Le droit à la propriété est-il encore le même pour tout le monde ?, par Jean-Paul Vignal (lundi, 27 juillet 2009)

10:21 AM

Le droit à la propriété est-il encore le même pour tout le monde ?, par Jean-Paul Vignal

 

 

 

from Blog de Paul Jorion by Paul Jorion

Billet invité.

LE DROIT DE PROPRIETE EST-IL ENCORE LE MEME POUR TOUT LE MONDE ?

La revue Mc Kinsey, a publié dans son dernier numéro un article intitulé « State capitalism and the crisis » qui trouve normal que les États mettent leurs mains dans les poches des contribuables pour sauver les banques et les entreprises, mais s’inquiète que ces mêmes États pourraient y prendre gout et en profiter perfidement pour effectuer un retour durable dans la gestion des entreprises au lieu de s’éclipser poliment une fois les profits revenus.

Il n’y a rien de bien nouveau ni de surprenant dans cette affirmation pourtant assez obscène qui consiste à utiliser la collectivité pour protéger des intérêts particuliers au nom d’une vision dévoyée et de nature presque délictuelle de l’intérêt collectif, mais, compte tenu de l’ampleur des enjeux, il est sans doute temps de réfléchir un peu aux moyens de mettre fin à cet état d’esprit.

Déposer son bilan est en passe de devenir un mode de gestion comme un autre au point, paraît-il, que l’on commence à en enseigner les subtilités dans les meilleures écoles de gestion. Cette évolution signifie en clair que l’on peut prendre tous les risques que l’on veut sans avoir à en subir les conséquences négatives ; les créateurs de l’entreprise apportent leurs idées, leur temps, et un peu d’argent frais, les managers en lèvent beaucoup plus avec des leviers qui atteignent ou dépassent 100 en promettant la lune, les banquiers prêtent et titrisent la dette, l’entreprise la souscrit, et en cas de difficulté, la dette est épongée par les investisseurs, souvent institutionnels, donc gestionnaires de l’épargne du public. Les seuls qui ont vraiment perdu sont les créateurs, les investisseurs des tours de financement publics et les acheteurs des dettes, car les managers peuvent toujours racheter les actifs à quelques cents du $ avec le soutien de financiers, - parfois les mêmes -, et repartir pour un tour.

Chacun sait désormais que les banquiers ayant été jugés indispensables à la bonne marche du monde par les politiques qui leur ont livré les clés de nos cités, leurs erreurs doivent être réglées au prix fort par la collectivité au nom de l’intérêt général ; on sait moins que celles des entreprises le sont aussi, de fait. Dans un cas comme dans l’autre, les bonus perçus par les cadres dirigeants sont en grande partie à l’origine de cette situation paradoxale. Il les incite en effet à prendre un maximum de risques car ils ne peuvent avoir que des retombées positives. Leur perte maximum possible est ne de pas percevoir de plus values sur leurs stocks options en cas de dépôt bilan. La belle affaire. Quant on perçoit plusieurs dizaines de fois le salaire minimum des manants à titre de salaire et de bonus en espèces, ce n’est certainement pas une incitation à la prudence, ni au respect des intérêts des gens que les hasards de la vie et des diplômes ont placé sous vos ordres.

Il serait peut-être temps de supprimer les procédures de mise en redressement judiciaire de type « chapter 11 », et d’interdire que les mêmes joueurs ne puissent directement ou indirectement racheter les actifs de leur ancienne société dans la procédure de liquidation de type « chapter 7 » qui deviendrait la seule issue possible à un dépôt de bilan.

Ce serait une façon un peu rude, mais sans doute salutaire, de signifier aux responsables des banques et des entreprises qu’ils ne sont plus propriétaires de droit divin, mais simples mandataires de propriétaires de droit commun qui peuvent, comme tout le monde, perdre leur propriété.

Une telle mesure permettrait ainsi d’ouvrir un débat que très peu de gens abordent. La propriété est, nous dit-on, la pierre angulaire du libéralisme économique. Soit. Mais comment se fait-il alors que les tenants de ce libéralisme n’aient aucun scrupule à puiser dans la poche des contribuables pour remettre à flots et récupérer leur propriété quand celle ci est compromise par leur propre mauvaise gestion ? La logique voudrait que dans ce cas la propriété revienne à ceux qui payent. Il ne s’agit pas de nationalisation rampante, mais simplement de l’application des règles communes à un type particulier de transaction.

Et l’on pourrait profiter de l’ouverture de ce débat sur la propriété pour aborder le problème de la propriété intellectuelle, qui est essentiel dans un monde que tous les experts s’accordent à reconnaître comme devant être de plus en plus celui du savoir.

Il semblerait sans doute curieux à un observateur venu d’ailleurs que les sociétés privées aient accès aux résultats de la recherche publique sans contrepartie réelle pour la collectivité ; quand une collectivité publique entretient un groupe de chercheurs, on peut en effet se demander s’il est « équitable » que les résultats de cette recherche soient privatisés au bénéfice de sociétés qui, par vocation, cherchent ensuite à les valoriser au meilleur coût, ce qui implique dans presque tous les cas que les citoyens de la collectivité qui a assuré le risque du financement bénéficient peu ou pas des retombées en terme d’emploi et d’activité économique induite.

Cette privatisation à prix et à conditions d’ami est certainement un des vrais problèmes de la recherche publique. Il est affligeant de voir de brillants chercheurs contester à juste titre, - entre autres au nom de la contestation d’une croissance devenue socialement irresponsable -, la recherche telle qu’on la pratique aujourd’hui sans poser comme préalable que les résultats de la recherche publique devraient être une propriété collective, accessible librement à tous. La question de l’orientation et du contrôle de la recherche serait en grande partie résolue si l’on retenait ce principe simple, qui ne serait jamais qu’une adaptation du droit de la propriété intellectuelle à l’évolution de nos sociétés.

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