobile constitue une parfaite illustration de l’exploitation maximale du dogme néolibéral de la concurrence exacerbée.

Surtout beaucoup de valeur(s) détruite(s) !

Malheureusement, l’expérience montre qu’un tel système conduit surtout à une destruction de valeur préjudiciable à l’ensemble de la société. Comme nous l’avons vu, les opérateurs mobiles, contraints de baisser leurs tarifs s’ils ne veulent pas voir tous leurs clients claquer la porte, seront également contraints de s’aligner sur les autres paramètres : moins de service aux clients, plus de vente directe sur le web, délocalisation des emplois d’assistance par téléphone.

Rappelons qu’en dépit des promesses faites lors de l’ouverture du marché des télécommunications, ce secteur en forte croissance a perdu 32 000 emplois en 12 ans. De nouveaux plans de suppression sont d’ores et déjà dans les cartons, simplement, ils ne sortiront qu’après les élections présidentielles.

Alors, oui, les tarifs de la téléphonie mobile baisseront plus rapidement que les seuls gains de productivité technologiques ne l’auraient offert. Mais à quel prix ?

Le consommateur y gagne aujourd’hui.
Les salariés ont perdu. Demain les citoyens paieront
.

Car ce n’est pas Xavier Niel qui financera les allocations chômage, ses nouveaux salariés seront au Maroc. Sans parler des insultes qui ont volé bas, dans les médias et dans les boutiques, créant de la tension entre les personnels de vente et les clients.

Est-ce le modèle de société que veulent les Français ?
Nous ne le croyons pas.

Références utilisées pour nos calculs

Selon le dernier Observatoire des communications électroniques diffusé par l’Arcep, à la fin du 3 ème trimestre 2011 :

 Il y a 67 millions de clients à un service mobile en France (67,047 millions exactement)

 Le prix moyen mensuel payé par un client mobile (prix payé sur le marché de détail, à l’exclusion des recettes d’interconnexion) est de 24 €, pour environ 2 h de communication sortante (127mn) et 177 SMS

Tarifs des terminaisons d’appel régulées par l’Arcep, en centimes d’euros par minute :

17:15 Publié dans Compétition, Économie | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |

dimanche, 05 juin 2011

Jean- Michel BILLAUT : Éloge du très haut débit

La France peut devenir le pivot de l'économie numérique mondiale ! n°2

Qu'amènerait une stratégie "sarkofibre", annoncée ubi et orbi comme Sarkozy saurait le faire ?

Voir mon post de dimanche dernier : la France pourrait devenir le pivot de l'économie numérique mondiale. Ce dernier a entraîné pas mal de discussions à la fois sur mon blog, et sur mon wall Facebook (et même sur Twitter..)... La plupart des commentaires sont positifs - heureusement ! -. Mais il y a quelques irréductibles gaulois qui trouvent que fibrer la France est une ineptie. Certains pensent toutefois que dans les villes.. ? Mais dans les campagnes !... Les bouseux, dont je fais partie, n'ont nul besoin de cela, disent-ils.. Et vous ne vous rendez pas compte du coût ? ..  A mon humble avis, ce sont les rats des champs qui en ont en le plus besoin, avec le recul des services publics qui va s'accentuer, là où il y a moins de monde... Remarquez qu'avant guerre, il y avait des zigotos qui ne voulaient pas de l'électricité, ni de gares de chemin de fer dans leur ville ... On ne se refait pas... Depuis Vercingétorix, y'a ceux qui sont contre ce qui est pour, et vice versa...

Mais revenons à nos moutons... Financement et création d'emplois du sarkofibre...

Comment kon finance le "Sarkofibre" ?

Une idée que vous trouverez certainement saugrenue, mais qui à mon avis demande à être fouillée..Si l'on remplace dans les fourreaux de France Telecom et sur ses 15 millions de poteaux, comme notre aimable autorité de tutelle vient de l'autoriser, si l'on remplace donc les fils de cuivre par des fibres optiques, aura-t-on encore besoin du cuivre ? A mon avis, pas besoin de 2 réseaux. Un seul suffit... Donc on peut retirer le cuivre, vu qu'avec la fibre on peut faire beaucoup mieux en matière de débit, et donc de services ... Et que va-t-on faire de ce cuivre ? Le jettera-t-on à la poubelle ? Que nenni...

Il y a environ 35 millions de lignes de cuivre en France, à la louche... Une ligne (une paire) a en moyenne en France une longueur de 2,5 à 3 kms entre le Noeud de Raccordement d'abonnés (NRA - 13.000 NRA environ sur le territoire) et l'abonné, en passant par le Sous-Répartiteur (SR - 130.000 environ, soit une dizaine de SR par NRA).

Pour la simplicité de la chose, supposons qu'un km de fil de cuivre de la ligne (la paire donc) - hors sa gaine - pèse 1 kg. Là aussi ne nous compliquons pas la vie... Car il y a plusieurs sections de fil de cuivre dans le réseau (du 4/10e, du 6/10e, du 8/10e). Et 2 fils de cuivre par ligne. A mon avis on ne doit pas être trop loin de la vérité avec cette hypothèse, probablement même en-dessous...

Les puristes, naturellement pourront nous faire un calcul plus exact. Merci en tout cas à David El Fassy d'Altitude Infrastructure, et à ceux, notamment Sébastien Massabuau, qui ont réfléchi au problème sur mon wall Facebook...

35 millions de lignes, 2,5 km par ligne, 1 kilo par km. Ce qui fait 87,5 millions de kms, et donc 87.500 tonnes de cuivre qui sont enfouis dans nos sous-sols, ou qui servent de perchoir aux hirondelles dans nos campagnes.. (merci de vérifier mes calculs.. n'ayant pas fait de Grandes Ecoles Gauloises, il arrive souvent que je me gourre).

Le cours du cuivre varie ces derniers jours autour de 7.000 € la tonne.

Soit une valeur estimée d'un peu plus d'un demi-milliard d'€ (612,5 millions). Certes, ce cours peut évoluer à la baisse, mais aussi à la hausse... Il est d'ailleurs en progression constante depuis 10 ans. Il peut donc encore augmenter vu les besoins de l'industrie dans les pays émergeants notamment. Le métal rouge est en effet très utilisé dans un grand nombre de secteurs d'activité, et sa demande est ultra-sensible à l'évolution de la conjoncture. Certains économistes l'utilisent d'ailleurs comme indicateur avancé de l'évolution conjoncturelle à venir..

Ce qui fait beaucoup de sous... Mais pas suffisant pour financer le fibrage du pays que j'estime en ce qui me concerne dans le cadre d'un "Sarkofibre" à 20 milliards d'€, peut-être moins.. L'Idate (des gens qui savent) avait fixé la chose il y a 3 ou 4 ans, à 45 milliards et encore pour une partie seulement du territoire.. L'Arcep elle, plus récemment estime que la chose ne dépasserait pas 25 à 30 milliards... Tout cela montre qu'il n'y a pas eu de réflexions sérieuses... On s'est enfumé avec des tas d'études diverses, des colloques avec des Ministres, des conférences avec des consultants spécialisés, etc...

Ce trésor rouge ne pourrait-il pas amorcer la pompe du sarkofibre, avec une mécanique financière ad hoc ? Coopérative locale de télécoms (voir mon précédent post), prêts bancaires, hypothèque sur le cuivre enfoui et pendouillant en l'air...

Pourquoi France Télécom, assis sur ce beau demi-millard d'euros, n'hypothèque-t-il pas ce trésor pour commencer à fibrer en grand le pays ? Avec un 1/2 milliard en hypothèque, il pourrait obenir un prêt d'un consortium bancaires d'une dizaine de millards. Compte tenu des arguties diverses autant que variées dans ce pays, France Telecom serait-il libre d'hypothéquer son trésor de guerre ? Qu'en pense les bons esprits ?

Mais au fait, tout ce cuivre appartient-il vraiment à France Telecom ? Peut-être faut-il distinguer le fourreau, de la ligne que l'on glisse dans le fourreau ? A qui appartiennent les fourreaux (et les poteaux) et à qui appartient le cuivre ?

Jospin 1er, notre bon roi, a obéi à son suzerain Bruque Xel XII... Qui voulait, allez savoir pourquoi, démonopoliser les infrastructures publiques. Il a démonopolise le réseau (fourreau-ligne-NRA..) ET les services rendus par France Telecom sur le dit réseau.. Et dire que chez nous c'est un Gouvernement de Gauche qui a fait cela..On croit rêver... Pas étonnant que la Droite s'en fout..

A part cela, si j'étais France Télécom, je ferais un test de ripage cuivre vers fibre... à Villiers-le-Mahieu (c'est là où j'habite - il paraîtrait que l'on y a volé le réseau téléphonique..).. En proposant aux 220 habitants la solution... En étudiant convenablement la chose, les travaux pourraient se faire en un mois... Bref, Villiers le Mahieu pourrait rester dans l'Histoire des Gaulois comme le nouveau Vélizy (pour les plus jeunes d'entre nous, je rappelle qu'en 1982 la DGT - l'ancien nom de France Telecom - avait testé le vidéotex dans cette petite ville de l'Ouest Parisien...).

Les grincheux me feront remarquer avec raison que la fibre a aussi un coût... Les spécialistes me disent que le km de fibre coûte moins de 1 €...

Bref, on peut mettre en place un "sarkofibre" si l'on veut... Le tout est de savoir si on le veut ...  Mais continuons si vous le voulez bien nos élucubrations dominicales...

Combien d'emplois kon créerait pour mettre en oeuvre le sarkofibre ?

Remplacer tout le cuivre par de la fibre sur 5 ans (c'est l'hypothèse de départ : voir mon post de la semaine dernière) ne va pas se faire par une opération du Saint Esprit... Il faudra former des "agents". 35 millions de lignes cuivre à remplacer par de la fibre... Reprenons si vous le voulez bien nos calculs idiots... Supposons que pour remplacer une seule ligne cuivre par une ligne fibre il faille 5 jours ouvrés à un "agent"... Il faudrait donc à cet agent 175 millions de jours ouvrés pour fibrer le pays. Quelque chose comme 795.000 ans, ce qui est pour l'instant incompatible avec l'OS biologique des Homo Sapiens, fût-il "agent de France Telecom".. Comme notre Président est un homme pressé, et veut voir son oeuvre avant la fin de son (2ème ?) mandat pour partir le coeur léger "en dolce vita", il nous faudrait environ 200.000 agents pour fibrer le territoire en 5 ans... N'hésitez pas naturellement à refaire les calculs avec vos hypothèses.. Ou me dire où je me suis trompé...

Naturellement il faut ajouter à cela, les emplois créés chez Acome, qui est le seul fabricant français de fibres qui nous reste.. Là, je suis un peu sec... Je ne sais pas trop combien de personnes qualifiées il faudrait pour fabriquer en 5 ans 35 millions de kilomètres fibres.. Voir plus, car certains veulent amener 4 fibres au logement du gaulois qui vit dans une mégapole... On se demande bien pourquoi.. Gabegie de la main invisible chére à notre Adam Smith ?

N'oublions pas non plus les emplois à créer pour fabriquer le hardware nécessaire (routeurs, etc) ... Certes, ces matos sont généralement fabriqués ailleurs... Mais notre Président, qui a tout compris, pourraient inciter les grands fournisseurs de matériels à les faire fabriquer en France..  Même si le coût salarial est plus élevé... On se souviendra que dans les temps anciens, Jean Louis Gassée, alors Directeur d'Apple France, avait organisé une réunion avec Steve Jobs et le grand chambellan mitterandien Fabius. Cela dans le cadre du Plan Informatique pour Tous.. Steve avait accepté d'installer une usine de fabrication de Mac en France, si le Mac était retenu dans ce Plan... On sait ce qu'il en est advenu.. L'intelligenstia gauloise a rué dans les brancards pour bouter Steve hors de France... Et on a fait le TO7... Mais Sarkozy est un type intelligent... Il ne va pas faire la même erreur...

