Libé TCHAT avec Jean QUATRE MER “Pour comprendre la crise de la dette” (jeudi, 20 octobre 2011)
Pour comprendre la crise de la dette
La dégradation inédite de la note américaine alimente la crainte d'un krach sur les places boursières.
TCHATS Hier à 11h54 (Mis à jour à 12:03)
«Il faut pour les marchés que l'appartenance à l'euro soit irréversible»
TCHAT: Les Européens réussiront-ils à juguler la crise économique qui secoue la zone euro avant le rendez-vous du G20?
Jean Quatremer, notre correspondant à Bruxelles, a répondu à vos questions.
10 commentaires Le logo de la monnaie unique européenne devant le siège de la BCE à Francfort (AFP/Daniel Roland)
Petit papa Noël: Sait-on combien de milliards d'euros on devra mettre sur la table pour sauver, non seulement la Grèce, mais aussi les autres pays qui ont vu leurs notes diminuées par les agences de notations?
Jean Quatremer. Il n'y a pas de lien direct entre la crise de la zone euro, et les notes des Etats.
La dégradation est plutôt une conséquence de la crise. Pour l'instant, pour aider les Etats qui n'arrivent plus à se financer dans des conditions soutenables sur les marchés, c'est-à-dire avec des taux d'intérêts proches de ceux de l'Allemagne, l'Union européenne a déjà dépensé: 110 milliards d'euros pour la Grèce, sous forme de prêts bilatéraux; Elle a créé un Fonds européen de stabilité financière (FESF) doté d'une capacité d'emprunts de 440 milliards d'euros. Mais, là, il n'y a pas d'argent frais qui est mis dans le fonds, il s'agit de garanties que les Etats accordent aux emprunts qu'effectuera le fonds FESF.
Un bémol cependant. Eurostat, l'organisme européen de statistiques, a décidé que les garanties accordées par chaque Etat, au prorata de sa participation au capital de la Banque centrale européenne (BCE) devront être inscrites dans la dette publique nationale. D'une certaine façon, chaque Etat paye sa garantie par un alourdissement de sa dette publique, avec pour risque la dégradation supplémentaire de sa dette souveraine. Pour l'instant, le Fonds n'est venu en aide qu'à I'Irlande, et le Portugal.
La Commission européenne a aussi obtenu le droit de lever 60 milliards d'euros sur les marchés pour venir en aide aux pays menacés. Ces 60 milliards seront intégrés au futur Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui remplacera le FESF en 2013, et plus probablement dès 2012. Ce MES aura une capacité d'emprunt de 500 milliards d'euros. La Banque centrale européenne a racheté sur le marché une partie de la dette des pays attaqués pour un montant de 160 milliards de dollars. Pour l'instant, le sauvetage des pays en difficulté ne nous a pas coûté directement de l'argent, mais cela ira différemment si ces pays ne sont pas capables de rembourser les emprunts que l'UE leur accorde.
Seberg: Selon Jacques Delors, un pays doit pouvoir être exclu de l'euro. Mais, si la zone euro se réduit peu à peu à un noyau dur autour de l'Allemagne, la monnaie ne risque-t-elle pas d'être encore plus chère? Et de nuire encore plus à l'industrie française et à nos exportations?
J'ai été très surpris que Jacques Delors défende cette idée d'expulser un pays membre de la zone euro qui ne respecterait pas ses obligations budgétaires, car elle est défendue par les plus euro-sceptiques des Allemands, les libéraux du FDP et les chrétiens sociaux bavarois.
Pourquoi le Traité de Maastricht n'a-t il pas prévu une clause d'exclusion de la zone euro? Pour une raison simple qui s'appelle: la confiance. Il faut que pour les marchés, l'appartenance à l'euro soit irréversible afin qu'ils puissent investir en toute confiance dans l'ensemble de la zone euro.
Un investisseur qui place son argent au Nebraska, aux Etats-Unis, ne craint évidemment pas que cet Etat puisse un jour quitter le dollar. Il pourra traverser des difficultés économiques, mais il sera toujours membre de l'Union monétaire américaine. Si on ouvrait une telle possibilité au sein de la zone euro, cela pousserait les marchés à distinguer entre chaque Etat membre. On en reviendrait à la situation qui prévalait avant la situation de l'euro, où les marchés exigeaient des primes de risques conséquentes des Etats jugés fragiles. Un investisseur de Hong Kong, par exemple, si une telle clause était introduite, ne placerait plus ses billes dans les pays du Sud de la zone euro, par simple précaution. On introduirait du risque et de l'incertitude. On enverrait le signal que l'intégration européenne n'est pas irréversible. Or, si la crise actuelle a éclatée c'est justement parce que les marchés ont douté de la volonté allemande de sauver la Grèce et la zone euro.
