Création monétaire (vendredi, 25 juin 2010)

La vidéo qui suit illustre de façon sommaire une des perversités techniques du système financier.

Si on a coutume de nous répéter que le capitalisme n'a pas vocation à être moral et que son utilité est d'allouer les ressources au mieux et le plus rapidement possible par le biais du marché, on oublie un peu trop souvent de nous parler de façon simple des instruments financiers qu'il utilise.

Le moins qu'on puisse constater, et qu'il n'y en a pas un pour rattraper l'autre, tous débouchent in fine sur le détournement des créances et une absence totales de scrupules de ceux qui organisent ces marchés....

Le billet invité d’Olivier BRUMAIRE issu du Blog de Paul JORION illustre de son côté parfaitement bien le concept de Dette Publique.

 

Blog Paul JORION Je ne rembourserai pas, par Olivier Brumaire

 

de Blog de Paul Jorion de Julien Alexandre

Je ne rembourserai pas – ou « Les pauvres paieront-ils pour les (très) riches » ?

La dette publique française file désormais allègrement vers les 1 800 Md€, soit la bagatelle de 60.000 € par foyer.

En 2010, la situation budgétaire de l’État est dramatique : Ressources nettes 175 Md€, Dépenses nettes 325 Md€, Déficit 150 Md€ (« www.performance-publique.gouv.fr » – le gouvernement a conservé son humour…). Le plafond de Maastricht de 3 % du PIB est enfoncé avec près de 8 % du PIB. Nous dépensons ainsi cette année 190 % des recettes (contre encore 120 % avant la crise)… Et du coup, la dette représente près de 10 ans de recettes fiscales actuelles…

Heureusement les politiques nous l’ont promis : il est hors de question qu’ils gèrent les finances publiques avec « rigueur » – pour ceux qui auraient encore un doute. Voilà enfin une promesse dont nous pouvons être assurés qu’elle sera tenue… Vivons donc au dessus de nos moyens, ou plutôt, enrichissons les riches, et après, que diable, advienne que pourra. Et bien justement, ça advient…

Car enfin, n’est-il pas formidable qu’une situation financière que n’importe quel ménage trouverait insensée et intenable pour son cas personnel, devienne une pratique acceptée voire théorisée quand elle est appliquée au niveau de l’État – qui n’est qu’un ensemble de ménages… Mais pour justifier ce qui heurte le bons sens, les discours abondent…

Mais cet argument est très puissant dans les débats pour détourner l’attention du problème du financement et le reporter sur un problème de la qualité ou de l’opportunité de l’investissement.

Or, peu importe qu’il soit bien ou non de dépenser de l’argent sur un projet, mais simplement, si on le dépense, il faut le financer, et sur l’exercice budgétaire.

Car face au problème des déficits, il faut refuser de se laisser enfermer dans le discours des conservateurs, qui expliquent qu’il faut donc couper les dépenses (bien entendre « sociales », et non pas de dépenses de types « niche fiscale ») et ne plus remplacer les fonctionnaires (au passage, ils parlent des fonctionnaires d’État, car en tenant compte des fonctionnaires territoriaux dans toutes les baronnies locales, le nombre total de fonctionnaire n’a jamais cessé d’augmenter. Bref, on remplace des profs par des cantonniers, l’avenir s’annonce radieux…).

Car on peut, et on doit, augmenter les recettes. De façon intelligente, prudente, juste et équitable. Mais ne pas diminuer notre protection sociale, dont nous aurons besoins dans les années qui viennent.

Car au fond, qu’est-ce que l’endettement public ? De l’argent emprunté, qu’on « roule » régulièrement en empruntant de nouveau pour rembourser les premiers préteurs. Tant qu’il y a des prêteurs, finalement, ce n’est pas si grave. Sauf que cette dette entraine des intérêts. Or, qui paye les intérêts ? Le contribuable, donc tout le monde. Et à qui sont payés ces intérêts ? Et bien aux plus fortunés, ayant assez de patrimoine « inutile » pour le placer en obligations d’État, soit peu de monde, quand on se rappelle que le salaire médian en France est autour de 1500 € par mois… Les 50 % des français les plus pauvres ne possèdent que 7 % du patrimoine total, les 10 % les plus riches en possédant presque 50 % (chiffres Insee). C’est dire que 10 % de la population doit posséder environ 80 % des créances sur la dette publique (Aux États-Unis, près de 50 % des actifs financiers sont possédés par 1 % de la population Source). En fait, ceci est un formidable système pour voler les pauvres pour donner aux riches – la version « moderne » de Robin des bois en somme…