Et alors, qu'est ce kon fait avec tout ce bazar ?

La première chose que notre Président pourrait faire lors de son discours inaugural devant les télés du monde entier, serait d'inciter toutes les entreprises mondiales ayant intérêt au trés haut débit pour leur business, de venir s'installer en France. Puisque nous serions le premier pays au Monde à le faire avec une stratégie très volontariste.. Nos braves têtes d'oeuf pourraient même concocter diverses mesures incitatives...Certes, certains pays asiatiques sont en train de se fibrer mais plutôt à petite vitesse. De plus, comme ils n'ont pas la même culture, on peut penser que les applications trés haut débit qu'ils pourraient mettre en oeuvre ne sortiraient pas de leur pays...

Et en France aussi, malgré ce que notre élite 1.0 pourrait croire, on pourrait nous-mêmes faire des choses tout a fait intéressantes... Vu que nos "digital natives" n'ont rien à envier à ceux d'ailleurs... Je les vois chaque jour devant ma webcam... Ils sont en train, consciemment ou non, d'adapter notre système économique sur la plateforme Internet... Ils sont en train de réformer la France... De fabriquer la France 2.0.

Comment et que pourrions nous faire dans ce cadre ?

A Dimanche prochain pour la suite de notre grand feuileton du sarkofibre... "La France doit devenir le pivot de l'économie nuémérique mondiale..." n°3...

PS... On a cru comprendre cette semaine qu'il y avait quelques réunions secrètes entre notre France Telecom et Google... L'objectif semble-t-il étant de réfléchir à la mise en oeuvre d'un réseau Internet à 2 vitesses, voire plus ... Mais si nous avions un réseau de télécommunications à 1G symétrique, aurions-nous besoin d'un réseau à 2 vitesses ? Par ailleurs, une alliance France Telecom et Google ne serait qu'un marché de dupe. Google va ouvrir le 1G gratuit à Kansas City... A mon avis, pour se faire la main à la fois sur la technique de mise en oeuvre, et à la fois sur les applications.. Et quand cela sera fait, Google sera tout a fait capable de fibrer les USA. Pour commencer.. Propriétaire d'un réseau à TRES haut débit, propriétaires d'applications nécessitant des tuyaux à fort débit (rien qu'avec youtube aujourd'hui...), out les opérateurs 1.0 ???

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lundi, 11 avril 2011

Res Publica – Colloque 4 avril 2011 "Radiographie des entreprises françaises"

La France et ses multinationales: Stratégies globales, intérêt national et renouveau du tissu entrepreneurial

Intervention de Laurent Faibis, président du groupe Xerfi, au colloque "Radiographie des entreprises françaises" du 4 avril 2011

La France et ses multinationales: Stratégies globales, intérêt national et renouveau du tissu entrepreneurial

Laurent Faibis 

Je vais aborder un sujet très délicat, en particulier pour la gauche : les entreprises. J’étais censé reprendre le thème de notre ouvrage collectif : « La France et ses multinationales. Stratégie globale et intérêt national ». Mais on ne peut négliger, derrière les multinationales, le grand vide entrepreneurial. C’est pourquoi je vous parlerai aussi du problème de la reconstitution d’un tissu de PME et d’entreprises de taille intermédiaire.

Comme vous le savez, la crise financière a entrainé la crise de l’euro. La crise de l’euro a révélé une Europe à deux vitesses :

  • celle qui exporte,
  • et celle qui subit un déficit structurel de son commerce extérieur.
  • Celle qui s’est adaptée à un euro fort
  • et celle dont la compétitivité hors coût est insuffisante.
  • Celle qui a misé sur l’industrie et la compétitivité,
  • et celle qui a misé sur la consommation, les services et l’immobilier.

Il y a aujourd’hui une zone Euro du nord centrée sur l’Allemagne, qui s’est adaptée à la globalisation. Cette zone euro du nord prend, mois après mois, des parts de marchés à la zone euro du sud, qui s’est désindustrialisée.

Pourtant, grâce à ses entreprises multinationales, la France se situe dans une position particulière par rapport à l’Europe du sud. Dans le dernier classement Global 500 de Fortune de 2010, on recense en effet 39 groupes français, répartis dans 18 secteurs d’activités différents.

La France se situe ainsi en 4ème position mondiale pour le nombre de sociétés multinationales, derrière les géants américains, chinois et japonais. Devant l’Allemagne. Mais derrière l’Allemagne pour les entreprises industrielles. La comparaison avec l’Allemagne est d’ailleurs éclairante : 40 % des 20 premiers groupes d’outre-Rhin les plus importants sont issus de l’industrie manufacturière. Ils ne sont que 15 % en France. Ce qui frappe en France, c’est l’hypertrophie du nombre de groupes de la consommation. La France a ainsi 5 des 20 plus grands distributeurs mondiaux. Si nos multinationales représentent une force de frappe indéniable au plan international, le déséquilibre entre l’industrie et les activités liées à la consommation est significatif des difficultés de notre commerce extérieur.

Un modèle de croissance français en crise

Depuis vingt ans, le centre de gravité du modèle de croissance français s’est en effet de plus en plus centré sur le soutien de la consommation des ménages et les activités de services. En se désintéressant de son industrie, la France est tombée dans un piège. Elle a trop rêvé d’une solidarité européenne, quitte à oublier ses intérêts nationaux. Mais l’analyse de la structure économique de la zone euro révèle aujourd’hui clairement deux sous-ensembles :

  1. Celui des huit pays qui ont une balance des paiements courants excédentaires, avec en son centre, l’Allemagne. L’industrie représente plus de 20% du PIB de cette zone.
  2. Celui des neuf pays déficitaires, qui comprend la France et les pays du sud de l’Europe. Le poids de l’industrie ne représente plus que 15% du PIB de cet ensemble.

Certes, cette situation n’aurait pas posé de problème dans une zone euro fédérale. Mais depuis une dizaine d’années, s’est mise en place au sein de la zone euro une concurrence fiscale et sociale. Nous en avons mal évalué les conséquences. Pour la France, cela s’est traduit par des pertes de parts de marché. Non pas vis-à-vis des pays émergents comme on voudrait le faire croire. Mais principalement vis-à-vis de l’Allemagne qui a tout fait pour conserver son industrie. Là où l’Allemagne a presque retrouvé son niveau de production industrielle record d’avant crise, la France a subi un important décrochage.
Les évolutions des indices de production industrielle des dernières années sont éloquentes. Sur la base d’un indice 100 en 2005, les indices français et allemands ont atteint un point haut en février 2008 : 105 pour la France, mais 117 pour l’Allemagne.

Avec la crise, les deux pays ont enregistré une chute brutale de leur production, qui a atteint son point bas en même temps, en avril 2009 : la production française avait baissé de 21 points par rapport au point haut de février 2008, celle de l’Allemagne de 28 points.
Mais l’Allemagne a rapidement rebondi avec une augmentation de 24 % depuis la crise. Sa production a déjà retrouvé le niveau de janvier 2007. Pour la France, le rebond n’a été que de 13%. Notre indice de production industrielle n’a retrouvé que le niveau de la fin 1997, treize ans en arrière !

Notre perte de compétitivité repose sur 3 fois la lettre A : l’Allemagne, l’automobile, l’agro-alimentaire.
En se désintéressant de la compétitivité industrielle, nous n’avons pas su voir non plus à quel point les activités de services aux entreprises ont définitivement partie liée aux activités productives : les gains de productivité des services, leurs technologies dépendent étroitement des efforts de recherche et développement de l’industrie. De fait, la perte de vitesse de l’industrie a enlevé au secteur des services aux entreprises un stimulant majeur.

Mais il y a pire. L’attention des pouvoirs publics s’est concentrée ces dernières années sur les services à la personne. Ces secteurs ont bénéficié de privilèges fiscaux exorbitants. Le but explicite était de leur confier une mission de remède miracle au chômage. Mais il s’agit de secteurs faiblement capitalistiques, à faible gain de productivité, avec des salaires très bas. Leur tissu économique est très atomisé, avec peu d’entreprises à potentiel de croissance. D’ailleurs, le miracle ne s’est pas produit et les emplois promis n’ont pas été au rendez-vous. Mais surtout, est-il acceptable d’offrir comme principale solution au chômage des postes de femme de ménage, des cours particuliers, voire de repeupler les pompes à essence ?

Certes, la préférence bien française pour le temps libre et les loisirs, le soutien permanent à la consommation ont bien favorisé les professions touristiques. Jusqu’à subventionner la restauration par une baisse de la TVA. Le soutien permanent à la consommation a favorisé les grands réseaux de distribution.
Mais cela s’est aussi traduit par un déplacement de la qualité des emplois vers des postes faiblement qualifiés et mal rémunérés. Les pouvoirs publics ont encouragé la baisse des prix dans le commerce de détail pour favoriser le pouvoir d’achat.

L’une des conséquences a été l’accélération des délocalisations. Les circuits de distribution ont en effet leur part de responsabilité dans la destruction de pans entiers des industries de biens de consommation.
Ces prix toujours « les plus bas » ont fait oublier au client des hypermarchés, des hard-discounters et autres centres commerciaux, que consommateur côté pile, il était, côté face, un salarié à la recherche d’un revenu. Le problème semble aujourd’hui réglé. L’essentiel des produits de grande consommation est en effet conçu dans d’autres pays industriels et fabriqué chez les émergents.

Faire comme l’Allemagne ? L’illusion d’un Mittelstand français

Confrontés à nos déficits extérieurs, à notre dette publique, à la menace de l’éclatement de la zone Euro, s’est développé un nouveau slogan : il faut faire comme l’Allemagne ! Mais « faire comme l’Allemagne » pour mobiliser qui et quoi ? Voilà le risque d’une nouvelle impasse, tant nos structures industrielles et entrepreneuriales, nos positions sectorielles en Europe et dans le monde sont différentes. Nos capacités concurrentielles hors-prix, la rentabilité de nos entreprises, notre démographie, la structure des dépenses des ménages, sans compter le poids de l’histoire, et bien d’autres facteurs appellent des réponses différentes. Faudrait-il faire aujourd’hui comme l’Allemagne, comme il fallait autrefois imiter le Japon, et avant les états-Unis ?
Mittelstand ! Ce mot résonne désormais comme une potion magique ! Pourtant, cette nouvelle lubie d’économistes et d’experts ne résiste pas à l’analyse. Que d’ignorance sur la réalité du tissu d’entreprises ! Derrière nos grandes firmes multinationales, le manque d’envergure de notre tissu d’entreprises de taille intermédiaire, ces grosses PME aptes à mettre en œuvre une stratégie de croissance internationale, est sans appel. Nous n’avons en France que 34.000 entreprises de plus de 50 salariés contre 57.000 en Allemagne. A taille comparable, il nous manque 15.000 entreprises de plus de 50 salariés.
Il faut regretter de ne pas disposer de la dizaine de milliers de grosses PME du Mittelstand allemand. Des sociétés, souvent contrôlées par des capitaux familiaux, se sont spécialisées sur des segments dont elles se sont la plupart du temps assuré le leadership mondial. Une performance obtenue grâce au perfectionnisme technique et la qualité des produits, le fameux «made in Germany ». Elles génèrent 40% des exportations outre-Rhin.

Rien de comparable non plus en France au « sistema Italia ». Cette myriade de petites et moyennes entreprises, souvent regroupées en « clusters » qui représentent 60 % des exportations.

La faiblesse du tissu d’entreprises de taille moyenne

La situation est tout à fait différente dans l’Hexagone. Déjà peu nombreuses, les Entreprises de taille intermédiaires (les ETI) ont ici tendance à se raréfier. Le décret du 18 décembre 2008 définit les entreprises de taille intermédiaire (ETI) par le nombre de salariés (250-5000), un chiffre d'affaires inférieur à 1,5 Milliard d'euros et un total de bilan n'excédant pas 2 Milliards d'euros. Elles étaient à peine 5.000 avant la crise. Du fait de la crise, la France n’en compte plus que 4.200. Et encore, plus de la moitié relèvent des services et de la distribution. Dans les activités industrielles, nombreuses sont en fait des filiales de groupes étrangers. Elles sont, de surcroît, faiblement exportatrices et surtout orientées vers des niches locales.

La législation allemande est de son côté plus accommodante au plan fiscal et social. Celle de l’Italie reste volontiers laxiste. Quant aux PME et aux ETI françaises indépendantes, elles sont confrontées à une fiscalité et une législation sociale qui les pénalise et freine la croissance. Par rapport à l’Allemagne, il nous manque en France au moins 5.000 entreprises de taille intermédiaire. À 300 emplois en moyenne par entreprise, cela fait effectivement 1.500.000 emplois, sans compter les emplois induits.
Alléger les contraintes administratives, sociales et fiscales qui freinent le développement des PME est indispensable. Améliorer leurs outils de financement, leur accès aux aides publiques à l’innovation aussi. Mais il faudra plusieurs décennies de volontarisme public, il faudra au moins une révolution culturelle pour rattraper le temps perdu et le retard accumulé. Car le constat est sans appel : la France n’est plus un pays d’entrepreneurs.

L’inconsistance de l’entrepreneuriat français

Répétons-le. Nous vivons dans un système de concurrence sociale et fiscale au sein même de la zone Euro. Notre modèle économique favorise la demande plutôt que l’offre. Il est pénalisant pour les entreprises industrielles et les services aux entreprises. Notre modèle fiscal et social entrave le développement des nouvelles entreprises. Trop de sociétés en France ne veulent pas dépasser le seuil des 50 salariés. Trop d’entreprises ne parviennent pas à se développer parce que leur rentabilité est insuffisante, et que leurs dirigeants n’ont de ce fait pas la possibilité d’engager les managers qui sont nécessaires à la croissance.

La reconstruction d’un tissu d’ETI est pourtant indispensable au pays. Mais ce sera long, même si sont réglés les problèmes fiscaux, administratifs et sociaux qui freinent le développement des entreprises. En effet, ni notre culture, ni notre système de formation ne valorisent l’ambition entrepreneuriale. Cette défaillance est criante dans les filières d’élite, les grandes écoles.
La proportion de diplômés de ces établissements prestigieux qui ambitionnent de créer un jour leur entreprise est beaucoup trop faible. Nos filières d’élite ont vocation à former des managers, des hauts fonctionnaires, des experts, et non d’engendrer des « petits patrons », une expression qui n’a d’ailleurs pas dans les autres pays avancés la connotation péjorative de notre langue française. Tout un symbole !
Dans nos grandes écoles d’ingénieurs, l’attrait du monde de la finance, souvent à l’étranger – voire au grand large – à Londres, New York, Singapour ou Shanghai, a depuis plus de dix ans pris le dessus sur l’aventure technologique. Au point que nombre d’entreprises tricolores éprouvent des difficultés à recruter des ingénieurs, qui se détournent de l’industrie.

Un récent rapport de l’Institut Montaigne intitulé « Adapter la formation de nos ingénieurs à la mondialisation » tire le signal d’alarme : le système de sélection et de formation de nos écoles d’élites n’engendre ni des innovateurs, ni des entrepreneurs. Non seulement nos ingénieurs se désintéressent de l’industrie, mais aussi de la recherche et de l’aventure entrepreneuriale. Moins de 5 % des diplômés de nos cursus d’élite créent un jour une entreprise digne de ce nom. Rapporté au nombre d’habitants, il se crée en moyenne trois fois moins de start-up en France qu’aux États-Unis, tandis que deux fois moins de brevets sont déposés auprès de l’Organisation mondiale de la protection intellectuelle.
Il faut donc aussi s’interroger sur les conséquences de notre aversion au risque, notre goût immodéré pour la sécurité, les itinéraires professionnels balisés dans la haute administration et les postes rémunérateurs au sein des grands groupes. En vérité, nous payons très cher la dévalorisation de l’image de l’entrepreneur dans la société française.

Le foisonnement d’initiatives pour créer des entreprises aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, dans les pays scandinaves, voire dans des petits pays comme Israël ou même Singapour, devrait forcer notre admiration.

Dans les domaines technologiques, la France disposait pourtant de tous les atouts scientifiques, techniques et créatifs pour figurer aux avant-postes de l’innovation. Tout, y compris les sources de financement grâce au capital-investissement. Tout sauf un nombre suffisant d’entrepreneurs.

Il faut réhabiliter dans ce pays ce goût d’entreprendre, la saveur du risque, les compétences de créativité et d’imagination, l’ambition de long terme indispensable pour hisser la start-up au niveau de ces entreprises de taille intermédiaire qui nous font tant défaut. Mais c’est là un objectif de long terme.

Pour la décennie à venir, nos capacités de rebond devront reposer d’abord sur le dynamisme de nos grandes entreprises multinationales. Un tissu de grandes entreprises qui ne se renouvelle guère. Un tissu d’entreprises où les stratégies financières jouent trop souvent un rôle plus important que l’effort de création et d’innovation.

Des fondateurs entrepreneurs aux financiers-fédérateurs

Il faut en effet constater que les financiers ont peu à peu pris la place des vrais entrepreneurs et des vrais capitaines d’industrie. Le capitalisme français est aujourd’hui dominé par des financiers-fédérateurs. Ils sont habiles à constituer des groupes comme un meccano. Ils ont multiplié les acquisitions, les fusions, parfois les raids hostiles. Ils sont bien soutenus par notre système financier et les marchés financiers avec lesquels ils fonctionnent en osmose.
Historiquement, nombre de ces groupes ont d’ailleurs reçu le soutien des pouvoirs publics, que ce soit dans période de la reconstruction d’après guerre, la période gaulliste, les nationalisations, ou des sauvetages ultérieurs. Certaines ont bénéficié de la politique industrielle des pouvoirs publics, ce que l’on a appelé le « Colbertisme High-Tech ». Leur mérite, incontestable, est d’avoir largement contribué à créer des groupes de taille internationale. Des multinationales capables de rivaliser avec leurs concurrents étrangers. Mais il faut trop souvent regretter leur opportunisme face à l’intérêt national et leur soumission aux règles de la valeur actionnariale et du court-termisme.
Par contre, le nombre de grands groupes français que l’on peut rattacher à un fondateur, à une famille encore impliquée dans l’entreprise s’est considérablement réduit. De fait, la dernière génération des fondateurs date des années cinquante !
Un exemple : la bataille ouverte avec l’entrée en force de LVMH dans le capital d’Hermès ou la prise de contrôle de Bulgari illustrent une spécificité du capitalisme français. À savoir les stratégies financières de croissance externe, capables de fédérer en quelques décennies une myriade de sociétés pour constituer un groupe puissant sous l’égide d’un patron financier-fédérateur.
De même, le groupe Sanofi-Aventis (désormais Sanofi) s’est constitué année après année par des centaines de fusions-acquisitions, avec, dernière en date, l’américain Genzyme. C’est moins risqué et plus rapide que la recherche !
Voilà une méthode pour laquelle les dirigeants français ont démontré un remarquable savoir-faire en ingénierie financière, attraction de sources de financement, capacité d’intégration et de management d’entités aux cultures historiquement différentes. Un véritable savoir-faire qui a pu être décliné dans l’internationalisation de leurs activités.

Les multinationales sont aujourd’hui notre principale force de frappe

La France a besoin de ces multinationales pour rebondir, car à court terme, nous avons fait le constat de la grande pauvreté de notre tissu d’entreprises de taille moyenne. Ces multinationales constituent la principale force de frappe dont dispose notre pays pour faire face aux défis économiques de l’après crise. Elles seules sont capables à court et moyen terme d’aller chercher en dehors de nos frontières la croissance dont nous avons besoin pour retrouver la prospérité. Seuls les grands groupes internationalisés ont en France les moyens financiers et logistiques, les compétences technologiques et organisationnelles indispensables.
Il faut renforcer notre capacité à remporter des marchés dans les autres pays développés et tirer parti de la croissance des pays émergents. Investir massivement, mais davantage pour innover, est impératif pour redevenir compétitif face aux autres grands pays industriels, et conserver de l’avance sur les nations émergentes.

Conjuguer la logique de nos firmes multinationales avec la croissance et l’emploi en France ?

Comment alors conjuguer la logique de nos firmes multinationales avec la croissance et l’emploi en France ? Comment concilier la stratégie de conquête de marchés extérieurs, qui se traduit par la localisation de moyens de production et d’emplois à l’étranger, avec la création d’emplois à forte valeur ajoutée sur notre territoire. Il n’y a pas nécessairement antagonisme entre ces stratégies globales et l’intérêt national. Mais la France est sans doute le seul grand pays où prononcer ensemble les mots « multinationales » et « intérêt national » provoque des répulsions.

Cela nous amène à poser un autre débat interdit : celui du retour de l’État. Un État qui contribue à la réflexion stratégique et à la coordination des efforts. Un État qui vient aussi épauler solidement les entreprises pour renforcer leur compétitivité et conquérir des marchés. Un État qui joue mieux son rôle pour mobiliser l’épargne nationale en faveur des entreprises. Un État déterminé à prendre les mesures indispensables pour que les grandes entreprises restent liées à l’intérêt national, et que le territoire ne perde plus les centres de décisions majeurs, comme Pechiney ou Arcelor.
Il nous faut aussi un État qui serait attentif à mieux arbitrer les relations entre les grandes entreprises et les sociétés de taille moyenne. Il faut impérativement favoriser le partenariat plutôt que les rapports de forces. Un État qui rééquilibrerait la fiscalité en faveur des entreprises de croissance. Cela pourrait commencer par une forte baisse de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis. Comme en Allemagne !

Parmi les pays avancés, les entreprises allemandes, japonaises et coréennes sont déterminées à récolter les meilleurs fruits de la globalisation. Leurs gouvernements respectifs les épaulent pour renforcer leur compétitivité internationale. Les États-Unis montrent leur volonté de ne pas se laisser faire, quitte à utiliser l’arme monétaire. L’irruption sur le marché mondial de firmes brésiliennes, russes, indiennes, chinoises, mais aussi la montée en puissance dans les secteurs « technologiques » d’opérateurs du Canada, de Taïwan, de Singapour, voire d’Israël soulignent l’urgence d’une contre-offensive.

Sous le poids des traités européens, nous avons accepté de nous dépouiller de notre politique industrielle. La France a commis là une grave erreur. Aucun grand pays – et certainement ni la Chine ni les États-Unis – n’a la naïveté de penser que l’État doit renoncer à stimuler ses industries clés.

De fait, nombre des grands groupes français qui occupent aujourd’hui encore des positions majeures dans le monde ont pris en d’autre temps leur essor grâce au soutien de la puissance publique. Partout dans les zones du monde en effervescence, les États interviennent ouvertement – et parfois outrageusement – pour soutenir leurs champions nationaux. Nous avons à l’inverse, et à rebours, décidé de vouer aux gémonies les politiques volontaristes en faveur des entreprises.

 

Résumons-nous :
  1. Une offensive économique de la France passe nécessairement par la mise en œuvre d’une action concertée avec les grandes entreprises de nationalité française.
  2. Nos multinationales doivent avoir un rôle d’entraînement sur l’ensemble du tissu d’entreprises.
  3. Elles doivent entraîner dans leur sillage les entreprises de taille moyenne dans des relations partenariales, et non dans des relations dominants-dominés.
  4. L’appui des pouvoir publics est indispensable pour favoriser les grands projets d’investissement technologiques. Le leadership sera principalement porté par les grandes entreprises, faute d’un nombre suffisant d’entreprises de taille moyenne en France.
  5. Il est impératif de rétablir en France la propension à entreprendre. Pour cela, il est indispensable de reconfigurer la législation fiscale et sociale pour permettre aux entreprises de croître. Il est également indispensable de revaloriser le goût d’entreprendre dans les filières élitistes, les grandes écoles.