Thierry_b: Barrosso appelle à une action vigoureuse à la crise de la dette. Quelle pourrait être cette réponse, selon vous?
La crise de la dette appelle une réponse à court terme et une réponse à long terme.
A court terme, les choses paraissent à peu près claires. Il faut accroître les moyens du FESF, en lui donnant un effet de levier, et pousser les banques les plus fragiles à se récapitaliser. Sur ces deux points, il y a un accord au sein de la zone euro. Le problème c'est que les Allemands veulent rajouter une «participation du secteur privé» supérieure au 21% qui avaient été convenus lors du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro, du 21 juillet. En clair, les Allemands veulent faire prendre une tôle sévère aux investisseurs privés qui pourrait atteindre 50% de la dette. Or, à chaque fois que les Etats ont menacé d'impliquer le secteur privé dans une restructuration de la dette grecque cela a été une catastrophe.
En octobre 2010, l'Union européenne avait annoncé que les investisseurs privés participeraient aux restructurations des dettes contractées après juin 2013. Cette simple perspective a suffi a déclencher une panique générale, et a entraîné la chute de l'Irlande, puis du Portugal, désormais sous assistance financière du FESF.
En juillet dernier, alors qu'on avait expliqué aux marchés qu'ils ne seraient jamais impliqués dans la restructuration de la dette grecque, on leur a annoncé qu'ils perdraient 21% de leur mise. Aussitôt l'Espagne, l'Italie, et même la France, ont été attaqués par les marchés, non pas parce qu'ils sont méchants, mais parce qu'un investisseur avisé retire ses billes d'un marché qui devient risqué.
Si dimanche, lors du prochain sommet, on annonce une augmentation de la cote part des investisseurs privés, à 40 ou 50%, je crains le pire, et je ne suis pas le seul. L'Allemagne me donne souvent l'impression de courir avec une torche, les yeux bandés, dans un magasin de poudre.
Aujourd'hui, qui possède les 350 milliards de la dette grecque? 141 milliards sont détenus par les investisseurs grecs eux-mêmes (banques, assurances, caisses de retraites ...), 120 milliards sont entre les mains de la banque de la BCE, du FMI et l'UE, et 89 milliards entre les mains des investisseurs des banques et assurances non grecques.
Que révèlent ces chiffres? Que ce sont les Grecs qui supporteront l'essentiel d'une décote supérieur à 20%. On risque d'assister à un effondrement du système financier grec, qui n'a pas les moyens d'être sauvé par l'Etat grec, qui est ruiné, et un effondrement des caisses de retraites. (Je précise qu'il s'agit bien d'un système par répartition et non pas par capitalisation.
L'argent des caisses, y compris en France, est placé sur les marchés. Les retraités grecs, qui ont déjà perdu leur 13e, voire 14e mois de retraite, risquent de perdre bien plus dans cette affaire.
Sur le long terme, et c'est là que les 17 Etats de la zone euro sont attendus: il faut annoncer aux opinions publiques, et aux marchés, dans quelle direction on va, au-delà des mesures de sauvetage que l'on accumule depuis deux ans.
Aujourd'hui, il est clair que l'euro, monnaie unique, ne peut pas survivre avec 17 politiques économiques et budgétaires indépendantes et souveraines, mais est-on prêt à créer une fédération avec un gouvernement européen légitime?
Ce que réclament les marchés depuis le début de la crise, c'est en fait la création des Etats Unis d'Europe, au moins dans le domaine économique afin d'être certain qu'on ne laissera plus une nouvelle Grèce advenir. Est-on prêt dès dimanche? J'ai un sérieux doute.
Étoffe des euros: La baisse de l'euro sur le marché des changes pourrait-elle favoriser la croissance en Europe (en dopant les exportations)? Comment l'obtenir?
L'euro faible est une marotte française. Une sorte de baguette magique qui va régler nos problèmes. Il ne faut pas perdre de vue que l'Union européenne fait les quatre cinquièmes de son commerce entre pays membres.
En outre, l'expérience allemande montre que c'est la qualité des produits qui prime sur la valeurs de la monnaie. On préfère toujours payer un peu plus chère une BMW qu'une Subaru. Une baisse de l'euro serait la bienvenue, mais, à mon avis, ce n'est pas la martingale que certains y voit.
Je vous rappelle que l'euro a été introduit le 1er janvier 99 à 1,17 dollars. Il est, douze ans plus tard, à 1,36 dollars, et on juge la parité «normale» à environ 1,20 dollars. On ne peut pas dire que l'euro soit aussi massivement surévalué que certains le prétendre.
10:40 | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |