L’Atelier BNP PARISBAS - Blockchain : à la recherche du capital perdu (lundi, 02 mai 2016)

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Par Pierre Pariente 29 avril 2016

Mots-clés : Smart city, Amérique du Nord, Blockchain, Start-up

La blockchain pour aider les pays en voie de développement

En 2000, l’auteur péruvien Hernando de Soto publiait son ouvrage phare, Le Mystère du Capital. Sa thèse allait à l’encontre de la lecture traditionnelle des décalages de richesse entre les pays de l’OCDE et les pays en développement. « Les pauvres, » écrit-il, « ont des maisons mais pas d’actes de propriété ; des terrains et des cultures, mais pas de cadastre ; des entreprises, mais aucun statut légal. » L’intuition de Soto était la suivante : le nœud gordien du développement n’est pas purement économique, encore moins culturel et social, mais légal. C’est le mécanisme par lequel l’individu peut rendre son capital visible.

Couverture de l'ouvrage d'Hernando de Soto, Le Mystère du Capital

Comment assurer cette transition, cependant ? L’auteur, dans son livre publié il y a 16 ans, donnait des grandes lignes directrices, mais manquait encore d’un outil efficace. Et si cet outil s’appelait la Blockchain ?

Le grand livre de la Blockchain

Le grand livre de la Blockchain est ouvert. En principe, tout le monde le monde peut écrire dedans. A la différence d’un livre, cependant, la Blockchain est une multitude de livres, et ces livres sont répartis dans le monde entier. Le contenu n’est pas figé, il augmente avec le temps de manière simultanée et coordonnée. L’avantage d’une information partagée, c’est qu’elle est mieux sécurisée contre la falsification qu’une information détenue par une seule personne.

La Blockchain, en d’autres termes, est un livre de compte qui enregistre au fur et à mesure du temps l’ensemble des transactions qui passent dans son système. Et par transaction, on peut comprendre flux d’argent, mais aussi titre de propriété.

(nb : L’ensemble des « objets » susceptibles d’être enregistrés dans la Blockchain est immense et s’agrandit de jours en jours. L’Atelier a publié des articles sur ce sujet ici, ici, et .) 

Une histoire d’enregistrement

Factom, c’est une de ces start-ups qui n’existait pas il y a deux an et qui commence à se faire un nom dans l’écosystème de la Blockchain. Seulement, Factom a un positionnement un peu différent de celui de ses pairs.

Selon sa Chief Marketing Officer, Tiana Laurence, « la plupart des start-ups dans l’écosystème de la Blockchain se sont concentrées sur un seul problème : comment transférer de l’argent plus rapidement entre deux entités. Factom n’a pas voulu rentrer dans ce jeu compétitif. Nous nous sommes dits que ce challenge allait être résolu par quelqu’un d’autre que nous. »

Factom a donc décidé d’utiliser la Blockchain pour y enregistrer des données. D’un point de vue purement technologique, Factom utilise son propre réseau, mais est aussi capable de s’intégrer aux réseaux Blockchain utilisés par le Bitcoin et par une autre start-up du milieu : Ethereum.

Factom propose ce service d’enregistrement des données aux entreprises, mais également à des gouvernements. Selon Tiana Laurence, un des enjeux de la pauvreté est « le manque de fiabilité des bases de données et la corruption. » Sans titre de propriété, un habitant d’un pays en développement est confronté à la menace d’expropriation. Sans preuve juridique que le capital qu’il détient lui appartient véritablement, il ne peut contracter un emprunt bancaire pour financer son activité, ou même souscrire une assurance professionnelle.

C’est dans ce contexte que Factom a commencé à travailler avec le Honduras pour enregistrer dans la Blockchain – c’est-à-dire de manière permanente et immuable – l’ensemble des titres de propriétés d’une ville en devenir, immense projet de smart city actuellement en construction. La Blockchain permettra aussi d’enregistrer les actes de transferts de propriété. Cette technologie est un moyen infaillible pour lutter contre la falsification des documents officiels et la corruption.

Et les conséquences d’un tel projet sont énormes.

Rendre visible le capital invisible

On l’a vu, le projet de Hernando de Soto est de rendre visible le capital que les habitants des pays en développement détiennent déjà. Seulement, Hernando de Soto est un pragmatique. Il ne souhaite pas changer la réalité, mais recommande plutôt d’adapter le système législatif de ces pays pour légaliser « l’économie grise ».

Mais en pratique, comment faire ? Faut-il dépêcher sur le terrain des experts pour que, carnet à la main, ils officialisent les titres de propriétés, cadastres, et autre capital des habitants ? Et quand bien même une telle campagne serait menée, comment s’assurer que les informations ne soient pas falsifiées avant, pendant, ou après l’enregistrement ?

La chute du mur de Berlin et l’ouverture à l’économie mondiale des pays de l’Union Soviétique dans les années 90 a fourni à l’Histoire un cas d’école éloquent. Rachat frauduleux à des prix imbattables, corruption généralisée, affairisme, c’est toute l’économie de ces pays qui a pâti de l’ouverture sauvage au capitalisme.

Une technologie comme celle que développe Factom ne répond pas à l’ensemble de ces enjeux. Ce que peut garantir Factom, par contre, c’est qu’un titre enregistré dans la Blockchain constitue une preuve inviolable de propriété. La question de la validité du titre en question reste politique.

Image d'une favela à Rio de Janeiro au BrésilEn l’occurrence, le projet que mène Factom avec le Honduras ne soulève pas ce problème : il s’agit d’enregistrer les actes de propriétés (et, à terme, de transfert de propriété) des nouvelles habitations d’une ville intelligente, en construction. Dans la mesure où la technologie de Factom permettra d’enregistrer la propriété au début de la chaîne, la question de la validité de l’information ne se pose pas. 

Ce n’est que le premier chapitre

Ce que Factom construit avec le Honduras n’est que le premier chapitre d’une aventure qui se veut prometteuse. La start-up travaille aussi avec la Chine et la société iSoftStone pour développer des applications de la Blockchain à destination des villes intelligentes.

De manière plus conceptuelle, on peut imaginer que ce genre de start-up trouvera aussi un intérêt à se rapprocher d’institutions financières pour étoffer la gamme de ses produits et services. La lecture de Soto nous permet de comprendre que l’enregistrement de la propriété n’est que la première étape vers le chemin de la prospérité. Une fois le capital enregistré, il peut être échangé. Il devient liquide. Il devient visible aux yeux des établissements financiers (banques, institutions de micro-crédits, etc.) qui peuvent en retour ouvrir leur gamme de produits à une population qui en était exclue.  Soto rappelle à ce propos dans son ouvrage que dans les années 2000, aux États-Unis,
« près de 70% des crédits que les entreprises reçoivent sont adossés à des titres de propriété comme collatéral.»

Finissons enfin avec cette dernière citation de Soto dans Le Mystère du Capital, destinée à ceux qui se demandent si, finalement, il est bien sérieux de vouloir étendre encore plus l’empire du capitalisme : « Je ne suis pas un capitaliste pur et dur. Pour moi, le capitalisme n’est pas un credo. Je crois beaucoup plus à la liberté, la compassion pour les pauvres, au contrat social, et à l’égalité des chances qu’au capitalisme en tant que tel. Seulement, pour le moment, et pour atteindre ces objectifs, le capitalisme est la seule solution dont nous disposons. C’est le seul système que nous connaissions qui nous fournit les outils nécessaires à la création de valeur. »

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