Ce renouveau du lien entre le pays et ses multinationales doit se faire sous le sceau de la réciprocité : la croissance des entreprises à l’étranger, et notamment dans les pays émergents, doit avoir des retombées positives pour l’économie et l’emploi dans l’hexagone.

L’internationalisation des groupes est en effet positive quand elle se traduit par le renforcement de la base arrière sur le territoire national. Elle est favorable lorsque qu’elle renforce leur niche écologique, composée de partenaires industriels spécifiques, de sociétés de services, d’infrastructures locales. Cela passe aussi par une politique déterminée de redynamisation du tissu entrepreneurial français.
Merci de votre attention.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, cher Laurent Faibis. Voilà un magnifique programme dont je regrette que certains ne se soient pas inspirés. Il serait en effet très stimulant pour le pays de se voir offrir une telle perspective de réindustrialisation construite à partir de la base mais aussi du sommet.

Je me tourne tout de suite vers Michel Volle. Cet économiste original va développer ses thèses aussi décoiffantes qu’intéressantes.
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Le cahier imprimé du colloque "Radiographie des entreprises françaises" est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

Fondation Res Publica I Vendredi 29 Juillet 2011 I | Lu 185 fois

Informatisation et compétitivité

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Intervention de Michel Volle, économiste, au colloque "Radiographie des entreprises françaises" du 4 avril 2011

Informatisation et compétitivité

Michel Volle

Pour comprendre ce qui se passe en ce moment il est utile de prendre l’histoire comme tremplin et de revenir sur les débuts de l’industrialisation.

Les Physiocrates voyaient dans l’agriculture la seule source de richesse. Vers 1775, le système productif, jusque-là dominé par l’agriculture, a basculé d’abord en Grande-Bretagne avec le début de l’industrialisation. Étymologiquement, qui dit « industrie » dit habileté, savoir-faire, ingéniosité dans l'action productive : cette étymologie apparaît bien dans l'adjectif « ingénieux ». Or, à ce moment-là l’habileté consistait à développer la mécanisation des entreprises et la chimisation qui l’accompagne. À la charnière entre le XIXème et le XXème siècle, l’énergie s’est ajoutée à la synergie entre la mécanique et la chimie avec l’électricité et le pétrole. On a là les trois grands thèmes de la synergie qui ont défini le système technique que l’on qualifie d’industriel en spécialisant peut-être ce mot à l’excès.
C’est donc en Grande-Bretagne, en 1775, que démarre le mouvement - qu’on a appelé l’industrialisation mais qui résulte en fait de la synergie entre la mécanique, la chimie et l’énergie - qui a bouleversé le pouvoir relatif des nations et la géopolitique.

La Chine était au XVIIème siècle le pays le plus développé, le plus riche, le plus prospère, et elle a fait l’admiration des missionnaires jésuites : le paysan chinois était alors beaucoup plus à l’aise que le paysan français. La dynastie mandchoue, voulant figer la société chinoise qu'elle jugeait parfaite, a refusé l’industrialisation : deux siècles plus tard, la Chine a été colonisée dans ses franges par des puissances européennes qui s’y sont taillé des tranches succulentes pour faire leurs affaires et s’enrichir.
Les pays qui ne se sont qui ne se sont pas industrialisés sont ainsi passés au second rang, ils ont perdu le droit à la parole dans le concert des nations, le droit d’exprimer leurs valeurs et leur culture, ils ont été colonisés et dominés par les pays industrialisés.

Entre les pays industrialisés eux-mêmes une concurrence féroce s'est développée : il leur fallait en effet préserver des débouchés et des approvisionnements. Des guerres épouvantables les ont déchirés au XIXème et au XXème siècle.

Caulaincourt, dans ses mémoires, cite Napoléon qui lui confiait que sa priorité était d’industrialiser l’Europe : le blocus continental avait pour but d'arracher à la Grande-Bretagne le monopole de la production industrielle. Trente ans après le démarrage de l’industrialisation, Napoléon était donc conscient de l’enjeu. Sommes-nous conscients de l’enjeu aujourd’hui ?

Notons que la théorie économique (Adam Smith 1776, « La richesse des nations » (1)) est née avec l'économie mécanisée, chimisée : le modèle économique qui s'est imprimé dans notre intellect reste calqué sur ce système technique, pour notre malheur, peut-être, aujourd’hui.

Dans la décennie 1970, deux cents ans après le démarrage de l’industrialisation, un nouveau changement de système technique intervient. Ce qui est décisif, ce qui est moteur, le ressort de l’industrialisation, ce n’est plus la synergie entre la mécanique, la chimie et l’énergie mais la synergie entre la micro-électronique, le logiciel et les réseaux. Le pivot de l'économie a changé.

La mécanisation avait fait émerger dans le système productif l’alliage entre la main de l’homme et la machine : la machine prenait à sa charge l’effort physique de la production. L’homme était au service de la machine pour lui permettre de dégager sa productivité. Nous avons tous en tête l'image de l’entreprise mécanisée de naguère, le travail à la chaîne etc.

Dans l’entreprise informatisée l’ensemble des ordinateurs forme un gigantesque automate, unique (étant en réseau il communique avec lui-même), ubiquitaire car accessible de partout (ordinateurs, téléphone mobile…). Un nouvel alliage se met en place entre cet automate ubiquitaire et le cerveau humain. L’informatique coopère avec le cerveau humain dans le travail productif, comme la machine coopérait avec la musculature. Cela modifie profondément l’organisation du système productif et la façon dont s’établit la concurrence sur les marchés.

Tout artefact (route, maison…) change la nature : les artefacts deviennent des êtres réels qui s’offrent à notre action tout comme les êtres naturels. Avec le réseau on a unifié le monde. On peut dire que la mondialisation en est une conséquence physique presque inéluctable car le monde se présente comme une place de marché, une place d’action unifiée pour des acteurs qui se déplacent avec, dans leur poche, un téléphone mobile qui leur donne accès à la ressource informatique, à l’automate universel, depuis n’importe quel point. Nos cerveaux vivent dans un espace où la distance géographique a été supprimée, un espace qui redouble en quelque sorte l’espace géographique dans lequel se meuvent nos corps.
Cette ubiquité se manifeste aussi sur le plan physique et géographique. En effet, l’automatisation de la gestion des containers a pratiquement annulé le coût du transport des biens non pondéreux (textile, horlogerie, informatique etc.).

On assiste donc à une double mondialisation provoquée par l’informatique : une mondialisation mentale du travail avec la suppression de la distance grâce au réseau, mondialisation physique grâce à l’annulation du coût du transport.

Observons que l'industrialisation n'a pas supprimé l’agriculture, mais celle-ci s’est industrialisée. Au début du XIXème siècle les deux tiers de la force de travail étaient nécessaires pour alimenter la totalité de la population française. Aujourd’hui, la population active agricole représente 3% ou 4% de la population active totale et nous sommes amplement nourris (peut-être même trop) : la mécanisation et la chimisation de l’agriculture lui ont procuré une productivité formidable.

Aujourd’hui l’informatisation ne supprime évidemment ni la mécanique ni la chimie, mais elle les transforme de l’intérieur : elle les informatise. La plupart des grands incidents industriels sont les incidents informatiques : le projet de l’Airbus A 380 a été retardé parce que les Allemands et les Français n’utilisaient pas la même version du logiciel pour le plan de câblage, et lors de l’assemblage on s’est rendu compte qu’il manquait quelques centimètres sur tous les câbles. De même, l’avion de transport militaire A 400 M a pris un retard considérable : ses moteurs, très innovants, sont au point mais on n’arrive pas à mettre au point dans les délais le logiciel qui doit les commander. Quand une fusée Ariane explose en vol, l’accident est dû à un « bug » dans le logiciel qui a malencontreusement mis en panne une pompe … La plupart des grands incidents qui se produisent actuellement dans nos entreprises industrielles viennent de la partie logicielle, informatique, qui est devenue essentielle dans la conception des produits et dans les produits eux-mêmes.

Aujourd’hui, on conçoit une automobile ou un avion par simulation en trois dimensions sur ordinateur. On peut simuler les réactions d’un avion en vol, son comportement aérodynamique. Le pilote d’essai d’autrefois, ce héros qui faisait décoller un coucou dont on ne savait pas trop comment il allait se comporter, n'existe plus. Le côté héroïque du premier décollage a disparu car, même s’il reste des réglages à affiner, on a pu simuler à l’avance, par informatique, le comportement de l’avion en vol. De même l’essentiel de la conception d’une automobile passe par une simulation. Les voitures n’en sont pas plus belles, mais elles sont indiscutablement plus efficaces. Le freinage est assisté par ordinateur (système ABS), l’alimentation du moteur est informatisée, cela permet une économie d’essence et une meilleure reprise : ce qu’on appelait autrefois l’avance à l’allumage est aujourd’hui informatisé etc.

Donc le monde a changé, la nature a changé si l'on accepte d’appeler « nature » non seulement la nature physique, mais la nature technique, la nature humaine, la nature sociologique. Il en est résulté pour les entreprises un changement brutal de la structure de l’emploi et de la nature des produits. Les salariés d’une entreprise travaillent en permanence devant un ordinateur, à moins qu’ils ne soient en réunion. L’essentiel du temps de travail des personnes se passe devant l’écran-clavier, dans l’espace mental que structure un système d’information. Lorsque le système d’information est défectueux, ce qui est souvent le cas, les cerveaux sont mis à la torture un peu comme les pieds souffrent de brodequins malencontreux.
Un exemple : chaque bimestre, votre opérateur téléphonique vous envoie une facture pour le téléphone mobile, une pour le téléphone fixe, une troisième pour votre faisceau de lignes sur le PABX, et encore une facture pour votre liaison louée si vous avez plusieurs établissements… En fait cet opérateur ne vous connaît pas car pour des raisons culturelles, historiques, son système d’information n’identifie pas le client, l’entreprise ni le ménage, il identifie la ligne. Cet opérateur a privilégié dans son système d’information sa propre technique, ses propres équipements, par rapport à la connaissance du client. Il n’est pas étonnant que les relations client/opérateur soient souvent difficiles...

Les banques ont eu le même problème puisqu’avec le RIB elles n’identifiaient que les comptes. Le passage de la connaissance du compte à la connaissance du client (qui peut avoir plusieurs comptes) leur a coûté très cher parce qu’elles ont dû rebâtir leur système d’information depuis ses fondations. Elles l’ont fait puisque sur le web, quand on a plusieurs comptes, on trouve les divers comptes que l’on a, mais ça leur a demandé un effort colossal.
Le système d’information est à la base de la logique de l’entreprise, c’est la première manifestation de sa stratégie. Si un dirigeant veut orienter l’entreprise vers une nouvelle stratégie, il doit introduire dans le système d’information le concept et le vocabulaire qui désigneront le nouveau segment de clientèle, la nouvelle famille de produits ou la nouvelle technique à mettre en œuvre. Actuellement, les usines sont presque entièrement automatisées. « Comment c’est fait ? » , excellente émission de Discovery Channel, montre la fabrication des stylos à billes, des plaques de verre etc. par des automates. Leur conception, leur programmation est très onéreuse : ces automates sont souvent des machines qui, faites à la pièce, coûtent le prix d’un prototype.

Il résulte de cette évolution que l’emploi, utilisé massivement dans la production physique et répétitive par l’industrie mécanisée et chimisée de naguère, a pratiquement disparu. Grâce à l’informatisation, on ne rencontre plus dans les usines que des équipes de maintenance qui passent parmi les automates pour effectuer des réglages tandis que des superviseurs, derrière des écrans, s’assurent que le processus productif tourne bien. Seul l’emballage, très souvent, reste fait à la main. L’emploi est aujourd’hui dans la tâche qu’est devenue la conception des programmes informatiques et des automates. C’est un très gros travail, réalisé par des équipes de recherche.

Une autre source d’emploi est la relation avec les clients. Presque tous les produits sont devenus des assemblages de biens et de services. Je n’utilise pas ici le mot « services » dans le sens que critiquait M. Faibis tout à l’heure. Par exemple avec une automobile on achète le conseil du vendeur, le service financier (la DIAC rapporte plus à Renault que les voitures), la garantie pièces et main d’œuvre, le réseau de concessionnaires. Une voiture sans service ou avec un service de mauvais aloi (un chef d’atelier désagréable) ne se vend pas. Le produit physique automobile est ainsi lui-même entouré d’un nuage de services dont la cohésion est assurée par un système d’information. Entre les concessionnaires et le constructeur automobile, le système d’information permet de se réapprovisionner en pièces détachées ; des logiciels vérifient l’état de la voiture, laquelle, fortement informatisée, est devenue une espèce de boîte noire à laquelle plus personne – et surtout pas l’utilisateur - ne comprend rien. Le constructeur automobile lui-même produit ses véhicules avec un réseau de partenaires qui lui fournissent des pièces détachées, de la peinture. À côté des ateliers dans lesquels des automates peignent les voitures, la peinture, de diverses couleurs, est stockée dans de grands silos où une jauge, associée à un ordinateur, avertit automatiquement le fournisseur quand le niveau est trop bas. La livraison effectuée, la facturation et le paiement se font eux aussi automatiquement. Le fonctionnement de ce système, qu’il s’agisse du réseau des concessionnaires, de la relation avec les fournisseurs, du paiement des fournitures, de la facturation, de la transaction etc. est totalement informatisé.

Le problème est que cette transformation des produits en assemblage de biens et de services n’est en général pas bien comprise par nos entreprises. En économie, en comptabilité nationale, le mot « production » désigne les biens et les services. Les services sont donc des produits ou des composantes dans les produits. Le langage courant, et même l’AFNOR, distinguent par contre les produits et les services. Les produits sont les biens matériels, tandis que le mot « services » semble désigner quelque chose de vaporeux, d’inexistant. En tout cas, ce n’est pas de la production. Encore actuellement, dans l’imaginaire de beaucoup d’entreprises, le fait que les produits sont devenus des assemblages de biens et de services, que les services sont une composante nécessaire du produit, n’est pas reconnu. Il en résulte un grave sous-emploi et une grande inefficacité. Une conception chosiste des produits, encore très répandue, fait que les entreprises renâclent à faire des services, nuit à leur efficacité et compromet leur situation économique.

Il y aurait, dans l’économie informatisée et automatisée de quoi compenser la perte d’emplois que provoque l’automatisation en développant ces assemblages de biens et de services.
Rien n’est plus précieux pour une entreprise que le contact direct avec un client. Elle y apprend énormément de choses car l’organisation n’a jamais pu tout prévoir. On peut régler des tas de problèmes à chaud dans la relation avec un client. Or, beaucoup de nos entreprises sous-traitent cette relation ! Elles délocalisent les centres d’appel etc. Du point de vue de la logique d’entreprise, délocaliser un centre d’appel dans un pays qui n’a pas les mêmes usages, la même conception des choses, a quelque chose de délirant.
Certaines entreprises y sont attentives. Les directeurs d’une entreprise de télécom que je connais, ces messieurs de la hiérarchie eux-mêmes, vont, de temps en temps, pendant une semaine, coiffer le micro-casque dans le centre d’appel. Les mêmes vont passer une semaine dans une agence commerciale, prennent des abonnements, examinent les réclamations des clients, refont les contrats etc. Ce sont là des attitudes de véritable entrepreneur.
Une autre entreprise de télécom a par contre complètement sous-traité la relation avec les clients, et dans des conditions qui tiennent plus de l’esclavage que du partenariat. En cas de panne, le client voit donc arriver un sous-traitant excédé qui dénigre l’entreprise donneur d’ordre ! Cette entreprise rate ainsi l’essentiel de la relation avec le client.
En étudiant les systèmes d’information, j’ai observé que nos entreprises s’informatisent à reculons, comme poussées par la main de l’innovation. Or, quand on recul on ne progresse pas vite et on bute sur tous les obstacles ! C’est pourquoi elles font énormément d’erreurs.
Les personnages-clés, dans l’entreprise sont ceux qui se situent aux points de contact avec la « nature ».
L’entreprise est un être organisé plongé dans le marché. Elle est en contact avec la nature du point de vue de ses approvisionnements en matières premières et des techniques qu’elle utilise. Elle transforme le monde naturel en fabriquant, selon un processus planifié, organisé, qui n’a rien de marchand, des produits qu’elle va injecter dans la nature. L’autre point de contact avec la nature est la relation avec le client : celui-ci exprime, dans un langage qui n’est pas celui de l’entreprise, des priorités qui ne sont pas celles de l’entreprise et il veut être servi et satisfait. Le but de l’économie est bien de servir le consommateur, rien d’autre. La stratégie de l’entreprise, son positionnement, se jouent actuellement sur ces deux points. Elle se positionne par rapport à la nature par ses choix techniques et les choix de ses produits, et par rapport aux segments de marché.

Le quart des projets de systèmes d’information n’aboutissent jamais en dépit d’investissements importants. La moitié d’entre eux aboutissent moyennant un délai et un budget multipliés par trois. (MacNamara disait : « Quand les informaticiens me donnent leurs prévisions, je multiplie par π »). Le quart des projets aboutissent convenablement dans les délais et dans le budget. On ne tolèrerait une telle statistique dans aucun autre domaine de l’ingénierie. Ni dans l’architecture, ni dans la construction des Ponts et chaussées on n’admettrait cela.

Beaucoup de dirigeants considèrent l’informatique comme un centre de coût. Nombre de directeurs de systèmes d’information se voient donner comme unique mission de « faire des économies » ! C’est ainsi qu’on passe à côté des priorités et de la spécificité de l’informatisation.
Il faut dire que l’informatique apporte énormément de possibilités mais aussi beaucoup de risques. L’automate n’est pas infaillible. Les meilleurs logiciels, les mieux vérifiés (ceux de la Nasa qui servent pour les sondes spatiales et ont coûté des milliards), comportent en moyenne un défaut pour chaque dizaine de milliers de lignes de code source. On a beau faire toutes les vérifications possibles, ce taux est incompressible. Puis les réseaux se coupent, les machines tombent en panne, les ordinateurs chauffent, toutes sortes de raisons font que l’informatique connaît des incidents.

De plus, le secret de l'informatisation réussie ne réside pas seulement dans l’automate : il dépend aussi de la façon dont les êtres humains l’utilisent, de la qualité de l’alliage entre le cerveau humain et l’automate. C’est là que tout se joue. Les être humains sont plus intelligents que l’ordinateur, car ils sont capables de comprendre et de décider, mais ils sont étourdis, ils se fatiguent … et ils « se comportent ». Si l’entreprise ne met pas en place des supervisions qui permettent de contrôler l'usage de l’informatique, des catastrophes se produisent. On peut expliquer celles qui affectent le monde de la finance par une informatisation mal maîtrisée. Certains de mes étudiants, revenant de stage dans une grande banque s’étonnent : « Avec les habilitations qu’on m’avait données, j’aurais pu tout copier sur mon disque dur. Aujourd’hui que mon stage est terminé, j’ai toujours ces habilitations et je pourrais rentrer chez eux comme je veux ! »

Les entreprises sont trop insouciantes par rapport à la supervision de l’automate et aux dangers qu’il peut présenter. C’est un des problèmes des centrales nucléaires : comment doser la part de ce qu’on informatise et la part de ce qu’on fait piloter par l’opérateur.

Il faut ajouter un problème macro-économique massif : les possibilités qu’ouvre l’informatisation ont été très vite et intelligemment utilisées par la criminalité. Des pays se sont fait une spécialité rémunératrice du blanchiment et de la fraude fiscale. On parle beaucoup des paradis fiscaux, mais la fraude fiscale est insignifiante par rapport au phénomène que représente le blanchiment. Il est facile de blanchir de l’argent liquide, gagné soit par la corruption soit par le crime (réseaux de prostitution et/ou racket). Grâce à un petit programme informatique, on fait passer cet argent par une banque complice de la City de Londres, de l’Île de Man, des Caraïbes ou du Luxembourg. On déclenche des virements par petites sommes qui vont passer d’un compte à l’autre et grimper jusqu’à une banque de plus en plus respectable, et ensuite on peut acheter des entreprises légales. Les mafieux de la Camorra de Naples, qui rêvent, pour leurs fils et neveux d’une vie respectable et moins dangereuse que la leur, s’installent en Écosse. En achetant des entreprises légales, ils participent au développement de l’Écosse … et les Écossais sont ravis de voir arriver l’argent des mafieux de Naples dans des entreprises légales qui créent des emplois et qui sont très compétitives car elles n’ont jamais de problème de trésorerie ! Des pays entiers sont tombés dans la main de prédateurs : une bonne partie de l’ancienne zone d’influence des Soviétiques est tombée dans les mains de criminels de grande échelle.

On peut se demander si, avec ce système-là, la concurrence pure et parfaite dont Bruxelles fait chaque jour l’apologie n’est pas en train de paver la voie pour que des prédateurs s’emparent de la totalité de l’économie. Ils sont en position de force grâce au blanchiment qui leur permet de recycler l’argent gagné de façon illicite dans l’économie légale. Entre ingénieurs, nous nous interrogeons : notre destin de bons petits ingénieurs bien formés, polytechniciens et autres, va-t-il être de nous mettre au service de ces gens-là ? Est-ce le sort du système productif et des ingénieurs que forment nos belles grandes écoles ?

Napoléon avait bien compris que l’industrialisation était la clef, nos politiques ont-ils compris que l’informatisation est la clef ? Pas du tout.

Je côtoie, à l’Institut Montaigne, dans un groupe de travail qui prépare un rapport sur l’informatisation, un des conseillers proches de François Hollande. Lorsque je lui suggère d’expliquer l’importance de l’informatisation à ce candidat potentiel à la candidature présidentielle, il répond que celui-ci a autre chose en tête…
Qu’ont-ils donc en tête ? Gagner les élections, c’est tout. Le politique est aveugle à la transformation du système technique. Napoléon avait compris, dès 1810, ce qui s’était passé en 1775. Nous sommes en 2011 et nous n’avons toujours pas compris ce qui s’est passé en 1975 !

Quand le système productif change, la nature des produits, la nature de la concurrence changent. Face aux risques que cela comporte, face aux opportunités qui s'offrent, il serait temps que le politique en prenne conscience.

 

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Monsieur Volle, vous nous avez découvert des perspectives fort intéressantes. Je connais cependant peu de pays où les politiques ne veulent pas gagner les élections … sauf les pays où il n’y a pas d’élections ! Mais il y a des pays, me semble-t-il, où cette révolution technique a été prise en compte. Je pense à certains pays de l’Asie orientale ; je pense par exemple à la Corée où le nombre de jeunes qui poussent leurs études jusqu’à un diplôme de l’enseignement supérieur équivalent à Bac+3 atteint un niveau de 45% à 50%, quasiment deux fois plus que chez nous. Donc ces gens-là ont quand même bien réalisé ce qu’étaient les enjeux du monde contemporain.

Michel Volle

C’est juste. Les dirigeants politiques chinois, par exemple, sont majoritairement des ingénieurs. Ils n’ont pas fait l’ENA.

Jean-Pierre Chevènement

Nul n’est parfait ! Le problème serait de savoir à quel moment la France a vraiment poussé en avant les ingénieurs. Peut-être au début du XIXème siècle ?

Michel Volle

Laurent Faibis rappelait tout à l’heure que les entreprises fortes se sont créées dans les années 1950, lorsque cette population spéciale, formée au droit administratif et à la connaissance du système politique, qui fleurit dans les cabinets ministériels, n’avait pas encore pris le pouvoir sur l’économie française.

Jean-Pierre Chevènement

C’est une piste de recherche. J’observe que certaines grandes écoles d’ingénieurs ne forment plus depuis longtemps de cadres pour l’industrie.

Nous allons maintenant passer à un troisième volet, une troisième intervention de Jean-Luc Gréau : « Pour un actionnariat stratégique au niveau des entreprises ».

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1/ An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, Adam Smith 1776
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Le cahier imprimé du colloque "Radiographie des entreprises françaises" est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

Fondation Res Publica I Vendredi 29 Juillet 2011 I | Lu 137 fois

VOIR AUSSI : ENTREPRISES

Pour un actionnariat stratégique au niveau des entreprises

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Intervention de Jean-Luc Gréau, économiste, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque "Radiographie des entreprises françaises" du 4 avril 2011

Pour un actionnariat stratégique au niveau des entreprises

Jean-Luc Gréau

Après les propos hautement économiques et patriotiques de Laurent Faibis, après les propos hautement pédagogiques et éthiques de Michel Volle, je vais tenir des propos trivialement capitalistiques. Je vais être d’ailleurs assez bref puisque, en substance, ce que je vais vous dire est formulé dans le livre qui vous a été proposé tout à l’heure (1), livre qui, effectivement, éclaire beaucoup de choses.

Une grande énigme domine l’expérience récente du néolibéralisme. Cette expérience devait remettre au premier plan le capital en lieu et place du crédit. C’est l’un des grands fondements de la révolution économique qu’on a voulu faire à partir de 75-80 (un moment charnière). Au contraire, nous avons vécu le triomphe du système de crédit à l’anglo-américaine, que certains pays ont recopié, en même temps qu’un désintérêt vis-à-vis de la question capitalistique proprement dite. Car cet aspect n’est absolument pas illustré par le phénomène de la shareholder value, création de valeur pour l’actionnaire, qui est au contraire un phénomène de décapitalisation des entreprises. C’est, pour moi, peut-être la plus grande énigme de cette période (je renvoie au chapitre intitulé « Renaissance du capital ou triomphe du crédit ? » (2), dans mon dernier livre). On a assisté au triomphe du crédit à la consommation, c’est-à-dire à la simulation désordonnée de l’économie en aval par opposition à l’économie en amont qu’est la production.

Laurent Faibis m’a pavé le chemin en distinguant deux zones euro, la zone euro du nord, qui est compétitive et la zone euro du sud qui ne l’est pas.
La zone euro du nord est capitalistique. Elle comprend l’Allemagne, les Pays-Bas, la Scandinavie et l’Italie du nord (on pourrait ajouter la Suisse, dans le continuum) : ce sont des pays d’entreprises et de capital. Il faudra bien sûr s’entendre sur le mot de « capital ».
La zone euro du sud est beaucoup moins entrepreneuriale et beaucoup moins capitalistique – je parle surtout de la France -.
Avant d’aborder le fond du sujet, je rebondis encore une fois sur le propos initial de Laurent Faibis : Les entreprises et les pouvoirs publics français ont actuellement un double défi à relever.

Premier défi : Comment sortir de la crise ?

Les chiffres sont révélateurs. Même l’Allemagne, qui a le mieux rebondi dans l’espace occidental, se trouve aujourd’hui tout juste à son échelon de production de la veille de la crise. Nous-mêmes subissons un handicap relativement important dans le secteur industriel.
Comment faire pour retrouver un niveau d’activité, et surtout un niveau d’investissement et d’embauche, dignes de ce nom ? Entre 2009 et 2010, l’investissement productif des entreprises françaises a baissé de 24%, à partir d’un niveau relativement moyen (22% en 2009, 2% en 2010). L’investissement productif des entreprises représente l’une des trois composantes de ce qu’on appelle la formation brute de capital fixe, le reste étant représenté par les investissements publics dans les infrastructures et par la construction résidentielle de logements pour le compte des particuliers. Comment allons-nous faire pour retrouver une certaine stabilité et sortir de l’état de « vrille » où nous sommes tombés ?

Deuxième défi : comment affronter la volonté de domination allemande ?

L’Allemagne a pratiqué délibérément depuis des années une politique tendant à tout jouer sur sa compétitivité, non seulement en Europe mais vis-à-vis du reste du monde. Elle a réduit ses coûts salariaux, aujourd’hui inférieurs à sa productivité et à la qualité de son travail. L’Allemand est sous-payé. La conséquence en est que la consommation allemande est, en termes relatifs, l’une des plus faibles du monde occidental : dans la dernière décennie, si on met à part les dépenses de santé, la consommation allemande a baissé. Mais, en même temps, l’Allemagne s’est arrogé une compétitivité qui lui permet aujourd’hui de faire la leçon au reste de l’Europe … si bien que notre Président de la République a cru devoir emboîter le pas de la chancelière allemande  quand celle-ci a proposé un pacte dit de compétitivité! Une question toute simple se pose à nous : la France doit-elle devenir - ce que certains Allemands espèrent in petto - une économie accompagnatrice, une économie sous-traitante de l’économie allemande ? Notre devoir est aussi d’empêcher cette occurrence.

La France pâtit de sa faiblesse capitalistique.

Je donnerai trois contre-exemples pour illustrer cette proposition.
La résurgence de l’Allemagne est d’abord celle d’une économie capitalistique, centrée sur le Mittelstand, mais aussi appuyée sur tous ces capitaux qui s’orientent vers les entreprises pour soutenir leur développement et enfin l’autofinancement des entreprises à partir de leurs profits.
La réussite de la high tech américaine n’est pas un simple effet de la propagande des médias. Elle a été initiée par les business angels (très anciens aux États-Unis) qui, non seulement prennent part au capital d’une start up (dans la high tech ou ailleurs), mais conseillent le créateur d’entreprise pour l’aider à recruter les hommes et les femmes de qualité qui vont mettre en place le modèle d’expansion de l’entreprise.
Enfin la Chine - dont on ne dit pas assez qu’elle a inventé une forme de colbertisme propre - est de loin le grand concurrent mondial qui s’appuie sur le potentiel capitalistique de l’Etat. On évalue à près de 130% du PIB le montant des participations détenues par l’État dans les banques et dans les entreprises. À titre de comparaison, on évalue les participations directes et indirectes de la très étatiste France, qui vient en deuxième position, à 28% du PIB. Il y a donc une énorme implication de l’État sous une forme financière et capitalistique au sein des entreprises. La société créée pour lancer un concurrent de l’Airbus A320 et du Boeing 737 est entièrement à capitaux d’État. Ni l’Europe, ni les États-Unis, ni l’OMC n’y ont vu une atteinte quelconque à la libre concurrence alors qu’un différend indescriptible oppose Boeing et Airbus au sujet des aides attribuées à ces deux constructeurs. Autre exemple : alors que l’accident de Fukushima retient l’attention, la Chine vient de prendre la décision de lancer un programme de cinquante réacteurs nucléaires. Non seulement l’État finance l’essentiel de l’effort mais les Chinois sont en train de bâtir une nouvelle filière nucléaire - dite « graphite-gaz » par opposition à la filière à eau pressurisée - que ni les Allemands, ni les Américains, ni les Français n’ont réussi à mettre au point. Il semblerait, aux dernières nouvelles, que les Chinois ne soient pas très loin d’aboutir. Si c’était le cas, ce type de réacteur, plus sûr que le réacteur à eau pressurisée, leur donnerait un avantage comparatif considérable. Mais l’État est complètement impliqué dans ce projet !

Quel est le rôle du capital au sens propre, au sens restreint du terme ?

Selon Adam Smith, Ricardo ou Marx (Marx reprend la conception de Ricardo en inversant l’ordre des facteurs), la notion est extensive : pour les deux derniers nommés, tout ce qui est engagé directement dans la production ou indirectement, comme ce qui est nécessaire à la subsistance des travailleurs et de leurs familles, constitue du capital. La notion de capital telle que je la retiens et l’applique consiste en la détention des actions ou des parts d’une entreprise, d’une société créée en vue d’un objectif économique déterminé.

Ce capital n’a pas seulement un but « prédateur » (pour prendre un terme cher à Michel Volle), il est là comme le tuteur sur lequel une plante s’appuie pour s’élever dans les airs et se développer. Il apporte des ressources en quantité nécessaire mais, dans la durée, le financement d’une entreprise doit surtout s’appuyer sur sa capacité de profit. Néanmoins, lorsqu’elle se lance, lorsqu’elle doit accélérer son rythme de développement ou éponger des pertes, l’entreprise a besoin d’un apport d’argent frais, d’un apport de capital de l’extérieur.

J’insiste sur le rôle de partenaire stratégique. Les pays les plus résistants, les plus solides dans le concert de la concurrence mondiale sont actuellement ceux où le capital est accroché, attaché à l’entreprise, au lieu d’intervenir dans un but opportuniste. L’Allemagne en est, à quelques exceptions près, un exemple : le Mittelstand, capitalisme principalement familial, est extrêmement développé et les détenteurs de fonds locaux travaillent dans le même esprit que le capital familial. Ils sont évidemment inscrits dans la très longue durée : 30, 50, 100 ans.

 

Le capital, partenaire stratégique de l’entreprise, doit exercer deux pouvoirs.


1°) Un pouvoir interne sur les dirigeants.
Les actionnaires de marché exercent leur pouvoir de très loin. Leur surveillance s’exerce avec une longue-vue, ce qui leur permet de ressasser leurs exigences de rentabilité, de réduction des coûts, d’accroissement de la productivité et d’ouverture vers de nouveaux marchés. Mais ces antiennes ne s’appuient pas sur une vision du fonctionnement de l’entreprise, dont Michel Volle a souligné avec juste raison qu’il était essentiel.
2°) Un pouvoir externe de protection.
Le capital doit protéger l’entreprise contre les prédateurs, les raiders qui font des razzias sur les entreprises. Nous avons tous en tête l'OPA d'Alcan sur Péchiney et le raid de Mittal sur Arcelor mais nombreuses sont, à travers le monde, les entreprises qui ont été accaparées par des raiders venus de l’extérieur. La doctrine de la concurrence telle que nous la connaissons inclut la possibilité pour les raiders d’opérer par l’intermédiaire du marché des actions. Sur ce marché, un raider venu de l’extérieur propose aux actionnaires de racheter leur participation à un prix bien plus élevé que le prix du marché, auquel cas le contrôle du capital et le pouvoir dans l’entreprise lui sont transférés par les vendeurs bénéficiaires de l’opération. C’est ce qui s’est passé avec Péchiney et avec Arcelor. L’entreprise la plus compétitive, Arcelor, a été contrôlée pat Mittal. Péchiney a été contrôlée par Alcan, pourtant en déficit au moment du raid et subventionné par le gouvernement canadien. Monsieur Mario Monti n’y a pas vu d’obstacle ! Ce pouvoir externe de protection contre les prédateurs est essentiel, surtout dans le monde où nous vivons. Il aurait été bien moindre il y a un siècle ou deux, au moment où ce qu’on appelle le capitalisme s’est lancé. Aujourd’hui, les mœurs financières sont telles qu’on peut lancer des raids massifs sur des entreprises qui tiennent le haut du pavé sur leur marché de référence.

Le leurre de la démocratie actionnariale.