Ainsi, avant, les riches payaient des impôts et l’État était en équilibre, aujourd’hui, ils ne les payent plus, l’État est en déficit, et il donc doit emprunter… aux riches cet argent. Il faut sincèrement saluer l’habilité des très riches pour leur lobbying ayant permis de transformer leurs impôts en prêts…

Mesurons bien : la situation budgétaire de l’État était en 2008, avant la crise, sur une tendance d’environ 50 Md€ de déficit avec 230 Md€ de recettes pour 280 Md€,  de dépenses. Il y avait environ 50 Md€ de recettes de l’impôt sur le revenu, et près de 50 Md€ d’intérêts versés aux prêteurs. Oui, sans les intérêts, l’État était à l’équilibre. Oui, l’ensemble de l’impôt sur le revenu a été reversé aux classes les plus riches pour les remercier de n’avoir pas payé d’impôt.

Mais revenons aux comparaisons de l’État et des ménages. Et comprenons bien qu’un État ne fait jamais faillite, ce n’est pas une entreprise, il ne peut être liquidé. Non, un État décide juste un jour de ne pas rembourser ses dettes, point final. Car il peut, et doit, arbitrer entre ses créanciers et ses citoyens – qui l’élisent… C’est cela en réalité la différence la plus importante avec un ménage.

Et bien, pour mon cas, cette dette sur mes épaules, je ne la rembourserai pas. Je ne l’accepte pas. Je la récuse. Je ne passerai pas à ma vie à me serrer la ceinture pour rembourser des dettes des générations passées envers des millionnaires, qui sont justement millionnaires car ils n’ont pas payé ces impôts qui ont manqué et justifient désormais la dette. Elle est inique, et son principe n’a jamais été validé démocratiquement. Car, à 1 800 Md€, l’enjeu dépasse très largement la délégation de pouvoir de la démocratie représentative. Ce sujet n’a d’ailleurs jamais été abordé et expliqué en profondeur par les politiques, unis dans un silence complice, soucieux de leur maintien en place et de la satisfaction des intérêts financiers d’une infime minorité. Un tel engagement ne peut être accepté que par référendum – et encore dans certaines limites, puisqu’il engagerait aussi les générations futures.

Il faut donc appeler à un large effacement des dettes et créances publiques – en définissant un plafond modéré de remboursement par ménage. Bref, un retour à la remise des dettes du Jubilé historique : « 8- Tu compteras sept semaines d’années, sept fois sept ans, c’est-à-dire le temps de sept semaines d’années, quarante neuf ans. […] 10 Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé : chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan. […] 14 Si tu vends ou si tu achètes à ton compatriote, que nul ne lèse son frère ! » (Lévitique 25, 10.11)

Ce n’est pas du vol, c’est juste un impôt, égal à la créance détenue sur l’État. C’est même la perception tardive de tous les impôts non acquittés au cours des 30 dernières années.

Il est enfin évident que la dette publique ne sera jamais remboursée. D’ailleurs, de plus en plus de personnes parlent d’une solution « inflation » –  qui est bien une spoliation des rentiers via un défaut partiel. Sauf qu’il est probable qu’en 2010, contrairement à 1980, les salaires ne suivront pas, et que cela sera aussi la ruine des salariés, et une vraie dépression à court-terme… Veut-on tenter cette option ?

Espérons donc que des hommes politiques mesurés et courageux réfléchiront et finiront par défendre une mesure de ce type, dérangeante, mais courageuse car de justice sociale. Sinon, ils laisseront un boulevard aux extrémistes… Il en va probablement de l’avenir de notre démocratie.

Olivier Brumaire est l’auteur du livre Une crise de Transition, librement téléchargeable sur www.reformons-le-capitalisme.fr

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