Un leurre juridique empêche de comprendre la question du capital dans l’entreprise. Les codes du commerce posent le principe axiomatique d’une égalité des actionnaires. Une action, une voix, un droit de vote. Par conséquent on traite exactement de la même manière l’actionnaire qui vient prendre des parts ou des actions pour des raisons purement financières et celui qui, au contraire, entre dans l’entreprise pour l’accompagner dans sa stratégie et dans sa politique. Il n’y a donc pas de démocratie actionnariale. Il y a deux catégories d’actionnaires qu’il faut bien distinguer : l’actionnaire opportuniste (sans connotation péjorative) et l’actionnaire qui, au contraire, a décidé de jouer le jeu de la pérennité et du développement de l’entreprise. Or nos codes du commerce, en particulier en France, imposent un traitement égalitaire des actionnaires qui empêche de faire apparaître cet actionnariat stratégique.
C’est pourquoi je propose, contre l’avis majoritaire et depuis de longues années déjà, de distinguer juridiquement les deux catégories d’actionnaires pour leur appliquer un traitement différencié.
Premièrement, l’actionnaire qui serait là uniquement pour participer au capital et aux fruits de l’exploitation de l’entreprise, avec le droit de sortir du capital de l’entreprise à tout instant, n’aurait pas de droit de vote (ou des droits de vote simples).
Deuxièmement, le véritable actionnaire capitalistique, attaché à l’entreprise dont il accepte la stratégie, exercerait des droits de vote décisifs pour désigner, contrôler les dirigeants et décider de leur remplacement éventuel. Il est des moments dans la vie d’une entreprise où le remplacement des dirigeants est vital. Or, dans le système d’actionnariat de marché, les dirigeants en place tendent à se renouveler par relations personnelles : on va chercher un ami, un favori pour succéder au président en place.
Ce distinguo des actionnaires, qu’il est absolument nécessaire d’introduire dans la loi, pourrait être complété par ce que j’appelle la généralisation du régime dual.

Nous avons deux régimes de conseil de direction des entreprises : le conseil d’administration, autour du PDG, qui est le plus répandu et le régime dual qui prévoit un conseil de surveillance, où sont représentés les actionnaires et un directoire où sont installés les membres du noyau dirigeant de l’entreprise (le management). C’est le cas, en France, chez PSA et chez Schneider.
Il y a plus de trente ans de cela (j’étais, à cette époque, un suppôt du petit, du moyen et du grand capital) le législateur français a toiletté la fameuse loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales incluse dans le code de commerce. Son intention était de pousser les entreprises françaises importantes à adopter le régime dual qui distingue formellement les actionnaires des managers. Un certain nombre d’entreprises l’ont fait mais la plupart d’entre elles ont rebroussé chemin. En effet, les dirigeants se sont aperçus que ce régime instaurait une vraie gouvernance, un véritable contrôle par les actionnaires.
Ce régime dual devrait être généralisé à toutes les entreprises importantes dépassant un certain effectif de personnel, cotées ou non.

 

Revenir à la règle du non-rachat des actions par l’entreprise.

Une décision particulièrement malencontreuse a été prise en 1998 par le ministre de l’économie et des finances : la possibilité de racheter les actions de l’entreprise par l’entreprise elle-même. Cette décision a été introduite dans notre code de commerce. Outre que la plupart des codes de commerce européens ne connaissaient pas ce régime, c’est une anomalie dans ce sens que les actions rachetées par l’entreprise ne servent plus à rien, elles sont inscrites sur une ligne et neutralisées une fois pour toutes. Ce rachat coûte le plus souvent cher à l’entreprise. Il décapitalise l’entreprise et engraisse ces actionnaires qui refusent précisément d’assumer à long terme les vrais risques de l’entreprise.

Une entreprise américaine, le plus grand laboratoire pharmaceutique du monde, a illustré récemment les effets de ce régime. Pfizer a vu tomber dans le domaine public l’un de ses médicaments à grand succès. Elle a donc perdu les profits correspondants. Le bénéfice par action en a été réduit d’environ 10%. Ian Read, le nouveau patron de l’entreprise, a pris la décision lourde de fermer le centre de recherche de Sandwich, en Angleterre. Ce centre, qui a tout de même inventé cinq des vingt médicaments les plus vendus dans le monde par le groupe, dont le fameux Viagra, employait 2400 salariés. Il a fait une économie sur l’exercice de 1,5 milliard de dollars et a procédé, dans la foulée, à un rachat d’actions à hauteur de 5 milliards de dollars ! Nous voyons là s’exprimer cette prédation des actionnaires sur les entreprises qui est surtout anglo-américaine mais qui nous a assez largement contaminés. Certains de nos grands groupes la pratiquent.

La troisième mesure que je propose est donc de revenir à la bonne règle, prudentielle du double point de vue comptable et financier, de non-rachat des actions émises par l’entreprise.
Ça, c’est le problème capitalistique proprement dit. Il faut agir de façon tout à fait décisive sur les règles du code du commerce.

Je pense même que si la France, transgressant les règles de la concurrence et la libre circulation des capitaux, inventait un modèle, une esquisse d’un « capitalisme à la française », selon les règles que j’indique, elle pourrait faire école.

Dégager de nouvelles ressources financières

Cette nécessité passe par la création d’une banque nationale d’investissement, nous dit Martine Aubry, candidate à la candidature au Parti socialiste … ignorant que nous l’avons ! Le Président de la République en exercice a en effet décidé de réactiver les moyens de la Caisse des dépôts et consignations et du Fonds stratégique d’investissement qui est aujourd’hui partie prenante dans de nombreuses entreprises françaises (Eiffage, l’entreprise de BTP, ACCOR, l’hôtelier, Nexans, deuxième producteur de câbles électriques dans le monde, Yoplait, La Banque postale…). À ce jour, 3000 entreprises ont le FSI pour « actionnaire de référence » (partenaire stratégique). Et le patron de la Caisse des dépôts et consignations a indiqué récemment que ce chiffre serait porté à 4200 d’ici à 2013.
Nous disposons donc d’une banque nationale d’investissement. Il suffit de la développer en lui procurant les moyens correspondants. Les moyens du FSI augmentent de 40% à 50% par an. Continuons ! De ce point de vue, de ce seul point de vue, hélas, on peut dire que Nicolas Sarkozy a rompu avec les stéréotypes du néolibéralisme en réactivant un actionnariat public auprès des entreprises privées.
Ne faudrait-il pas, parallèlement à cette banque nationale d’investissement, une banque d’affaires privée ?

Nos banques d’affaires privées ont disparu. Paribas n’est plus une banque d’affaires, Rothschild est devenu un cabinet de conseil. Il n’y a plus de banques d’affaires en France !
Je ne vois pas pourquoi, à côté de la banque nationale d’investissement, nous n’aurions pas au moins une banque d’affaires privée susceptible d’intervenir dans le capital des entreprises.

 

Je propose enfin une évolution du système de crédit.

L’immense crise bancaire qui a frappé le monde occidental n’était pas due, dans la plupart des cas, à une hypertrophie du crédit aux entreprises mais à une hypertrophie du crédit à la consommation. On peut même dire que les prêteurs habituels ont renâclé à prêter aux entreprises et tout particulièrement en France. Par exemple, les banques qui finançaient habituellement le crédit à l’import-export se sont retirées brutalement au cœur de la crise financière. Si la récession a été aussi brutale, c’est d’abord en raison d’un déséquilibre entre la production et la demande à l’échelon du monde occidental mais aussi parce que les ressources du crédit import-export ont brutalement fait défaut à l’automne 2008. Les Etat sont venus se substituer aux banques défaillantes et même le FMI, à compter de la première réunion du G 20 à Londres, le 1er avril 2009. Mais cela signifie que les banques, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui dans leur grande majorité, refusent les risques au moment où ils se présentent à l’horizon. On a donc un problème de financement des entreprises lorsque celles-ci ont un besoin criant de crédit pour passer le moment le plus difficile.

Une initiative particulièrement originale, passée complètement inaperçue, a été prise durant cette période troublée. Trois anciens cadres bancaires (3) ont essayé de créer un nouvel organisme, la CFA (Corporate Funding Association). Ces trois cadres sont allés démarcher vingt grands groupes du CAC 40 : Veolia, GDF, Danone, Michelin, Lafarge, France Telecom et bien d’autres. Ils ont obtenu un accord de principe pour que ces groupes deviennent les actionnaires d’une nouvelle société de crédit (qui fait du crédit mais ne collecte pas de dépôt, à la différence d’une banque au sens classique du terme). Le succès initial de cette initiative venait du fait qu’elle rencontrait la volonté des entreprises françaises, même des grandes, de commencer à être moins dépendantes de leurs banquiers traditionnels.

Cette Corporate Funding Association, société de crédit tout à fait nouvelle, aurait pu être étendue et dupliquée non seulement aux grandes entreprises mais aux entreprises moyennes, voire aux petites entreprises. Cet organisme n’a pas vu le jour. Un désaccord est survenu entre les actionnaires potentiels, entre les entreprises qui étaient d’accord au départ pour financer cette CFA. Et les agences de notation ont refusé de noter les emprunts que cette société de crédit aurait dû émettre pour procurer du crédit à ses clients, bloquant ainsi cette initiative extrêmement originale et intéressante et qui aurait pu être l’embryon, l’esquisse de l’esquisse d’un système de crédit aux entreprises digne de ce nom.
Il existe cependant, si l’on veut être juste, un organisme public qui joue un rôle déterminant dans le domaine du crédit. C’est Oséo, nouveau nom de l’ancienne BDPME (Banque des PME) qui a, parallèlement à l’action du FSI, énormément élargi son action au cours de la période de crise. Les sommes garanties par Oséo ont considérablement augmenté. En l’occurrence, des ministres libéraux ont agi dans le bons sens sous la pression des circonstances, on ne saurait leur en faire reproche.

Nous avons donc un double effort à faire pour essayer de créer un capitalisme à la française, avec un cadre juridique approprié, et de susciter un système de crédit approprié pour que nos entreprises qui ont de l’avenir, dont les perspectives de développement sont importantes, puissent bénéficier des concours de crédit dont elles ont besoin.
Ce sont ces tâches essentielles, voire cruciales auxquelles les candidats sérieux à la présidentielle de 2012 devront s’attacher
Merci de votre attention.

 

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Jean-Luc, après Laurent Faibis et Michel Volle, vous nous avez ouvert les pistes d’un redressement, d’une politique nouvelle qui redonnerait un avenir à notre pays et à sa jeunesse. C’est le rôle de la Fondation Res Publica.

Jean-Michel Quatrepoint a écrit un article intitulé : « Lutter contre la tentation de Venise » (1), tentation qui avait saisi une personnalité tout à fait éminente (2) envahie par un vague à l’âme tout à fait compréhensible.

Lutter contre la « tentation de Venise », c’est-à-dire lutter contre le renoncement. Comment faire pour aller de l’avant ? Je pense que l’intervention de Jean-Michel Quatrepoint s’inscrira dans la continuité parfaite des précédents exposés.

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1/ La France et ses multinationales. Stratégie globale et intérêt national, sous la direction de Laurent Faibis, avec la collaboration de Jean-Michel Quatrepoint. Éd. Xerfi, janvier 2011
2/ In « La trahison des économistes », Jean-Luc Gréau, éd. Gallimard, coll. Le débat, septembre 2008. Chapitre 5 p. 135
3/ Arnaud Chambriard, Philippe Roca, deux anciens de Natixis, et Hugues Delafon, un ancien de Dresdner Kleinwort ont imaginé la CFA (pour Corporate Funding association) qui fonctionne comme une coopérative de financement.
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Le cahier imprimé du colloque "Radiographie des entreprises françaises" est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

Fondation Res Publica I Vendredi 29 Juillet 2011 I | Lu 135 fois

VOIR AUSSI : ENTREPRISES

 

http://www.fondation-res-publica.org/Un-capitalisme-a-la-...

Un capitalisme à la française

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Intervention de Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, au colloque "Radiographie des entreprises françaises" du 4 avril 2011

Un capitalisme à la française

Jean-Michel Quatrepoint

Le capitalisme à la française existe,

le choix a été fait il y a vingt ans. C’est un choix basé sur nos multinationales, basé sur la consommation, la distribution, je pourrais même ajouter sur la restauration. Il suffit de regarder où se sont faites les fortunes ces trente dernières années : la grande distribution, la restauration et le luxe.
Ces choix ont été faits, implicitement, par la collectivité qui, par exemple, il y a une quinzaine d’années, a choisi les emplois de services, souvent subventionnés, les emplois dans les collectivités territoriales.

Nous avons collectivement fait ce choix parce que nos multinationales ont sous-investi. On s’est glorifié il y a quelques jours de notre troisième rang pour les IDE (investissements directs étrangers). Effectivement, notre pays a accueilli l’année dernière 56 milliards de dollars d’investissements directs de l’étranger. Mais on dit moins que nous sommes au deuxième rang pour les investissements directs des Français à l’étranger : 147 milliards, derrière les États-Unis et loin devant l’Allemagne.

En effet, les sociétés multinationales (notre choix économique) investissent essentiellement à l’étranger, pas seulement pour des questions de main d’œuvre mais d’abord parce que les marchés sont à l’étranger, notamment dans les pays émergents. Nous avons donc un déficit d’investissement d’une centaine de milliards, partis pour l’étranger. On peut me rétorquer que ces investissements reviennent sous forme de dividendes Certes ! Mais ils reviennent sur le CAC40 dont plus de 50% des actionnaires sont des personnes étrangères. C’est un cercle vicieux.

Dans la logique de ce « capitalisme à la française », les PMI et les PME se sont fait laminer, tant par les multinationales, qui ne sont pas toujours sympathiques avec leurs sous-traitants, que par un système - dont nous sommes collectivement responsables - qui fait que l’entrepreneur n’a pas forcément bonne presse.

On ne le dit pas assez : la vie d’un chef d’entreprise moyenne ou même petite est aujourd’hui particulièrement difficile.

  • Il est confronté à la règle des « seuils » : le seuil délégué du personnel (à partir de dix salariés), le seuil comité d’entreprise (à partir de cinquante salariés). Ce n’est pas neutre. Basculer de 49 à 51 salariés coûte très cher à l’entreprise.
  • Il est soumis à la législation concernant la formation professionnelle, excellente idée il y a trente-cinq ans, appliquée de manière aberrante aujourd’hui.
  • Il subit l’absentéisme, la règlementation, les contrôles (l’URSSAF, les impôts etc.)
L’excès de règlementation décourage les entrepreneurs…

… qui réalisent qu’il y a plus de risques que d’avantages à développer leur entreprise. Ils craignent aussi d’être lâchés par leur banque en cas de difficulté

Au départ on trouve du capital, le capitalisme à risques existe. Mais par la suite, il devient plus compliqué de financer la trésorerie régulièrement.

J’ajoute que la rémunération d’un patron de PME n’a rien à voir avec ce que gagnent les managers du CAC40 qui, eux, ne sont pas responsables sur leurs biens propres.

Voilà pourquoi les entrepreneurs ont peu à peu disparu. De même qu’on a fait disparaître les petits commerçants au profit de la grande distribution. On peut parler d’une collusion entre Bercy, la haute fonction publique et les partis politiques : Les petits commerçants mettent l’argent directement dans leurs poches ! Ce sont des affameurs ! Vive la grande distribution ! Vive les grandes chaines de restauration ! On a vu le résultat.

Le système fait que la PME est progressivement liquidée, d’autant que les syndicats se plaignent de ne pas être bien représentés dans les PME. Il est vrai qu’ils sont mieux traités dans les grandes entreprises où ils peuvent prospérer grâce au comité d’entreprise (EDF, SNCF etc.).

Cette situation est aggravée par l’insécurité fiscale.

Les règles changent continuellement. Que va-t-il se passer en matière d’ISF ? Que sera le projet de loi de finances pour 2012, à la fin 2011 ? Que se passera-t-il ensuite si la majorité bascule à gauche ? Comment faire pour externaliser les plus-values ? Est-il judicieux de verser des dividendes plus tôt, avant un éventuel changement ? Ces questions deviennent obsessionnelles. Il est urgent de dérèglementer là où c’est nécessaire, dépoussiérer le système, le remettre à plat. L’absence de stabilité fiscale et juridique est paralysante.

L’ISF porte une responsabilité dans la disparition des PME. Certes, l’outil de travail n’est pas soumis à l’ISF mais le produit de la revente d’une PME est, lui, imposable ! C’est pourquoi les patrons de PME externalisent quand c’est possible, essayant de vendre à un étranger et à l’étranger, afin de s’exonérer de plus values et de ne pas payer un ISF dont la vente de leur entreprise les rendrait redevables. Ce sont les effets pervers de l’ISF. Son taux n’est pas en cause. On ne compte plus à Bruxelles, à Genève ou ailleurs, les Français qui, dans les quinze ou vingt dernières années, se sont externalisés au moment de la vente leur entreprise, souvent des moyennes-grandes entreprises.
Dans bien des cas, l’acquéreur (étranger ou fonds étranger) a exploité l’entreprise, lui extorquant des dividendes pour rembourser des dettes par deux ou trois LBO successifs, avant de la vendre à la casse (sans parler de la casse précédente et des dégâts sociaux). C’est ainsi que s’exerce la prédation des financiers.

Il faut savoir aussi qu’il y a une fiscalité à deux vitesses.

  • La fiscalité des particuliers et la fiscalité des entreprises,
  • la fiscalité du CAC40 et la fiscalité des PME,
  • la fiscalité des entreprises industrielles ou de services et celle du système financier, ce denier étant particulièrement avantagé.
  • De même, des banques centrales font de l’open bar pour les banques qui viennent s’alimenter à 0,5% ou 1% d’intérêts tandis que certains États doivent se financer à 10% ou 12% de taux d’intérêts. Là aussi il y a deux vitesses.

Quand on parle de réforme fiscale, il faut expliquer qu’il ne suffit pas de taper sur les classes moyennes supérieures ou sur l’épargnant. Il faut examiner ce qui se passe dans les entreprises, dans le système financier et essayer de rétablir les équilibres.
En maintenant l’exonération des foncières sur leurs plus values immobilières, on fait peser tout l’effort fiscal sur les particuliers qui, vendant leur appartement ou leur résidence secondaire, paient la CSG et la plus-value plein pot tandis que les foncières continuent de faire tourner leurs actifs immobiliers sans payer d’impôt sur les plus-values. Ce sont les dirigeants de ces foncières, payés au pourcentage, avec des systèmes de bonus, qui en profitent.

C’est donc un système financier qui est fait pour les sociétés financières !

Le Herald Tribune  a publié il y a quelques jours un article de Neil Barofsky, inspecteur général du TARP (Troubled Asset Relief program )(3), plan de sauvetage de l'industrie financière de 700 Mds$. Au moment où il quitte ses fonctions, celui-ci explique que les objectifs préalables du TARP ont été complètement détournés au profit des banques et des établissements financiers. De la même façon, la lecture des minutes de la FED, tenue de lister tous les prêts accordés et tout l’argent donné aux banques, est hallucinante ! Là est le vrai sujet. Aucun programme ne pourra se dispenser d’expliquer comment remettre les financiers au pas. L’Islande l’a fait, des banquiers y sont actuellement emprisonnés. L’exemple islandais doit être médité.

La nécessaire reconstitution d’un tissu entrepreneurial ne se fera pas sans une remise à plat de la règlementation, sans réformes fiscales. Je pense notamment que ce n’est pas aux entreprises de financer les allocations familiales mais à l’État. C’est d’ailleurs une des différences entre la compétitivité de la France et celle de l’Allemagne. Je pense aussi qu’il faut dépoussiérer toute la règlementation du droit du travail, devenue incompréhensible. Il ne s’agit pas de fragiliser les travailleurs mais de remettre à plat et de repenser un système qui doit être efficace pour chacun et pour la collectivité. Sans doute faudra-t-il des programmes mobilisateurs.

Certains secteurs sont essentiels pour la France dont ils sont naturellement les points forts.
  • Comme Laurent Faibis, je suis consterné de voir s’effondrer la filière agro-alimentaire et agricole. La France est un grand pays agricole. Sa productivité est excellente. Nous avons la chance d’avoir des terres fertiles et un climat relativement favorable. Nous sommes relativement épargnés par les catastrophes naturelles. Nous devons absolument miser sur ces atouts et redévelopper des industries agro-alimentaires à partir de nos productions.
  • La construction et toutes les activités liées à l’habitat offrent un marché énorme où les PME peuvent se développer. Pourquoi les Italiens ont-ils aujourd’hui le quasi-monopole du design, des mobiliers, des carrelages etc. ? En développant ces activités nous créerions de l’emploi et de la valeur ajoutée.
  • Les industries de défense irriguent l’informatique, l’électronique, l’aéronautique etc.. Nous avons dans ces domaines un savoir-faire. Les Allemands essayent progressivement de s’infiltrer, de prendre un peu plus de pouvoir dans EADS … mais leur politique est explicitement hostile à toute défense, allemande comme européenne (ce qui, à terme, risque de coûter cher à l’Europe). Nous sommes les seuls capables de faire un outil de défense. Toutefois, l’état des forces françaises aujourd’hui peut inquiéter, d’autant que nous sommes engagés au feu pour la première fois depuis bien longtemps sur trois théâtres en même temps : Afghanistan, Libye et Côte d’Ivoire…

Jean-Pierre Chevènement

… Et même davantage : Nous sommes aussi engagés au Liban (FINUL), au Tchad (EFT), au large de la Somalie (opération Atalante contre la piraterie), en RCA (Micropax), au Kosovo (désengagement en cours), dans l’opération BALTIC 2011 (police du ciel au profit des pays baltes) ; sans parler des forces prépositionnées (Émirats arabes unis, Gabon, Djibouti, Libreville, Sénégal…), des forces stationnées en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française… et des opérations ponctuelles.

Jean-Michel Quatrepoint

Et je crains que nos matériels ne soient plus aussi performants qu’autrefois et que, à force de serrer les boulons, de faire du postponing budgétaire (fait de remettre des dépenses à plus tard), notre outil de défense ne soit plus aussi adapté. Et j’imagine mal le Parti socialiste faire des industries de défense l’un des piliers de son programme de remobilisation industrielle … mais on peut rêver.
Merci.
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1/ La France et ses multinationales. Stratégie globale et intérêt national, sous la direction de Laurent Faibis, avec la collaboration de Jean-Michel Quatrepoint. Éd. Xerfi, janvier 201, « Lutter contre la tentation de Venise », conclusion de J.M. Quatrepoint, p. 215
2/ La tentation de Venise, titre d’un essai politique d’Alain Juppé Ed. Grasset, 1993
3/ « Le Trésor a recapitalisé les banques sans politique effective ou effort en vue de leur imposer une extension du crédit », a déploré Neil Barofsky dans un violent réquisitoire publié par le « New York Times » du 30 mars, le jour même où il quittait ses fonctions. Pour ce démocrate nommé à son poste par l'administration Bush en novembre 2008, le Trésor aurait trahi la promesse d'aider les propriétaires de logements en favorisant la transformation du TARP en « un programme généralement perçu comme un cadeau pour les dirigeants de Wall Street ». (Les Echos 01/04/11, P. de Gasquet)
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Le cahier imprimé du colloque "Radiographie des entreprises françaises" est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

Fondation Res Publica I Vendredi 29 Juillet 2011 I | Lu 202 fois

01:09 Publié dans Capital et Travail, Compétition, Économie | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | |